Le Tour de France tout numérique fait des mécontents au Québec

N’ajustez pas votre antenne HD, ne revissez pas votre câble coaxial ou ne vérifiez pas la fibre optique derrière votre décodeur, vous ne trouverez pas le Tour de France 2020 à la télé traditionnelle. Cette année et jusqu’en 2023, c’est le diffuseur 100 % en ligne FloSports qui présente le mythique événement sportif, entamé samedi. Une nouvelle réalité numérique que certains apprivoisent et que d’autres dénoncent vertement.
La course cycliste, qui en est à sa 107e édition, est gérée par le groupe Amaury Sport Organisation (ASO), un géant du vélo. Pour une première fois au Canada, la diffusion de la Grande Boucle se fera uniquement sur le Web — en français et en anglais —, moyennant un abonnement au site FloBikes, la branche vélo de FloSports, basée à Austin, au Texas. L’abonnement soulève par contre questions et confusions. Pour s’inscrire au volet « Bikes », il faut souscrire à l’année au coût de 150 $US, même si le site met de l’avant un tarif mensuel. L’annulation « en tout temps » mise de l’avant poserait aussi problème, nous ont avisé des lecteurs.
Depuis 2012, c’est RDS qui présentait le Tour de France sur une ou l’autre de ses chaînes. Cette fois, le diffuseur n’a tout simplement pas obtenu les droits, explique Patrick Tremblay, le chef des communications et relations publiques chez Bell, propriétaire du poste. « Il ne fait aucun doute que ça représente une déception pour nous », écrit-il dans un courriel, ajoutant que RDS a reçu « plus de 200 messages d’amateurs à ce sujet au cours des derniers jours ». Dans les cinq dernières années, 33 000 personnes en moyenne ont suivi la compétition.
Pour Serge Arsenault, le président des Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal, le choix d’ASO de privilégier une plateforme Web du genre est « aberrant ». M. Arsenault est l’ancien propriétaire du groupe Serdy et de son Canal Évasion, qui diffusait en direct le Tour de France au Québec entre 2003 et 2012. Ce denier ne mâche pas ses mots au sujet du gestionnaire de la compétition, parlant de « cupidité » d’« irresponsabilité » et d’« arnaque ».
Pour M. Arsenault, le Tour de France est de loin au sommet de la pyramide du cyclisme. Il qualifie l’événement d’incontournable et d’extraordinaire. Mais à ses yeux, ASO est « une entreprise presque vénale, qui ne tient pas compte du tout de son public, elle ne tient compte que de la petite caisse, des revenus, au détriment de tout, surtout au cours d’une année pandémique où le public mondial a eu très peu de sports ».
De l’accès élargi à la niche
Pour plusieurs téléspectateurs, le Tour de France est le seul événement cycliste dans leur diète sportive habituelle. « FloBikes, ça s’adresse vraiment à des amateurs de cyclisme », explique le chroniqueur David Desjardins, aussi blogueur sur le site de Vélo Mag ainsi que producteur et animateur du balado sur le vélo Radio Bidon. « La différence, c’est que le Tour, c’est un événement qui est dans la culture sportive générale, comme Wimbledon que tu vas peut-être écouter même si tu ne suis pas le tennis. Là, ça change la donne, je trouve ça dommage. »
Du même souffle, David Desjardins croit que les passionnés vont trouver leur compte sur la plateforme FloBikes, qui présente presque toutes les grandes courses de route ou de cyclo-cross. « J’ai la possibilité de regarder [le Tour] sur n’importe quelle plateforme, le téléphone, le laptop, la télé, et aussi quand je le veux. Au complet, peut-être. Ou en version faits saillants. Ou juste le dernier kilomètre de la course. » Du sur-mesure très adapté à son époque, quoi.
Le produit de FloBikes ne plaît toutefois pas à Serge Arsenault, qui y voit la qualité « d’un cours 101 de production télévisée pour des élèves de 15 ans, dit-il. Tous les moyens de production ont été utilisés au minimum, parce que ASO et FloBikes partagent le même objectif : engranger les profits. »
L’ancien cycliste François Parisien a passé les dernières années comme analyste à RDS. Le diffuseur lui a accordé la permission d’animer la prochaine course Paris-Roubaix pour FloBikes, justement. Il ne croit pas que la diffusion en ligne du Tour de France puisse avoir un impact sur le cyclisme canadien, qui n’est pas lié économiquement avec l’Europe et qui est davantage tourné vers les États-Unis. « Par contre, il y a beaucoup de monde qui fait du vélo au Québec, pour le transport ou pour se promener, il suffit de voir les boutiques qui sont toutes en rupture de stock ! » Il estime que, médiatiquement, ce groupe de cyclistes sans ambition professionnelle est mal exploité.
M. Parisien inscrit par ailleurs ce passage au numérique « dans une tendance lourde, dans tous les grands sports », croit-il. « De plus en plus le sport va être montré comme ça, et les câblodistributeurs vont faire un virage majeur vers la diffusion en ligne. » D’autres plateformes, comme DAZN, avancent en ce sens. Cette dernière présente par exemple au Canada les matchs de la Premier League anglaise.
FloSports n’a pas répondu à notre demande d’entrevue. Un représentant des médias du Tour de France a envoyé notre requête en haut lieu, mais l’appel était resté sans réponse au moment où ces lignes étaient écrites.