McGuire et Dubé, deux hémisphères d’un même cerveau

Parler de hockey, les Québécois savent faire. En fait, discuter de notre sport national, c’est notre sport national. Le descripteur Martin McGuire et l’analyste Dany Dubé en ont fait leur métier. Pour le match de samedi dernier entre le Canadien et les Rangers, ils m’ont reçu dans leur cubicule niché sur la passerelle du Centre Bell.
Dans l’émission d’avant-match diffusée à la radio sur tout le réseau Cogeco, le ton est relax. Accoudés au comptoir, mains dans les poches, on dirait deux amis dans un bar. Mais sitôt la rondelle mise au jeu, la langue embraye en mode turbo. Selon McGuire : « La difficulté n’est pas de nommer les joueurs mais de suivre la rondelle. Le jeu de puissance d’une équipe rapide me demande beaucoup de concentration. » Le hockey est tellement rendu vite qu’en 1994, le réseau Fox a même essayé un halo virtuel autour de la rondelle pour permettre aux spectateurs américains de mieux la voir. Alors imaginez le défi phonétique de décrire à la radio l’action de la LNH en direct, avec tous ces noms de joueurs tchèques et finlandais.
Martin McGuire est franchement impressionnant. Il mitraille les mots en rafale continue jusqu’à l’arrêt du jeu. Chaque syllabe est une balle qui percute le tympan. La diction est nette et le verbe est alerte, avec juste ce qu’il faut de fluctuations dans l’intonation pour maintenir l’intérêt. Sa performance le place dans la catégorie des meilleurs encanteurs et des plus grands rappeurs. Il partage d’ailleurs ses initiales avec Marshall Mathers (Eminem), icône hip-hop reconnue pour son débit supersonique.
Dany Dubé est plus posé. Ancien entraîneur, c’est un pédagogue qui aime disséquer le jeu pour mieux le faire comprendre. Dans leur perchoir surplombant la joute, la complicité entre les deux compères est tangible. Lors des arrêts de jeu, Dubé prend automatiquement le relais et décortique la dernière séquence. S’il veut ajouter une précision pendant l’action, l’analyste avance sa main dans le champ de vision du descripteur. Ils sont les deux hémisphères d’un même cerveau, indépendants et complémentaires.
McGuire est l’hémisphère droit : il transmet l’émotion de la partie. Dubé est l’hémisphère gauche, le rationnel qui s’intéresse aux aspects tactique et stratégique. Ensemble, ils veulent faire vivre le match à l’auditeur.
Dubé précise : « À la radio, on travaille pour des non-voyants. Ça prend un langage imagé pour que le public puisse se représenter l’action. Il faut répéter souvent le pointage. Martin le fait chaque fois qu’il voit le chiffre 9 sur le cadran. » Ça me rappelle mon meilleur moment de hockey à la radio : le Canadien comblant un déficit de 5 à 0, pour finalement l’emporter 6 à 5 contre les Rangers. J’étais sur la 20 en direction de Québec et mon pare-brise était devenu la patinoire. Les mains crispées sur le volant, pendu aux lèvres de McGuire et Dubé, je klaxonnais à chaque but du CH.
Coïncidence, le match de ce soir est contre les Rangers. Mais la joute est pas mal moins palpitante. Malgré tout, McGuire maintient l’intensité. Debout, une jambe tendue, les yeux rivés sur le jeu en contrebas, sa mâchoire s’active aussi vite que les jambes des patineurs. Soudain, une montée de Montréal vers le filet ! Le ton s’enflamme, le débit s’accélère, l’intonation est plus aiguë et les bras sont lancés dans les airs à la suite d’une belle manoeuvre qui a failli réussir. Le but tant attendu n’arrivera pas, mais la tension dramatique est entretenue avec le brio d’un Fred Pellerin.
Plus le match avance, plus la qualité de la langue employée par le duo me saute aux oreilles. McGuire émaille son lexique de nombreuses métaphores. En parlant des Rangers qui bloquent le centre, il dira : « C’est le style pont Champlain un lundi matin. »
Quant à lui, Dubé admet s’être inspiré du journaliste Pierre Ladouceur, qui a francisé de nombreux termes de hockey. L’analyste invente et traduit lui-même des concepts pour suivre l’évolution du jeu. Par exemple, il emploie « tourniquet » pour parler d’un wrap around.
La partie se termine finalement 1-0 pour les Rangers. Envoûté par la parole des deux chamans, je ne me suis même pas aperçu que le Canadien a livré un (autre) mauvais match.