Une boule de cristal pour les transports

Gabrielle Anctil
Collaboration spéciale
Afin d’avoir un portrait plus représentatif de la mobilité, la manière de poser les questions doit être revue lors des enquêtes sur les habitudes de déplacements, croit Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal.
Jean-François Bruneau IVADO-CIRRELT Afin d’avoir un portrait plus représentatif de la mobilité, la manière de poser les questions doit être revue lors des enquêtes sur les habitudes de déplacements, croit Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal.

Ce texte fait partie du cahier spécial 90e Congrès de l’Acfas

Spécialiste en modélisation de la demande de transport, Catherine Morency est habituée de prédire l’avenir. Grâce aux données d’usage des cartes OPUS, aux compteurs de vélos sur les pistes cyclables, aux recensements des passages de voitures sur les ponts et à diverses autres sources d’information, la chercheuse peut tracer des courbes prédisant comment la population utilisera ces divers moyens de transport dans l’avenir.

Enfin, tout cela était vrai jusqu’à l’arrivée de la pandémie de COVID-19. « Les gens ont eu besoin de changer complètement leurs manières de se déplacer. Ils ont pris de nouvelles habitudes », explique celle qui est professeure titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines à Polytechnique Montréal. Résultat : toutes ses prévisions, qui se basaient sur des tendances observées pendant plusieurs années, sont devenues caduques.

C’est pour réfléchir aux manières d’adapter leurs méthodes d’analyse que Catherine Morency et son collègue Martin Trépanier, professeur titulaire au Département de mathématiques et de génie industriel à la même université, tiendront un colloque intitulé Défis de la modélisation de la demande de transport dans un monde post-COVID dans le cadre du prochain congrès de l’Acfas.

Déplacements irréguliers

L’abandon récent de la portion automobile du controversé projet de troisième lien a démontré hors de tout doute la pertinence des données collectées par les deux chercheurs. Celles-ci permettent en effet aux différents gouvernements de planifier les développements du réseau routier.

L’un des principaux outils pour mesurer la mobilité est les enquêtes origine-destination, lors desquelles entre 5 % et 15 % des ménages de la province sont interrogés à propos de leurs habitudes de déplacement hebdomadaires. Menées tous les cinq ans, ces enquêtes permettent de tracer un portrait des journées « types » en matière de transport. Avant la pandémie, le sondage permettait de créer trois grandes catégories : les jours de semaine, le samedi et le dimanche. « Maintenant, on ne peut plus demander aux gens “Vous avez fait quoi hier ?”, parce que les comportements changent de jour en jour, constate Catherine Morency. Peut-être que la veille la personne était en télétravail. » 

Le colloque permettra justement aux experts de discuter de la modernisation de ces méthodes d’enquête. « On doit changer la manière de poser nos questions pour avoir un portrait représentatif de la mobilité sur une semaine », explique la chercheuse. Le sondage, qui était jusqu’alors mené par téléphone, se fera désormais sur le Web, ce qui permettra de joindre une tranche plus variée de la population. Catherine Morency espère aussi que ces enquêtes pourront être tenues sur une base annuelle pour obtenir des données plus granulaires.

Données longitudinales

Pour donner un sens à tous ces changements, les chercheurs disposent aussi d’une montagne de données collectées en continu. Autopartage, Bixi, déplacements autoroutiers… « On a les données de comptage pour chaque heure, résume Catherine Morency. On ne sait pas qui se déplace, on ne sait pas pourquoi, on ne sait pas quel âge les personnes ont ni où elles vont, mais on a une vue sur l’intensité de l’utilisation de certains services. » Ces données permettent par exemple de comprendre les effets de la pandémie sur les transports en commun. « Pendant la pandémie, on disait beaucoup que les gens ne prenaient plus le transport en commun. Mais on ne se demandait pas si les gens se déplaçaient encore dans le même corridor. On commence à dégager les effets systémiques du télétravail. »

Tout ce travail vise un but : « La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a dit vouloir inciter les gens à renoncer à l’auto solo », rappelle Catherine Morency. Grâce à ses travaux et à ceux de ses collègues, on comprend mieux les mécanismes qui permettent d’y parvenir. « L’autopartage en station, où une voiture est disponible pour location dans un lieu prédéterminé, permet de remplacer un véhicule », confirme-t-elle. Pour le moment, cette approche est la seule qui permet réellement aux ménages de se débarrasser d’une deuxième voiture.

« On travaille encore beaucoup avec les données d’avant la COVID », indique Martin Trépanier. Les modèles doivent être adaptés pour intégrer nos nouvelles habitudes : le magasinage en ligne, les déplacements hors pointe, les déménagements hors des grands centres. « On observe une rupture historique, conclut Catherine Morency. On ne peut plus poursuivre la tendance [établie avant la pandémie]. »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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