Le son, cet oublié des villes

Montréal ne possède aucune politique pour gérer le bruit, contrairement à d’autres villes, comme New York.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Montréal ne possède aucune politique pour gérer le bruit, contrairement à d’autres villes, comme New York.

Les métropoles comme Montréal vibrent au bruit de la rumeur de la ville, qui rappelle un invité qui s’incruste et dont il est difficile de se débarrasser. Parfois une nuisance, parfois un allié, souvent inévitable et plus complexe qu’on ne le pense, le son devrait-il avoir plus de place quand vient le temps de réfléchir à l’aménagement des municipalités ? Et que faire face au bruit routier et des chantiers de construction ?

Sur l’avenue des Pins à proximité de l’avenue du Parc, la rue s’est transformée en un immense cratère entouré de clôtures hautes, avec un espace rachitique sur les côtés pour permettre aux résidents de rentrer chez eux. Le piéton un peu impatient qui s’égare sur les monticules de gravier pour contourner les trottoirs barrés et éviter les multiples détours se fait rapidement chasser par les travailleurs. Ici, la machinerie lourde jaune est reine, et le bruit des équipements est assourdissant.

« La Ville peut définir beaucoup de contraintes si elle le veut. Elle n’aurait aucun problème à spécifier des contraintes sonores, lance Romain Dumoulin, tandis que nous circulons à proximité du chantier. Il cite en exemple la ville de New York. Dans cette grande ville nord-américaine, dit-il, l’entrepreneur doit avoir un plan de gestion des nuisances sonores. « À Montréal, il n’est pas demandé, ce n’est pas une exigence », dit-il.

L’acousticien et consultant connaît son affaire : il a travaillé deux ans comme technicien en contrôle du bruit à l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. Un rôle occupé par deux personnes à l’échelle de la Ville de Montréal, et qui consiste principalement à gérer des plaintes d’équipement mécanique ou de bruit stationnaire, et à prendre des mesures de son.

À New York, les entrepreneurs doivent prouver qu’ils ont tout fait pour réduire les désagréments liés au bruit. À Montréal, le règlement oblige principalement les entrepreneurs à s’en tenir à un horaire allant de 7 h à 19 h pour les travaux.

Mieux gérer le bruit en amont est faisable, explique Romain Dumoulin. « Beaucoup de chantiers ont besoin de générateurs pour amener de l’électricité, ce qui fait énormément de bruit, dit-il. L’entrepreneur va le placer au meilleur endroit pour lui logistiquement parlant. Mais, parfois, c’est mis en face de la fenêtre d’un résident. »

Manque de ressources à la Ville

Mais, plus que des normes, il faudrait un meilleur contrôle et un meilleur suivi pour vérifier que tout est fait selon les règles. Mais cela demande des ressources, et Montréal compte seulement deux techniciens. « N’importe quelle ville de taille moyenne en France, en Belgique ou en Allemagne a un département du contrôle du bruit plus gros que celui de Montréal. Il y a un énorme décalage », lance Romain Dumoulin.

Si le bruit des marteaux-piqueurs peut déranger, c’est toutefois le bruit routier qui est la source principale de bruit dans la ville et qui préoccupe le plus la Santé publique. « Il n’y a aucune politique ni d’engagement ou de responsabilisation de la Ville de Montréal en ce qui a trait aux artères de son réseau routier », soutient-il. Une plainte au 311 est donc peine perdue. « La Ville a dit plusieurs fois publiquement qu’elle ne s’occupait pas du bruit routier, mais en réalité, personne ne s’en occupe », souligne-t-il.

Selon lui, il faudrait concrétiser la mise sur pied d’un observatoire du bruit pour documenter le sujet et faire des études à long terme.

Quand Projet Montréal était dans l’opposition, en 2016, le parti avait demandé à Denis Coderre de mettre sur pied un tel observatoire. Un engagement que Valérie Plante a ensuite repris lors de la campagne électorale de 2017, mais qui tarde depuis à se concrétiser.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Si le bruit des marteaux-piqueurs peut déranger, c’est toutefois le bruit routier qui est la source principale de bruit dans la ville et qui préoccupe le plus la Santé publique.

La Ville a toutefois annoncé en 2021 la mise sur pied d’un projet pilote dans deux quartiers. Ils se tiendront dans le Quartier des spectacles et l’est de Montréal (Assomption-Sud, Longue-Pointe), en collaboration avec la Santé publique de Montréal et seront financés à hauteur de 100 000 $. L’initiative, qui se déroulera jusqu’en juin 2023, vise à « observer, à caractériser et à analyser l’environnement sonore sur deux terrains d’étude à Montréal, afin de favoriser une meilleure compréhension des impacts sonores sur les milieux et de permettre l’intégration de meilleures pratiques de gestion du bruit ».

Contacté par Le Devoir pour une entrevue sur le détail des points soulevés dans ce reportage, le cabinet de Valérie Plante nous a renvoyés à une réponse écrite du service des communications de la Ville de Montréal. Celui-ci précise notamment que le but de l’initiative est de « préciser les mandats et les expertises qui devraient être portés par l’observatoire ».

« D’ici 2023, nous définirons les fonctions et mandats de l’observatoire en prenant en compte les spécificités de la métropole. Un comité directeur, composé de gestionnaires municipaux et de partenaires universitaires, a été mis en place afin que la planification soit transversale et appuyée sur un large champ d’expertise », écrit-on.

Sans faire référence aux ressources allouées, la Ville ajoute que « le schéma d’aménagement et de développement (SAD) de la Ville de Montréal prévoit des mesures pour le bruit provenant de sites fixes » et des sites mobiles. « Pour assurer une meilleure cohabitation entre les différents usages de l’espace urbain, le SAD de la Ville de Montréal exige que les arrondissements prennent en compte les enjeux sonores lorsque des zones contiguës peuvent être une source de nuisances », écrit-on.

Des normes sont prévues pour baliser le bruit lié au transport à proximité, par exemple, d’habitations, d’écoles, de CHSLD ou de garderies. Le Plan d’urbanisme prévoit également des mesures de mitigation pour les « milieux résidentiels », comme le respect d’une distance minimale entre un bâtiment et la source de bruit ou l’aménagement de talus ou d’écrans antibruit.

Le bruit, pas juste un désagrément

 

Depuis plusieurs années, Romain Dumoulin organise des parcours pour sensibiliser les Montréalais à leur environnement sonore. « On le définit de façon très binaire : est-ce que c’est trop bruyant ou non, lance-t-il. On parle juste de bruit, mais pas d’environnement sonore, alors qu’il est aussi détaillé qu’un paysage. »

Les urbanistes devraient le prendre plus en considération. L’expert remarque parfois des décalages entre ce que quelqu’un voit et ce qu’il entend. Par exemple à l’angle sud-est des avenues du Parc et des Pins, où se trouve un grand parc paisible à la pelouse bien taillée qui invite à la lecture et au repos. Le seul hic ? Le bruit sur Parc, où circulent voitures, camions et autobus avec des accélérations et des décélérations, des fluctuations qui sont désagréables à l’oreille.

« Il y a clairement un décalage entre le visuel et le sonore, lance Romain Dumoulin. Il faudrait une bonne cohésion. » Il ne faut pas seulement aménager un espace pour un rendu d’arbres et de gazon, croit-il, mais aussi évaluer si l’environnement sonore est adapté, car, sinon, les gens ne l’utiliseront pas.

« Ça amène à se demander si cet endroit ne pourrait pas être utilisé autrement, dit-il. On pourrait par exemple y mettre un terrain de volleyball ou de basketball. »

Le bruit n’est pas seulement négatif, et tout dépend de l’utilisation faite de l’espace autour. Au carré Saint-Louis, la grande fontaine est assourdissante, mais le son est stable, sans fluctuation. Cela crée un « environnement sonore exceptionnel » qui permet les discussions intimes, souligne Romain Dumoulin. « Le son de la fontaine vient masquer le reste, et il n’y a pas d’autres bruits qui viennent déranger », remarque-t-il.

Un bon exemple d’un endroit bruyant qui pourrait être source d’inspiration ailleurs dans la ville.



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