La réaffectation de l’entrepôt Van Horne sème l’inquiétude

« C’est moche », « gentrification agressive », « la communauté n’en veut pas »… Les Montréalais sont nombreux à manifester leur inquiétude sur les réseaux sociaux cette semaine à l’égard du projet de la société immobilière Rester Management de construire un hôtel, des bureaux et des commerces dans l’emblématique entrepôt Van Horne du Mile End.
Puisque le projet déroge à plusieurs dispositions du règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal et que le bâtiment revêt une importance patrimoniale et affective pour les résidents du secteur, la Ville de Montréal a exceptionnellement lancé lundi un questionnaire en ligne afin de prendre le pouls des citoyens.
C’est le conseil d’arrondissement qui, à la suite d’un avis de son comité consultatif d’urbanisme, devra déterminer d’ici l’automne si la demande de « projet particulier de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble » du promoteur sera acceptée ou non. La décision de l’arrondissement sera donc, en l’occurrence, éclairée par l’avis des citoyens.
Depuis lundi, les réseaux sociaux s’enflamment et le questionnaire en ligne connaît un fort achalandage. « Je suis assez soufflée par les chiffres », explique la conseillère municipale qui représente le district du Mile End, Marie Plourde. Au moment où ces lignes étaient écrites, plus de 6300 personnes avaient répondu au sondage. « Normalement, quand on obtient entre 300 et 700 réponses, on est très contents », note la conseillère.
« Il faut accueillir favorablement cette sensibilité, estime Paloma Castonguay-Rufino, étudiante au doctorat en architecture à l’Université de Montréal. On a la possibilité de faire un projet exemplaire. »
Une architecture controversée
Plus de 300 personnes ont d’ailleurs commenté une publication Facebook de la Ville de Montréal qui annonce le lancement de la consultation. « C’est moche, c’est lourd », s’est insurgée une internaute, qui déplore un manque de verdure.

« La section arrière me dérange énormément, a commenté un autre. Pourquoi encore une structure monstrueuse, laide et, surtout, qui ne cadre absolument pas avec le reste du bâtiment, qui est en brique ? »
Le projet, conçu par le designer Zébulon Perron et l’architecte Thomas Balaban, prévoit en effet une nouvelle annexe au bâtiment original qui est loin de faire l’unanimité.
Justin Bur, urbaniste de formation et membre du conseil d’administration de l’organisme Mémoire du Mile End, précise que ses collègues demeurent tiraillés quant à la manière dont le projet pourrait mettre en valeur le patrimoine. S’il salue sa « grande qualité architecturale », il explique que certaines personnes pourraient considérer, par exemple, que l’agrandissement prévu des fenêtres dénaturerait le bâtiment et ferait oublier son ancienne vocation d’entrepôt.
Mme Plourde, qui préfère attendre la fin de la consultation publique avant de se prononcer elle-même sur le projet, se veut cependant rassurante. Elle se réjouit que les enseignes originales, ainsi que la tour d’eau sur le toit — « la seule qui reste sur le Plateau-Mont-Royal » — soient restaurées et préservées.
Un important symbole
Guillaume Éthier, professeur d’études urbaines à l’Université du Québec à Montréal, souligne la grande « valeur paysagère » de cette « icône » du Mile End, qui a « marqué l’imaginaire publicitaire ». Il déplore toutefois que les alentours du site demeurent inaccessibles.
Le professeur croit donc que peu importe la forme que prendra le projet, il « devrait y avoir de la vie autour », avec des installations comme des terrasses publiques. Mme Castonguay-Rufino soulève des questions similaires. « Il faudrait prévoir des espaces de qualité pour le public, parce qu’il pourrait y avoir des tensions entre la vocation privée du projet et l’utilisation que le public pourrait vouloir en faire. »
« Ce qui est important pour les citoyens et pour le requérant, c’est d’abord d’assurer la pérennité de ce bâtiment qui est d’une valeur exceptionnelle, soutient Mme Plourde. Est-ce que ce sera avec ce projet ou avec un autre ? Ça reste à voir. »
Craintes d’embourgeoisement
De nombreux internautes ont aussi indiqué être inquiets que le projet embourgeoise encore davantage le quartier, qui a déjà beaucoup changé au fil des années. « Deux visions s’opposent, indique Mme Plourde. Certaines personnes estiment qu’un hôtel permettrait d’alléger la multiplication des Airbnb illégaux, et d’autres croient qu’une clientèle d’hôtel de luxe pourrait faire en sorte que de petits commerces devraient se transformer ou être évacués. »
Maxime Brown, un artiste montréalais, a suggéré sur Facebook que la réaffectation du bâtiment permette des « usages sociaux » adaptés aux besoins du quartier. « Il faut absolument garder un usage industriel léger qui sert aux nombreuses PME, aux nombreux artistes et musiciens qui vivent une pénurie de locaux », dit-il, s’inspirant du Bâtiment 7 de Pointe-Saint-Charles.
Rappelons par ailleurs que les règlements de zonage en vigueur dans le secteur ne permettraient pas la construction de logements sur le site. Depuis la catastrophe de Lac-Mégantic, il est également impossible de construire des résidences permanentes aussi proches de voies ferrées.
« S’il y avait une recette miracle contre la gentrification, on le saurait », rétorque Mme Plourde. La conseillère ne ferme pas la porte à des solutions comme celle proposée par M. Brown. Or, c’est « très délicat », dit-elle, puisque « ça nécessite des discussions » avec le promoteur et qu’il « pourrait dire non » aux conditions imposées par la Ville et simplement abandonner le projet.
« Cela suscite une question : jusqu’où traçons-nous la ligne pour maintenir le patrimoine ? demande Mme Plourde. Les grands bâtiments patrimoniaux, si on n’a personne pour les entretenir, on risque de les perdre. »
Ce sont donc « les citoyens qui auront le dernier mot », conclut la conseillère. Les Montréalais sont appelés à répondre au questionnaire en ligne d’ici le 12 février.