La Ville de Québec en chantier pour «rééquilibrer la Force» sur ses routes

Québec, ville de l’auto, ambitionne de confondre les sceptiques. La capitale est en chantier pour repenser sa mobilité avec, à sa tête, une administration convaincue qu’une ville qui va dans le bon sens est une ville qui n’avance plus systématiquement en voiture.
Jeudi midi, devant la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France, le maire de Québec a prononcé un discours devant un parterre de gens d’affaires de l’Hexagone pour les convaincre de venir semer leurs rêves d’expansion américaine dans les terres fertiles de la capitale québécoise.
À cette occasion, Bruno Marchand a souligné la bonne santé économique de sa ville, où le chômage atteint un creux de 1,7 %, symptôme d’une croissance qui n’a jamais fléchi en 20 ans. Il a aussi martelé un argument nouveau dans le discours de séduction de la capitale : la mobilité change à Québec, l’ère du règne sans partage de l’automobile tire à sa fin.
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Ce texte est publié via notre section Perspectives.
« La première question que les gens nous posent quand ils viennent chez nous, c’est : “Comment vous vous déplacez ?” Désormais, a-t-il souligné dans la Ville Lumière, les réponses vont être multiples. La tendance, ce n’est plus de dire : “Tu prends le transport collectif ou tu prends l’auto, et il n’y a rien entre les deux.” Le travailleur moderne, c’est un travailleur qui parfois va prendre l’auto, parfois va prendre le tramway, parfois va utiliser la micromobilité, tantôt le covoiturage, tantôt la location de voitures. La ville de Québec se prépare, a souligné le maire. Elle a déjà entamé sa transformation. »
Rééquilibre la Force sur les routes
À 5000 kilomètres et quelques méridiens du palais où Bruno Marchand prenait la parole jeudi, Le Devoir rencontrait les deux élus qui pilotent l’avènement de cette nouvelle mobilité dans la capitale.
Au conseil exécutif, c’est Pierre-Luc Lachance et Maude Mercier Larouche qui portent les dossiers de transport. Les deux incarnent, chacun à sa manière, les nouvelles façons de se déplacer que leur équipe rêve d’enraciner dans les habitudes de Québec.
Lui fait partie des cyclistes utilitaires qui préfèrent avoir les deux mains sur le guidon que sur le volant au quotidien. Elle a grandi à Sillery, un quartier où elle élève désormais ses deux enfants, sans jamais posséder de voiture. Les Mercier Larouche se déplacent majoritairement à bord des autobus du RTC, le Réseau de transport de la Capitale, dont la conseillère occupe, depuis l’élection de novembre 2021, la présidence.
Les deux réfutent l’idée qu’une guerre à l’auto bouillonne en ville. Amateur de Star Wars, Pierre-Luc Lachance préfère évoquer un nécessaire « rééquilibrage de la Force » sur les routes.
« Quand nous regardons la croissance de la population, nous savons que nous arrivons aux limites de notre capacité. Quelqu’un qui fait le choix du vélo ou du transport en commun, ça libère de la place sur notre réseau, indique le bras droit du maire au conseil exécutif. Cet équilibre-là est aussi important pour les automobilistes qui ont besoin de prendre leur véhicule. »
Présentement, la voiture demeure fortement ancrée dans les préférences de la population de Québec. Selon la dernière enquête Origine-Destination parue en 2017, neuf déplacements de moins de cinq kilomètres sur dix se réalisent toujours en auto dans la capitale nationale. Là où plusieurs verraient un défi, Pierre-Luc Lachance préfère, lui, voir un « potentiel énorme ».
« Une distance de cinq kilomètres à bicyclette, c’est accessible pour plusieurs personnes, mais le vélo utilitaire, ç’a toujours été la lacune de notre réseau, admet celui qui pilote la mobilité active à la Ville. Si nous réussissons à prendre ces 90 % de gens qui utilisent présentement leur voiture et que nous leur offrons assez de bonnes solutions pour que le choix du vélo se fasse, naturellement, le vélo utilitaire va devenir une façon de se déplacer plus prépondérante. Pour nous, à partir de là, tout le monde a un gain : sur le plan de la santé, de l’environnement, de la fluidité, c’est gagnant, gagnant, gagnant pour tout le monde. »
Québec promet de dérouler 120 km de pistes cyclables pour porter son réseau à 500 km d’ici 2026. Plusieurs corridors Vélo-Cité, inspirés du REV de Montréal, verront le jour d’ici là, dont un dès cet été entre l’Université Laval et le Vieux-Québec.
Révision du stationnement
Une réflexion sur le stationnement débutera au cours des prochains mois à Québec. Pierre-Luc Lachance précise que le ratio de stationnements exigé aux abords du futur tramway pourrait être revu à la baisse étant donné la facilité d’accès au transport collectif qui apparaîtra le long du parcours de 19,3 kilomètres. La Ville de Québec indique qu’en 2020, 48,1 % de son « périmètre d’urbanisation » était minéralisé, une proportion qui exclut la surface couverte par des lacs et des cours d’eau.Un appétit pour délaisser l’auto
Malgré la primauté actuelle de l’automobile, la soif des gens de Québec pour une mobilité différente existe, selon Maude Mercier Larouche. Le Bixi de la capitale, baptisé àVélo, suscite un engouement dans tous les coins de la ville. « Si Maude écoutait l’ensemble des demandes formulées par les collègues du conseil municipal, nous aurions une explosion d’àVélo cette année, rigole Pierre-Luc Lachance. Je ne connais pas un coin de Québec qui ne veut pas le service. »
À ses balbutiements en 2021, ce service de bicyclettes électriques partagées avait des ambitions modestes : à peine 100 vélos répartis entre 10 stations. « Nous venions tester un peu l’appétit, explique Maude Mercier Larouche. L’appétit, je peux vous dire que c’était glouton : les gens en voulaient et en demandaient plus ! »
À sa deuxième année, le service assurait déjà plus de 185 000 déplacements. À quelques jours du lancement de sa troisième saison, il compte désormais 780 vélos et 74 stations. L’an prochain, àVélo doit offrir 1000 petites reines électriques éparpillées dans 100 stations : une croissance de 1000 % en seulement quatre ans.
« C’est là que ça devient intéressant : plus le réseau grandit, plus les gens l’essaient et en voient les bénéfices », affirme Maude Mercier Larouche. Vu l’engouement, la Ville réfléchit à étendre le service dans la périphérie au cours des prochaines années.
Une image à façonner
Dans cette nouvelle mobilité, Québec n’oublie pas ses banlieues. Le Flexibus, qui circule dans les quartiers périphériques de la capitale depuis 2022, offre un service de minibus sur demande, qui embarque l’usager à sa porte et le dépose devant sa destination pour le prix d’un billet d’autobus. Depuis son lancement, le système a assuré plus de 76 000 déplacements.
« C’est extraordinaire parce que c’est une solution de rechange à la voiture, explique la conseillère de Sillery. Il y a des parents qui nous ont dit que nous avions libéré leurs soirées, parce que Flexibus permet de transporter leurs jeunes à l’aréna, même tard le soir, en leur évitant de prendre leur voiture. »
La mobilité constitue le moteur d’un changement plus profond que l’administration de Bruno Marchand désire enraciner à Québec. En campagne électorale, son parti promettait notamment de développer de petites rues commerçantes dans chaque quartier de la ville pour insuffler une économie de proximité en périphérie. Le transport constitue une des pièces maîtresses de cet engagement, dixit Pierre-Luc Lachance.
« Comment nous assurer que des gens fréquentent ces commerces dans leur quartier ? C’est en leur offrant des moyens de transport simples et sécuritaires pour s’y rendre. Pour nous, tout ça est cohérent. Partout où le choix cycliste a bien été exécuté, nous voyons que ç’a amené un dynamisme économique. »
C’est l’identité de Québec comme ville reine de l’automobile que la vision de l’administration en place vient écorcher. « J’ai grandi à Québec avec l’image, dans les années 1990, que Québec était la “vieille capitale”. Je pense qu’aujourd’hui, nous n’avons plus cette image-là : nous avons celle d’une capitale moderne, qui change et qui s’adapte. »