Tous les acteurs de la Série du siècle en gardent un souvenir vivace

Rarement un événement sportif aura-t-il suscité un tel engouement d’un bout à l’autre du pays et laissé une empreinte aussi durable dans la mémoire de tous les acteurs qui y ont participé.
Du 2 au 28 septembre 1972, la série de huit matchs entre les joueurs étoiles de la Ligue nationale de hockey et les hockeyeurs prétendument « amateurs » de l’Union soviétique devient la tribune où la suprématie du sport est à l’enjeu. Elle oppose aussi deux systèmes à une époque de Guerre froide entre l’Ouest et l’Est.
Au moment où l’on s’apprête à célébrer le cinquantenaire de ce qui est devenu dans la mémoire collective la Série du siècle, la majorité des joueurs canadiens qui ont disputé ce tournoi persiste à dire qu’il s’agit du moment qui a le plus marqué leur vie de hockeyeurs.
Si l’ex-gardien du Canadien de Montréal, Ken Dryden, qui a disputé quatre des huit matchs devant le filet, est toujours aussi fasciné par le fait que les nombreux souvenirs de cette série l’habitent toujours autant, son coéquipier de l’époque Serge Savard ajoute qu’elle n’a laissé aucun amateur indifférent.
« Pourquoi cette série a-t-elle eu un retentissement si profond chez les joueurs, les partisans et tous les Canadiens, questionne Dryden dans son récent livre “La série du siècle, telle que je l’ai vécue”. Parce que nous en avons tous fait une affaire personnelle. »
« C’est un événement spécial. C’était réellement la première fois que, nous les professionnels, nous pouvions participer à une compétition internationale. Ce n’était pas les Jeux olympiques, mais sûrement l’équivalent et même mieux », avance Savard, qui a connu une carrière glorieuse avec dix bagues de la coupe Stanley à son actif — huit comme joueur et deux en tant que directeur général.
« Cette série a marqué les joueurs, mais elle a aussi marqué les gens. Tout le monde en âge de se rappeler se souvient où il était quand nous avons remporté le huitième match, même 50 ans plus tard. »
Et ce n’est guère étonnant puisque, comme le souligne Dryden, environ 16 des 22 millions de Canadiens étaient devant leur téléviseur pour suivre en direct le huitième match, le 28 septembre 1972.
« Le 28 septembre était un jour de semaine et le match avait lieu en plein jour chez nous, raconte-t-il. Pourtant, les activités de millions de travailleurs et d’écoliers se sont interrompues le temps d’un match de hockey. »
Yvan Cournoyer, un autre des six membres de la dynastie du Canadien des années 1970 à avoir disputé la série, estime lui aussi que cette série n’a pas son égal.
« J’ai eu l’occasion de gagner 10 coupes Stanley et c’est pour ça qu’on joue au hockey. Mais en 1972, la série était différente. Elle a vraiment changé le hockey, elle lui a donné une nouvelle orientation », constate-t-il avec le recul.
Les « rois » du hockey mis en déroute
Cette série Canada-URSS a été présentée à l’époque comme l’occasion de redorer le blason du hockey canadien, éclipsé sur la scène internationale par les Soviétiques à partir du Championnat du monde de 1954.
Et pour l’occasion, on a réuni toutes les grandes vedettes de la LNH — à l’exception de Bobby Orr, blessé, et de Bobby Hull, boudé parce qu’il avait joint le nouveau circuit rival de l’AMH.
Pour la première fois, les joueurs professionnels canadiens avaient l’occasion de se mesurer aux Soviétiques et de prouver qu’ils étaient les meilleurs. Du moins, c’est ce que la plupart des observateurs estimaient avant le début de la série.
N’empêche que cette équipe venue de l’autre côté du rideau de fer intriguait.
« Avant le premier match au Forum de Montréal, j’ai dit à Frank [Mahovlich], “Frank, j’ai vraiment peur, on ne les connaît pas. Ils ont gagné les Olympiques, on ne sait pas quel style de jeu ils pratiquent.” Ça me préoccupait beaucoup », se rappelle Cournoyer.
Et il avait raison, puisque les Soviétiques leur infligent une défaite humiliante de 7-3.
« On pensait que nous étions les rois du hockey, mais on s’est vite aperçu qu’il y en avait d’autres, aussi bons, sinon meilleurs que nous, souligne le journaliste retraité Gilles Terroux, qui a couvert toute la série en 1972. Les Canadiens ont encaissé une méchante dégelée lors du premier match. »
Victoire déterminante
Désormais conscient de la qualité de l’opposition, le camp canadien prend désormais ses adversaires au sérieux, s’offrant la victoire (4-1) deux jours plus tard à Toronto.
De l’avis de Cournoyer, auteur d’un but ce soir-là, cette victoire a été déterminante pour la suite.
« Je crois qu’il fallait absolument gagner ce match pour se dire “nous pouvons les battre si on joue comme nous en sommes capables.” »
Un match nul à Winnipeg et une défaite à Vancouver ont toutefois augmenté la pression sur les joueurs canadiens et semé le doute chez les partisans au moment où la série se transportait à Moscou pour les quatre derniers matchs.
« Après la défaite à Vancouver, il n’y a pas beaucoup de Canadiens qui croyaient aux chances de cette équipe de gagner la série », relate Gilles Terroux.
Le cri du coeur de Phil Esposito adressé aux amateurs lors de son entrevue à la télévision nationale après le match à Vancouver et la période de 13 jours entre les matchs 4 et 5 — planifiée pour permettre aux Canadiens de s’adapter aux patinoires européennes plus grandes lors d’un séjour en Suède — ont eu un effet rassembleur.
« Les deux matchs hors-concours en Suède nous ont permis de parfaire notre condition physique et de consolider l’esprit d’équipe », reconnaît Yvan Cournoyer, rappelant que les joueurs nord-américains à cette époque ne s’entraînaient pas trop pendant l’été.
« Ils nous ont surpris lors des quatre premiers matchs, mais il faut reconnaître qu’ils étaient prêts », note pour sa part l’ex-défenseur Guy Lapointe, invité à joindre l’équipe en raison des absences de Orr et de Jacques Laperrière, qui avait décliné l’invitation.
« De notre côté, on avait réuni 34 joueurs, tous des vedettes au sein de leur équipe respective et certains avaient du mal à accepter de jouer un rôle plus modeste. Une fois en Russie, tout le monde a accepté son rôle et nous avons formé une bien meilleure équipe lors des quatre derniers matchs. »
De fait, même si le premier match au Palais des sports Loujniki se solde par une défaite de 5-4, les Canadiens démontrent une meilleure cohésion et, surtout, jouent plus en confiance.
Les Canadiens se retrouvent néanmoins au pied du mur : ils doivent gagner les trois derniers matchs pour remporter la série. Et tout devient possible lorsqu’ils enlèvent les matchs 6 et 7, chaque fois par la marge d’un but.
Les encouragements bruyants des 3000 spectateurs canadiens qui ont fait le voyage et qui assistent aux matchs galvanisent les leurs sur la patinoire.
« Les Soviétiques dans les gradins manifestaient leur soutien à leur équipe par des sifflements, mais ils étaient vite enterrés par les cris des partisans canadiens », souligne Gilles Terroux.
Ken Dryden raconte qu’ils criaient à tue-tête ce cri de ralliement : « Da, da, CA-NA-DA ! Niet, niet, So-vi-ets ! »