En attendant un René Lecavalier du surf des neiges?

L’Office québécois de la langue française propose un vocabulaire français pour plusieurs sports olympiques d’hiver, dont le surf des neiges, alors que la Fédération canadienne de surf des neiges y va d’une version hybride. On y suggère, par exemple, de remplacer le McTwist par «McVrille», «duckfoot» par «canard», «rodeo flip» par «rodéo» et le fameux «tail grab» par «prise de talon».
Photo: Gregory Bull Associated Press L’Office québécois de la langue française propose un vocabulaire français pour plusieurs sports olympiques d’hiver, dont le surf des neiges, alors que la Fédération canadienne de surf des neiges y va d’une version hybride. On y suggère, par exemple, de remplacer le McTwist par «McVrille», «duckfoot» par «canard», «rodeo flip» par «rodéo» et le fameux «tail grab» par «prise de talon».

La francisation du vocabulaire d’un sport est un long processus. Celui du surf des neiges ne fait que commencer le processus.

Et si l’on vous rapportait avoir assisté à un « cab triple cork eighteen hundred weddle », seriez-vous impressionné ou seulement perplexe ?

Le répertoire des maîtres du surf des neiges comporte plusieurs dizaines de figures différentes qui peuvent être combinées et enchaînées dans les airs au plus grand émerveillement des spectateurs. Ces figures ont toutes des noms souvent intrigants ou amusants, comme « roast beef », « McTwist », « rodeo flip » et « duckfoot », mais apparemment uniquement en anglais, s’il faut en croire leurs auteurs ou les experts, même francophones.

« Ces noms remontent parfois au début du sport. Certains ont été empruntés au skateboard, qui avait commencé bien avant. D’autres viennent de ceux qui ont inventé les figures. C’est comme ça que tout le monde les connaît et les appelle en surf de neige. On parle d’un sport international », explique Maxime Hénault, l’analyste des compétitions de surf des neiges aux Jeux de Pékin sur les ondes de Radio-Canada. « Plusieurs de ces termes sonneraient mal en français. Je ne me vois pas, par exemple, parler d’une “prise de queue” quand une fille fait un tail grab. »

Et puis, contrairement à d’autres disciplines comme le ski acrobatique, il y aurait trop de figures à traduire, poursuit-il. « Si on regarde juste les types de prises (grab), on en compte, par exemple, une bonne vingtaine. C’est pareil pour les différents types de rotations. Et il ne cesse de s’en inventer de nouvelles. »

Pas le choix, selon Radio-Canada

 

Maxime Hénault en connaît un rayon sur le sujet. En plus d’avoir pratiqué le sport pendant des années en tant que professionnel, il est le propriétaire d’une école spécialisée et a entraîné des champions comme Sébastien Toutant, Maxime Parrot, Laurie Blouin et Mark McMorris. À défaut de traduire en français le nom des figures, il promet d’en expliquer aux téléspectateurs les caractéristiques, le degré de difficulté et la valeur aux yeux des juges.

Cette solution a été trouvée de concert avec la société d’État. « Radio-Canada réfère en français aux termes techniques des sports et disciplines lorsque ceux-ci existent en français et qu’ils sont reconnus par la communauté du sport à l’échelle internationale », a déclaré par courriel au Devoir une porte-parole, Marie Tétreault. Qui plus est, plusieurs figures ont été nommées par leurs créateurs eux-mêmes et « ne sont pas traduisibles en tout respect pour les athlètes qui les ont créées et le public averti ».

Ces règles ne semblent toutefois pas s’appliquer au site Web de nouvelles de Radio-Canada, où l’on rapportait la victoire de Maxence Parrot à l’épreuve de descente acrobatique de surf des neiges acquise dimanche en Chine grâce notamment à un « triple tire-bouchon 1620 degrés » parfaitement réussi à son dernier saut. 

L’exemple du hockey

Ces justifications ne choquent pas Benoît Melançon, professeur et expert des liens entre la langue, le sport et la culture au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Au contraire.

« Cela prend du temps à franciser le lexique d’un sport. Le fait que le surf des neiges soit encore jeune, que son répertoire ne soit pas encore complet, que tout s’y passe largement en anglais et qu’il soit un sport qui s’est rapidement mondialisé avec l’aide des médias sociaux rend tout cela plus difficile à franciser vite. »

L’expert cite l’exemple du français dans le hockey. La mémoire populaire a retenu que pour les francophones au Canada, c’est le journaliste et annonceur René Lecavalier qui a contribué à franciser le vocabulaire. Mais en fait, c’était un travail qui avait été amorcé bien avant lui, dès le début du siècle dernier, par les journalistes spécialisés qui voulaient s’adresser à leurs lecteurs dans leur langue. Cet effort a aussi reçu l’aide d’institutions, comme la Société du parler français du Canada ou encore Radio-Canada, qui ont proposé des lexiques.

« On a procédé par essai-erreur. Le résultat n’était pas toujours joli ni définitif », explique M. Melançon. Qui se souvient, par exemple, qu’on a déjà proposé, au fil des ans, d’appeler le hockey « hoquet », le bâton « gouret », la rondelle « galine » et l’équipe d’étoiles « équipe d’as » ? Un même exercice se faisait en parallèle pour le baseball, appelé « jeu de balle aux buts », et où le receveur était un « gobeur » et un roulant, un « coup rasant » ou un « lapin ».

Ce n’est pas vrai que certaines choses sont impossibles à traduire. Tout se traduit. Il s’agit d’y mettre de l’effort, de l’imagination et d’oser essayer des choses.

 

À cette époque, « les Québécois se trouvaient dans un contexte d’insularité linguistique et cherchaient à traduire en français le vocabulaire de sports auxquels ne s’intéressait aucun autre francophone dans le monde. Tout cela se faisait très lentement dans un endroit très précis, note l’auteur, entre autres dans des livres : Les yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle et Langue de puck. C’est très différent de ces nouveaux sports qui se répandent très vite dans le monde en même temps qu’ils continuent de s’inventer. »

Temps et volonté

 

Mais encore là, la même question se pose, poursuit-il. Y a-t-il des communicateurs et des institutions qui cherchent à en franciser le vocabulaire ? Vérification faite, l’Office québécois de la langue française propose un vocabulaire français pour plusieurs sports olympiques d’hiver, dont le surf des neiges, alors que la Fédération canadienne de surf des neiges y va d’une version hybride. On y suggère, par exemple, de remplacer le McTwist par « McVrille », duckfoot par « canard », rodeo flip par « rodéo » et le fameux tail grab par « prise de talon ».

« Ce n’est pas vrai que certaines choses sont impossibles à traduire. Tout se traduit. Il s’agit d’y mettre de l’effort, de l’imagination et d’oser essayer des choses, souligne Benoît Melançon. Si on a pu traduire en français le vocabulaire du hockey, du baseball, du tennis, de la course automobile, et de presque tous les sports olympiques d’été et d’hiver, on devrait être capable de proposer des solutions pour franciser les nouveaux sports. »

« Tout cela prend du temps, bien sûr, et ne peut pas raisonnablement se faire du jour au lendemain. Du temps, mais aussi de la volonté. »



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