L’écureuil, ce turbulent voisin
Ils sont omniprésents en ville. Admirés pour leurs talents d’acrobates, ils sont aussi détestés pour les ravages qu’ils causent dans les plantations, notamment. Parfaitement adaptés au milieu urbain, les écureuils gris ont proliféré à un point tel que l’on peut se demander s’ils ne sont pas trop nombreux en ville. Portrait d’un petit mammifère que certains considèrent comme un simple « rat habillé chic ».
L’écureuil gris (Sciurus carolinensis) — dont le pelage comporte quelques variantes allant du noir au blanc crème — est le seul écureuil à se plaire en ville. Son cousin, l’écureuil roux (Tamiasciurus hudsonicus), préfère le milieu forestier, mais, surtout, son comportement se prête mal à la vie urbaine.
« L’écureuil roux adore les milieux de conifères, et les villes n’en plantent pas beaucoup, » explique Denis Réale, professeur au Département de sciences biologiques de l’UQAM qui a consacré plusieurs études au tamia rayé, mais qui connaît bien son turbulent cousin, l’écureuil gris. « Les écureuils roux sont très territoriaux et vont défendre leur territoire de façon très agressive. »

À l’opposé, l’écureuil gris, très opportuniste, s’accommode bien de la présence de ses congénères et de celle des humains. « Dans les parcs, ils peuvent atteindre 50 individus par hectare, ce qui est énorme. […] Et ils bénéficient d’une ressource alimentaire importante. »
Et l’écureuil gris est très astucieux. En 2021, un youtubeur et ingénieur américain, Mark Rober, a publié une vidéo dans laquelle il montre un parcours d’obstacles qu’il a construit dans sa cour pour mettre à l’épreuve la dextérité des écureuils gris après que ceux-ci eurent déjoué toutes ses tentatives pour les empêcher de voler la nourriture dans les mangeoires d’oiseaux. On y constate que les écureuils ont rapidement appris à vaincre les difficultés du parcours pour parvenir à leur récompense : une appétissante réserve de noix.
Des écureuils par milliers
Y a-t-il trop d’écureuils à Montréal ? « C’est difficile de savoir ce qu’est un surnombre », admet Denis Réale. « Il n’y a pas vraiment de statistiques à l’échelle locale. En fait, il y a peu d’études sur cette espèce. »
Patrick Durocher estime pour sa part qu’il y a trop d’écureuils à Montréal. Propriétaire de Déprédateur urbain, une entreprise montréalaise spécialisée dans la gestion d’animaux nuisibles, il indique que l’écureuil gris est l’animal urbain qui fait l’objet du plus grand nombre d’interventions de son entreprise chaque année. « Et ils vont continuer à proliférer », dit-il.
Dans les parcs, ils peuvent atteindre 50 individus par hectare, ce qui est énorme.
Il faut savoir que chaque femelle peut avoir deux portées par année et qu’elle donne généralement naissance à entre quatre et six petits. En moyenne, seulement deux parviennent à la vie adulte, explique Patrick Durocher.
Il ne croit pas pour autant qu’il faille réduire leur population. Selon lui, éliminer des individus aura simplement pour effet d’augmenter le nombre de petits capables d’atteindre l’âge adulte. « Il faudrait que ce soit très intense comme élimination. »
Généralement, son entreprise intervient parce qu’un écureuil a trouvé refuge dans le grenier des résidences. Selon lui, le nombre restreint d’arbres de grande taille en ville et les grands vents rendent hasardeuse la construction de leur nid, composé d’un amoncellement de feuilles, c’est pourquoi les écureuils trouvent refuge dans les résidences.

Patrick Durocher ne recommande pas non plus de relocaliser les écureuils et il le fait très rarement. « Dès qu’on en enlève un, c’est comme une vis sans fin, il est remplacé par un autre », dit-il. Et s’il faut les capturer et les relocaliser, non seulement on déplace le problème ailleurs, mais la facture grimpe rapidement pour le client, soutient-il.
Comportement problématique
Il reste que les écureuils sont responsables de bien des dommages, ce qui leur attire les foudres des citoyens, notamment des jardiniers. Certains polissons ne se contenteront pas de croquer les tomates ou de déterrer les bulbes de fleurs, mais iront jusqu’à saccager les meubles de jardin, à détruire les bancs de vélo, à percer les bacs de compostage et à ronger les fils. « Je ne crois pas que ce soit tous les écureuils qui vont créer de gros dégâts », indique Denis Réale. « On a une grosse variabilité dans les comportements. Je pense que certains sont des individus à problèmes, probablement à cause de leur personnalité et de leur capacité à prendre des risques. »
Patrick Durocher est du même avis. Selon lui, la meilleure solution à envisager, c’est de faire en sorte de les éloigner et de ne pas les nourrir.
Parmi les pires cas de dommages qu’il a vus, il cite celui d’une maison de Laval où les écureuils avaient rongé tous les fils dans le grenier, causant pour 15 000 $ de dommages. Dans un autre cas, un écureuil avait détruit tout le câblage à l’intérieur d’une voiture, et ce, à deux reprises.
Pourquoi les écureuils s’attaquent-ils aux fils ? D’une part, parce qu’il s’agit de rongeurs, mais certains, parmi lesquels Patrick Durocher, soupçonnent qu’un produit présent dans le plastique recouvrant les fils les attire.
À ce sujet, l’American Public Power Association soutient que les écureuils figurent parmi les principales causes de pannes de courant aux États-Unis. En juin 2018, un écureuil avait d’ailleurs été à la source d’une importante panne informatique au Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
En 2021, des citoyens excédés avaient lancé une pétition pour que la Ville de Montréal procède au contrôle de la population d’écureuils. Denis Réale doute qu’une telle opération soit réellement utile et que ses coûts soient justifiables. Quant à recourir à la contraception, il faudrait s’assurer que seuls les écureuils ont accès aux aliments contenant le contraceptif et cette option pourrait être fort coûteuse d’autant qu’il faudrait la répéter chaque année, fait-il remarquer.
C’est toutefois une stratégie envisagée par le Royaume-Uni, où l’écureuil gris, originaire de l’Amérique du Nord, a été introduit au XIXe siècle. Il y a prospéré au point de devenir une sérieuse menace pour l’écureuil roux européen. On compterait aujourd’hui 2,7 millions d’écureuils gris au Royaume-Uni, où il cause d’importants dommages aux arbres en retirant leur écorce, ce qu’il a moins l’habitude de faire en Amérique du Nord, note Denis Réale. D’autres pays européens, dont l’Italie, sont aussi aux prises avec cette espèce jugée envahissante.
Quelques astuces
Aux prises avec des écureuils destructeurs, les jardiniers urbains ont recours à toutes sortes de stratégies pour tenter de les éloigner de leurs cultures : poils de chien, urine de coyote, fumier de poule, cheveux humains, poivre de cayenne, Vick’s, menthe ou savon Irish spring.
Propriétaire de Déprédateur urbain, Patrick Durocher estime que l’efficacité de ces méthodes n’est pas démontrée. Le fumier de poule, le poivre de Cayenne et, dans une moindre mesure, le poil de chien peuvent avoir un certain effet dissuasif, mais pas nécessairement durable, dit-il.
La solution la plus efficace consiste à recouvrir les bulbes plantés d’un grillage et à enfermer son jardin dans une cage, dit-il.