La recette de la Formule 1 pour survivre 

Les pilotes s’ouvrent comme jamais sur la compétition, quitte à raconter des bribes de leur vie privée et de leur histoire personnelle.
Photo: Marwan Naamani Agence France-Presse Les pilotes s’ouvrent comme jamais sur la compétition, quitte à raconter des bribes de leur vie privée et de leur histoire personnelle.

La Formule 1 ne ménage pas ses efforts depuis quelques années pour rajeunir son image de marque. Au cœur de sa stratégie : la docusérie Drive to Survive, qui fait un malheur sur Netflix depuis 2019 en se targuant de présenter l’envers du décor. Une transparence savamment calculée, que d’aucuns perçoivent comme l’avenir, tous sports professionnels confondus.

C’est tout un changement de mentalité par rapport à l’opacité qui régnait au temps du richissime Britannique Bernie Ecclestone, qui a dirigé d’une main de maître la Formule 1 pendant plus de trente ans. Lorsque le groupe médiatique américain Liberty Media a pris le relais en 2017, la compétition de course automobile la plus prestigieuse au monde avait quelque peu perdu de son lustre d’antan. Non seulement le public était vieillissant, mais il était surtout de moins en moins mobilisé.

Liberty Media opéra alors un grand virage en investissant massivement dans les réseaux sociaux, mais aussi en misant sur Netflix avec la série Formula 1: Drive to Survive — Pilotes de leur destin en français —, où les pilotes s’ouvrent comme jamais sur la compétition, quitte à raconter des bribes de leur vie privée et de leur histoire personnelle. La plupart des écuries ont aussi autorisé les caméras à filmer leurs coulisses durant les Grands Prix, ce qui permet aux téléspectateurs de mesurer l’ampleur des rivalités entre les grands constructeurs automobiles représentés sur le circuit. Le tout est monté avec des effets dramatiques bien appuyés, de manière à maintenir un suspense, dans la plus pure tradition Netflix.

« Ils sont allés chercher les plus jeunes, qui ne s’intéressaient pas nécessairement à la compétition, avec le côté émotionnel, qui est très présent dans la série. Ils ont réussi à rajeunir leur auditoire, ce qui n’est pas facile. Et ils l’ont fait sans perdre leur public plus âgé », explique Frank Pons, directeur de l’Observatoire international en management du sport.

Pour ce professeur de l’Université Laval, il ne faudrait pas s’étonner de constater un « effet Drive to Survive »dans les estrades du circuit Gilles-Villeneuve dès la semaine prochaine. Mais le changement démographique sera encore plus perceptible dans quelques années, avance-t-il.

À l’assaut des États-Unis

Pour l’heure, Drive to Survive a déjà été renouvelé pour une cinquième et une sixième saison, malgré les critiques de certains, notamment du pilote néerlandais Max Verstappen, qui juge que la série exagère les rivalités entre les écuries.

« Drive to Survive propose une fausse transparence. On sait qu’il y a beaucoup de choses qui sont “scriptées”, qui sont exagérées. La preuve, c’est que la série est hypercaptivante, alors que la F1, dans les dernières années, l’était de moins en moins à cause de la domination de Mercedes et de Lewis Hamilton. C’est devenu plus excitant de regarder Drive to Survive que les courses à la télévision », dit avec ironie l’ancien grand manitou du Grand Prix de Montréal, l’homme d’affaires Normand Legault.

Il n’en demeure pas moins que Normand Legault admire le succès de la série. Non seulement celle-ci a contribué à rajeunir l’auditoire, mais elle a surtout permis à la F1 de bénéficier d’une visibilité inespérée aux États-Unis, selon lui.

En effet, car les cotes d’écoute sont en croissance au sud de la frontière, autrefois chasse gardée de la NASCAR (National Association for Stock Car Auto Racing), l’autre grand championnat dans le monde de la course automobile. Des indicateurs encourageants pour la très européenne Formule 1, qui rêve depuis longtemps de percer le marché américain et qui a organisé pour la première fois depuis près de 40 ans deux compétitions cette année chez l’oncle Sam. Et à côté des Grands Prix de Austin et de Miami, Liberty Media jongle aujourd’hui avec l’idée d’ajouter un troisième circuit en sol américain, à Las Vegas.

L’enracinement de la Formule 1 aux États-Unis pourrait-il finir par nuire à Montréal, où on estime que 20 % des détenteurs de billets en 2019 étaient américains ? Normand Legault en doute et se veut rassurant. « La Formule 1 dit avoir enregistré un record de cotes d’écoute, avec plus de deux millions de spectateurs au Grand Prix de Miami en mai. Mais je me souviens qu’à l’époque de Jacques Villeneuve, on faisait beaucoup plus que ça par rapport au marché. Deux millions aux États-Unis, ce n’est rien », relativise-t-il, tout en soulignant que les billets restent beaucoup plus abordables à Montréal qu’à Miami ou à Austin.

La « kardashianisation » du sport

En plus de rajeunir la marque et de l’ouvrir au marché américain, Drive to Survive aurait, dit-on depuis quelques années, permis aux milieux populaires de s’identifier à la F1, souvent perçue comme inaccessible avec son côté jet-set. Frank Pons s’inscrit en faux contre cette théorie : « Ce n’est pas l’inaccessibilité qui empêche les jeunes d’adhérer à ce sport. Les jeunes écoutent quand même les téléréalités, avec les Kardashian et compagnie, en sachant très bien que leur mode de vie n’est pas à leur portée. »

À propos de téléréalité, cet expert en marketing sportif voit en Drive to Survive la preuve que ce genre est en train de déteindre sur tous les domaines de la société, y compris le sport. « Les jeunes ne s’intéressent plus seulement au sport dans le sport, mais aussi à tout ce qui entoure le sport », résume-t-il.

La NBA, la ligue professionnelle qui connaît la meilleure croissance ces dernières années, aura été à l’avant-garde de cette tendance en se faisant omniprésente sur les réseaux sociaux. Même le Canadien de Montréal s’est risqué à ce jeu en proposant la docusérie 24CH, qui donnait accès pour la première fois aux coulisses du club. Un exercice plus ou moins réussi cependant, selon Frank Pons.

« On sait que Drive to Survive, c’est “scripté”. Mais on en laisse voir juste assez pour que ça donne l’impression que c’est authentique. Pour 24CH, le message était peut-être trop contrôlé. Le Canadien va devoir être moins contrôlant dans les prochaines années pour suivre la tendance », conclut-il.  

Formule 1. Pilotes de leur destin (V.F. de Formula 1: Drive to Survive

Docusérie du Royaume-Uni qui vient d’être renouvelée pour une cinquième et une sixième saison sur Netflix.



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