La carte OPUS, un modèle désuet?
La carte OPUS, que l’on utilise pour monter à bord des autobus et du métro montréalais, est-elle désuète ? Une entreprise européenne propose de mener des projets pilotes au Québec afin de permettre aux usagers du transport en commun qui le souhaitent de compter sur une application mobile pour payer chacun de leurs trajets. Une initiative qui pourrait contribuer à accroître l’usage du transport en commun, selon des experts.
L’entreprise de logiciels Fairtiq, basée en Suisse, s’est inscrite au Registre des lobbyistes du Québec en début d’année avec l’intention de lancer « le premier projet pilote de billetterie automatique pour le transport en commun en Amérique du Nord en collaboration avec une entité publique au Québec ».
Depuis, des discussions ont eu lieu avec plusieurs sociétés de transport de la province, ont confirmé celles-ci au Devoir. Parmi celles que tente de convaincre l’entreprise suisse, on compte la Société de transport de Montréal (STM), celle de Laval (STL), le Réseau de transport de Longueuil et leurs équivalents à Trois-Rivières, à Québec et en Outaouais. L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) est aussi dans la ligne de mire de l’entreprise, puisque c’est elle qui est responsable de la gestion de la tarification du transport en commun dans la grande région de Montréal.
« Le Québec est un endroit qui est une très bonne plateforme de lancement pour les compagnies européennes, parce que la sensibilité y est plus proche à l’endroit de l’Europe que dans le reste de l’Amérique du Nord », estime Antoine Belaieff, qui est responsable des « nouveaux marchés » pour Fairtiq. « Je pense qu’il y a un réel potentiel », ajoute-t-il en entrevue avec Le Devoir.
En Europe, l’entreprise s’est implantée au cours des dernières années dans plusieurs régions d’Allemagne et d’Autriche, de même qu’en Suisse, entre autres. Son modèle permet aux usagers du transport en commun de signaler le début de leur trajet dans l’application mobile, en balayant l’écran de leur téléphone. Celle-ci génère ensuite automatiquement les billets nécessaires pendant le trajet parcouru, grâce à la géolocalisation. Une fois à destination, le client met fin à son trajet en le signalant à l’application, qui génère ensuite une facture à payer pour le déplacement effectué.
L’application génère d’ailleurs un code QR qui peut être lu par un lecteur optique dans les stations de métro et les gares de train, explique Antoine Belaieff. Ce code peut aussi servir à valider auprès d’un contrôleur qu’on a bel et bien payé son trajet en transport en commun, relève-t-il.
« On perd des occasions »
L’entreprise propose ainsi de mettre fin à l’idée qu’il faut prévoir ses déplacements en transport en commun en se procurant des billets en amont, comme c’est le cas à Montréal actuellement. « Si on pense à l’électricité, par exemple, on consomme et ensuite on paie. C’est quand même un anachronisme qu’il faille payer d’avance pour le transport en commun », estime Antoine Belaieff.
« On perd des occasions », constate également le chargé de cours à l’Université de Montréal et expert en planification des transports Pierre Barrieau, qui constate que la rigidité du modèle de tarification actuel dans le réseau du transport en commun montréalais nuit à l’attractivité de celui-ci.
Si la carte OPUS est vide, on ne peut pas entrer dans un autobus et la remplir
L’utilisation d’une application mobile permet en outre la possibilité d’offrir des rabais aux usagers qui utilisent le transport en commun en dehors des heures de pointe, ou encore pour se rendre à certains endroits précis où se tiennent des festivals en été, indique M. Belaieff.
« En cas de panne de métro, il pourrait également y avoir un tarif préférentiel avec Uber, ce serait aussi intégré. Il y a des choses comme ça que ces plateformes permettent de faire », dit de son côté Pierre Barrieau. Le professeur Jean-Philippe Meloche, de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage à l’Université de Montréal, note que le recours à une telle application mobile permettrait de « mieux planifier le transport en commun » en facilitant une meilleure compilation des données sur les habitudes de déplacement des usagers.
Jointe par Le Devoir, la STM a confirmé avoir été « contactée » par Fairtiq « dans le passé ». « Nous avons échangé avec eux, à titre exploratoire, pour mieux comprendre les possibilités de leur solution technologique. Finalement, nous avons conclu que leur application, à l’époque, n’était pas adaptée à la réalité de notre réseau et que, même sur le mode du projet pilote, les limites étaient trop contraignantes pour présenter un réel potentiel d’application à notre échelle », indique un porte-parole, Philippe Déry.
L’ARTM, qui n’a pas voulu commenter ce dossier, travaille d’ailleurs actuellement sur un projet visant à réunir au sein d’une même application de nombreux modes de transport, comprenant le Bixi, Communauto, le métro et différents réseaux de bus, notamment. L’application Chrono deviendrait alors un portefeuille unique pour une vaste gamme de modes de transport, facilitant les déplacements et la gestion du paiement de ceux-ci par les usagers.
La Société de transport de Trois-Rivières (STTR) a pour sa part été sollicitée par Fairtiq en février 2021 pour réaliser un projet pilote sur son territoire. « C’était un projet intéressant, mais c’était assez dispendieux », indique en entrevue le directeur des communications de la STTR, Charles-Hugo Normand. La possibilité d’implanter des valideurs reconnaissant les codes QR s’accompagnait notamment de « frais importants », explique-t-il, tout en reconnaissant que ce projet comportait « plusieurs avantages » pour les usagers. « Mais pour nous, comme petite société de transport, ç’aurait été un gros projet, donc on a décidé de prioriser d’autres dépenses. »
La carte de crédit a la cote
La STM a d’autre part entamé l’installation l’an dernier de nouveaux tourniquets dans son réseau du métro qui pourront à terme lire les cartes bancaires de même que les codes QR. L’ARTM a également lancé un appel d’offres le mois dernier pour trouver un fournisseur qui sera en mesure de créer un système qui permettra de recharger sa carte OPUS au moyen de son téléphone cellulaire. Une mesure qui pourrait se concrétiser l’an prochain.
Ces mesures pourraient faciliter les déplacements des usagers de la STM, car actuellement, par exemple, « si la carte OPUS est vide, on ne peut pas entrer dans un autobus et la remplir. C’est assez fascinant », indique Jean-Philippe Meloche.
À Toronto, au cours des dernières semaines, les tramways, les bus et les stations de métro ont été progressivement munis de nouvelles bornes Presto, qui acceptent les paiements par cartes de crédit, cartes de débit ou avec un téléphone intelligent. À Vancouver, il est possible de payer son trajet de métro par carte de crédit depuis 2018, comme c’est le cas à Laval depuis 2017 dans le cadre d’un projet pilote qui ne s’est pas encore étendu ailleurs dans la région métropolitaine. À Londres, on peut payer par carte de crédit dans le métro depuis 2012.