Peu d’appuis au troisième lien sans voitures

Trop cher, trop gros, difficile à justifier… L’idée d’un troisième lien consacré uniquement au transport en commun suscite surtout du scepticisme au lendemain de l’abandon par le gouvernement Legault de la portion consacrée aux voitures.
« Ça ne se fera jamais. On n’est pas assez riches », a dit Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mobilité des personnes. « Si on avait autant d’argent que ça, est-ce que c’est vraiment le projet qu’on voudrait faire ? Est-ce que c’est à cet endroit-là qu’il y a le plus de besoins en matière de mobilité ? […] Ça fait cher pour amener du transport en commun à cet endroit-là. »
Dans sa dernière présentation, en 2022, le gouvernement Legault estimait qu’il en coûterait 6,5 milliards pour réaliser le tunnel Québec-Lévis. Mais tout laisse croire que la facture a augmenté de façon substantielle depuis, en raison de l’inflation.
Mme Morency affirme depuis des années que la construction d’un tunnel autoroutier ne constitue pas une solution à la congestion automobile. Or, elle doute aussi du potentiel de la nouvelle option. Un éventuel tunnel mettrait des années avant d’être accessible, dit-elle. Il faudrait agir bien avant pour améliorer la mobilité de la population de la Rive-Sud. « Pourquoi ne met-on pas des bus express en disponibilité rapidement pour répondre aux besoins dans ce corridor au lieu de dire aux gens que, dans 15 ans, ils auront un autre mode de transport ? C’est un peu absurde. »
Un avis que partage en substance Marie-Hélène Vandersmissen, spécialiste de la géographie des transports à l’Université Laval. « Ce n’est pas parce que c’est un projet en transport en commun que c’est forcément un bon projet », fait-elle remarquer. Parlant d’un « investissement énorme » et d’un « pari risqué », elle y voit un « risque de créer une grosse infrastructure sous-utilisée qui ferait en sorte de tuer le transport en commun entre les deux rives. »
Un projet « porteur », selon Guilbault
Même Québec solidaire n’était pas prêt mercredi à donner un appui clair à ce projet. Gabriel Nadeau-Dubois a répété qu’il avait « un préjugé favorable » envers les projets de transport en commun, mais pas à tout prix. « Encore faut-il que ce soit un bon projet, qui répond aux besoins des gens, qui est appuyé par des études, qui a un coût qui est raisonnable. On n’a pas ces informations-là pour le moment. »
Les libéraux affichaient eux aussi une certaine prudence. Le chef intérimaire du PLQ, Marc Tanguay, a souligné que les tunnels menaient à « une explosion des coûts » et qu’il voulait prendre connaissance de la présentation de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, jeudi, avant de prendre position.
Le Parti québécois et le maire de Québec, Bruno Marchand, ont été les seuls à manifester un certain enthousiasme par rapport au projet.
Pendant la campagne électorale, les péquistes avaient proposé un projet de tunnel destiné uniquement à un train léger entre les deux villes. « Évidemment qu’on se réjouit, mais on a une demande précise : relier ce tunnel de transport collectif avec le réseau de tramway », a dit le chef, Paul St-Pierre-Plamondon.
Quant au maire de Québec, il y voit « un choix logique qui s’imposait » . « Il témoigne aussi d’un leadership nécessaire, a ajouté Bruno Marchand, dans un temps d’incertitude relié à la crise climatique. »
Geneviève Guilbault doit présenter jeudi la nouvelle version du projet de troisième lien consacré uniquement au transport en commun. Selon nos informations, elle va également rendre publiques les études d’achalandage ayant mené à l’abandon du volet automobile du projet.
« Nous irons de l’avant avec un projet porteur pour nos deux régions », a-t-elle déclaré lors de la période de questions.
Selon des sources proches du dossier, le gouvernement ne compte pas chiffrer les coûts du projet révisé. Reste à savoir si l’accent sur le transport en commun pourra faciliter l’octroi d’un financement par le fédéral, qui a créé en 2021 un fonds permanent de 3 milliards par année pour le financement des projets en transport collectif. À titre d’exemple, Ottawa a financé 40 % du projet de tramway à Québec (1,2 milliard).
Mercredi, le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales et de l’Infrastructure, Dominic LeBlanc, a laissé la porte ouverte. « Une conférence de presse ne constitue pas le dépôt d’un projet d’une envergure aussi importante. Mais je pense que ça s’enligne vers une conversation constructive », a-t-il confié au Devoir.
Avec Sébastien Tanguay et Marie Vastel
Ils avaient déjà déclaré
« Il faudrait peut-être parler un peu aussi de sécurité du réseau, hein ? Le pont Pierre-Laporte, si on se projette dans le temps, en 2050, une quinzaine d’années après l’ouverture du tunnel, il aura près de 80 [ans], hein ? Le pont de Québec, 130 ans. »- François Bonnardel, le 19 octobre 2021, alors qu'il était ministre des Transports du Québec
- Geneviève Guilbault, le 1er mai 2019, alors qu'elle était ministre de la Sécurité publique et vice-première ministre du Québec
- François Legault, le 19 novembre 2019, lors de son premier mandat comme premier ministre du Québec
- Bernard Drainville, le 2 septembre 2022, alors qu'il était candidat pour la CAQ dans la circonscription de Lévis