Quels chantiers pour le premier et le deuxième lien?

Inauguré en 1970, le pont Pierre-Laporte, qui absorbe les trois quarts des flux de circulation entre les deux rives et la totalité du transport en camion, doit faire l'objet de travaux majeurs.
Photo: Olivier Zuida Archives Le Devoir Inauguré en 1970, le pont Pierre-Laporte, qui absorbe les trois quarts des flux de circulation entre les deux rives et la totalité du transport en camion, doit faire l'objet de travaux majeurs.

Avec l’abandon du projet de troisième lien autoroutier dans la région de Québec, les yeux se tournent vers les autres liens entre les deux rives : les ponts et le traversier. Tous les trois nécessitent des investissements majeurs, et certains experts jugent même qu’on ne les utilise pas de façon « optimale ».

« On dirait que le troisième lien a pris tout l’oxygène », déplore Angèle Pineau-Lemieux, porte-parole de l’organisme Accès transports viables. « On n’a pas fait la preuve qu’on a optimisé les deux liens existants. »

Inauguré en 1970, le pont Pierre-Laporte absorbe les trois quarts des flux de circulation entre les deux rives et la totalité du transport par camion. Il est pratiquement utilisé à sa capacité maximale pour ce qui est de la circulation automobile, avec 107 000 passages par jour en moyenne.

Mais Mme Pineau-Lemieux et d’autres estiment que l’on n’a pas assez fait pour favoriser le transfert modal vers le transport en commun. « Il y a neuf voies automobiles sur les ponts de Québec et Pierre-Laporte réunis. Là-dessus, il y a une piste cyclable qui n’est même pas fonctionnelle, et il n’y a aucune voie réservée au transport en commun. […] En ce moment, on met en place des voies réservées sur la Rive-Sud et sur la Rive-Nord, mais pas sur les ponts ! »

De plus en plus de voix réclament qu’on insère au centre du pont Pierre-Laporte une voie réversible qui pourrait changer de direction en fonction du trafic, aux heures de pointe. Le chef de l’opposition à la ville de Québec, Claude Villeneuve, en a pratiquement fait un cheval de bataille. « Ça aurait pu être envisagé par le gouvernement depuis plusieurs années pour améliorer la fluidité, dont on verrait déjà des résultats aujourd’hui si on n’avait pas fait une obsession sur un tunnel qui ne se fera pas », déclarait-il récemment à Radio-Canada.

La semaine dernière, lors de l’étude de crédits du ministère des Transports, la ministre Geneviève Guilbault a été longtemps questionnée à ce sujet.

L’une des études portant sur le troisième lien, en 2021, qu’elle avait rendues publiques, concluait que l’idée d’une voie réversible était réalisable à « très court terme » sur le pont Pierre-Laporte. Le Groupement mobilité inter-rives, qui a réalisé l’étude, suggérait de l’insérer au centre du pont en recourant à une glissière mobile.

La ministre Guilbault réticente

Mais la ministre Guilbault reste sceptique. « Ce n’est pas une solution qui doit être vue de manière simpliste comme étant une panacée », a-t-elle répondu lors de l’étude des crédits. Et d’ajouter qu’il faudrait rétrécir la largeur des six voies actuelles pour y arriver, ce qui pourrait poser des « préoccupations de sécurité ».

Elle a aussi mentionné que le goulet d’étranglement aux heures de pointe découle également de l’aménagement à l’entrée des ponts, où des travaux sont en cours du côté de Québec. « Déjà, en réaménageant, ça va nous aider à [assurer] la fluidité sur les ponts. »

Ce vaste chantier de réaménagement, qui pourrait dépasser le milliard de dollars, n’est pas tout jeune. Les premières annonces dans le dossier ont été faites quand les libéraux étaient au pouvoir, il y a plus d’une décennie. Coordonné avec la mise en service du tramway, le projet doit aboutir en 2028.

Pendant ce temps, le pont Pierre-Laporte doit, lui aussi, faire l’objet de travaux majeurs.

C’est une occasion manquée. On ne fait pas des travaux tous les cinq ans… C’est dommage de ne pas en profiter.

 

En juin 2022, l’émission Enquête révélait que les suspentes — les câbles d’acier verticaux qui relient le tablier du pont au haut de la structure — se dégradaient et devaient être remplacées. Les travaux — qui s’étalent dans le temps parce qu’on ne peut réparer que quelques suspentes à la fois — s’échelonneront sur des années.

Quant au vieux pont de Québec, il faut le repeindre à grands frais, et le partage de la facture estimée à 800 millions de dollars donne lieu à un affrontement interminable entre Québec, Ottawa et le Canadien National (son propriétaire), qui bataillent dans ce dossier depuis les années 1990, aucun accord n’ayant encore été conclu. Le gouvernement fédéral s’est engagé en 2021 à le racheter, mais les négociations s’éternisent. L’homme d’affaires Yvon Charest, qui a été nommé en 2019 pour faire avancer le dossier, espérait un règlement en janvier dernier.

Des travaux sont également au programme pour rénover le tablier de ce pont cantilever centenaire. Or le projet n’inclut pas l’abaissement dudit tablier, qui est pourtant nécessaire si on souhaite implanter un jour un mode de transport lourd sur la structure, déplore Angèle Pineau-Lemieux. « C’est une occasion manquée. On ne fait pas des travaux tous les cinq ans… C’est dommage de ne pas en profiter. »

Cibler de « grands corridors prioritaires »

Un avis que partage Fanny Tremblay-Racicot, professeure en administration municipale à l’École nationale d’administration publique. « On devrait implanter un bus à haut niveau de service sur le pont de Québec », fait-elle valoir.

Le transfert modal des voitures vers le transport en commun est particulièrement crucial dans la région de Québec, fait-elle valoir, parce que les transports sont responsables de plus de 50 % des gaz à effet de serre, bien au-delà de la moyenne de 45 % pour l’ensemble du territoire.

Rappelons que le projet de tramway à Québec ne traversera pas le fleuve vers la Rive-Sud. La ligne s’arrêtera toutefois à proximité des ponts sur le boulevard Laurier dans un futur pôle d’échange. Les gens qui se déplacent en bus le matin de Lévis à Québec pourraient toutefois y transiter.

Pour Mme Tremblay-Racicot, il est franchement désolant que la région de Québec n’ait pas une société de transport unique, comme l’Agence régionale de transport métropolitain à Montréal, qui pourrait cibler de « grands corridors prioritaires ».

« Quand les autobus de la Société de transport de Lévis (STL) viennent à Québec pour déposer des gens, ils ne peuvent pas en prendre au passage », souligne-t-elle. « Si, au moins, il y avait une fusion ou des façons d’améliorer les liens inter-rives en transport collectif, ce serait au moins de la bonne gestion. » L’idée n’est pas nouvelle, fait-elle remarquer, puisque c’est exactement ce que préconisait la Communauté métropolitaine de Québec dans son Plan métropolitain d’aménagement et de développement en 2012. Le document préconisait « l’harmonisation des services de transport à l’échelle du territoire métropolitain ».

Traversiers sans voitures

Restent les traversiers. Un autre service qui est loin d’être optimal et qui nécessite, lui aussi, d’imposants travaux. « Il faut planifier la suite parce que les bateaux arrivent en fin de vie », note Mme Tremblay-Racicot. Le problème, mentionne-t-elle, c’est que la Société des traversiers du Québec prévoit les remplacer par des navettes fluviales pour cyclistes et piétons, que les autos ne pourront pas emprunter.

Pourtant, l’accès aux traversiers est ardu lorsqu’on n’a pas de véhicule. Du côté de Québec, il n’est pas relié à un service de transport en commun à haute fréquence. C’est la même chose du côté de Lévis, mais, en plus, il faut gravir une bonne côte pour rejoindre la ville, une difficulté supplémentaire si on est à vélo, par exemple.

Angèle Pineau-Lemieux relate avoir expérimenté à la dure l’an dernier le transport en commun lorsqu’elle a tenté de se rendre sans voiture à une réunion à Lévis  en partant de Québec. « J’ai voulu prendre le traversier à pied et prendre le bus à l’arrivée. Il fallait que j’attende 45 minutes pour un autobus, qui allait me faire prendre un grand détour. Alors, j’ai décidé de marcher et suis arrivée à ma réunion en sueur. Ce n’était clairement pas optimal. »


Une version précédente de ce texte, qui indiquait que Fanny Tremblay-Racicot considérait l'implantation d'un tramway à haut niveau de service sur le pont de Québec, a été modifiée.

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