Les justiciers du tramway

Donald Charette et Doris Chabot disent mener leur combat judiciaire au nom des «opprimés», ces citoyens qui vont devoir céder une partie ou la totalité de leur propriété pour faire place au tramway.
Photo: Charles-Frédérick Ouellet Le Devoir Donald Charette et Doris Chabot disent mener leur combat judiciaire au nom des «opprimés», ces citoyens qui vont devoir céder une partie ou la totalité de leur propriété pour faire place au tramway.

Ils s’opposent viscéralement au projet de tramway et demandent à la justice de le faire dérailler. Le Devoir a rencontré Donald Charette et Doris Chabot, visages les plus connus de Québec mérite mieux, le groupe qui poursuit la Ville de Québec avec un imposant trésor de guerre — et la certitude de défendre les petites gens contre un abus de pouvoir.

Dans la rue, ils se confondent avec la faune de la Haute-Ville qui fréquente les avenues Cartier et Maguire. Cheveux grisonnants, allure décontractée de vacanciers chic, poignées de main avenantes et rires faciles : Donald Charette et Doris Chabot ont tous les deux la bonhomie des gens à qui la vie a réussi.

Ils mènent pourtant une croisade judiciaire qui ne laisse personne indifférent à Québec. Depuis le début de l’été, ils tentent de convaincre la justice d’annuler le projet de tramway que la capitale concocte depuis cinq ans. Le train est déjà en marche, soutient la Ville, et chaque report gonfle davantage la facture. Qu’importe : M. Charette et Mme Chabot croient dur comme fer qu’il faut activer le frein d’urgence pour faire cesser cette « folie ».

Tous deux habitent le quartier Saint-Sacrement depuis plusieurs décennies. « C’est ici que mes enfants ont grandi, indique M. Charette. Pour moi, c’est un quartier idéal : il y a de la mixité sociale, des arbres, un esprit de communauté. C’est tout ça que la Ville vient “scrapper”. »

Un détournement de démocratie

 

Le tramway, à leurs yeux, ne trouve aucune grâce. Trop bruyant, trop coûteux, trop laid, trop polluant : pour eux, la Ville s’apprête à engloutir « au moins » quatre milliards de fonds publics pour défigurer Québec, tronçonner ses arbres centenaires, massacrer sa beauté et abîmer à jamais la qualité de vie qu’on y trouve.

« Nous, ce que nous voulons, c’est qu’il y ait une étude comparative », explique Doris Chabot, courtière immobilière de carrière dont la maison, un immeuble à revenus situé sur le boulevard René-Lévesque, se trouve aux premières loges du tracé. Directement touchée par les expropriations, elle juge « ridicule » le montant de 43 000 $ que la Ville compte lui donner pour acquérir une bande de son terrain. Pour elle, ces acquisitions imposées — et impossibles à contester — sont « dignes du Moyen Âge », d’une époque où « le roi pouvait disposer des terres comme bon lui semblait ».

Les deux assurent pourtant vouloir un réseau de transport collectif digne de ce nom, mais maudissent sans nuances le projet préconisé par Québec. La Ville, dénoncent-ils, impose celui-ci au forceps, sans référendum ni égard à l’endroit des arbres et des humains. La démarche relève du détournement de démocratie, de l’illégalité, voire de la tyrannie municipale, selon eux.

« Ce n’est pas vrai qu’une fois élue, une administration peut faire ce qu’elle veut. Notre mouvement, c’est une manière de redonner le pouvoir aux simples citoyens », explique M. Charette, ancien journaliste devenu, à la retraite, chroniqueur politique pour une radio privée de Québec.

Une croisade judiciaire

 

Depuis deux mois, Québec mérite mieux et son « noyau dur de huit personnes, toutes bénévoles », tentent de torpiller le projet devant les tribunaux — et ils ne sont pas seuls. « Nous avons environ 2500 donateurs en ligne, et leur contribution, en moyenne, s’élève à 44 $ », explique Mme Chabot.

Au total, le groupe revendique des dons qui s’élèvent à 160 000 $, bien que la provenance d’une partie de ceux-ci demeure nébuleuse. « C’est clair que c’est insuffisant », souligne l’ancien journaliste. Québec mérite mieux a déjà subi un premier revers judiciaire, mais il assure que la victoire, elle, demeure à portée de main — tant que les dons continuent d’affluer pour la financer.

Le capitaine qui pilote le combat devant les tribunaux est l’avocat Guy Bertrand, qui déplore que la population n’ait jamais pu se prononcer sur le projet. Il faut toutefois rappeler que les dernières élections municipales ont porté au conseil de ville 18 élus qui sont favorables au projet, sur 22 sièges.

Les opposants au tramway s’opposent-ils à la démocratie représentative ? « Pas quand elle repose sur la vérité et la transparence », lance Doris Chabot. Bruno Marchand, selon elle, a été élu grâce à de fausses promesses, en évoquant au cours de sa campagne des changements au tramway qu’il n’a pas su livrer une fois au pouvoir.

« Si les gens avaient voulu le tramway tel quel, c’est Marie-Josée Savard [la dauphine de l’ancien maire Régis Labeaume] qui serait mairesse aujourd’hui », affirme M. Charette. Pourtant, la majorité des élus portés au pouvoir le 7 novembre dernier font partie de l’équipe de cette dernière.

« C’est ça, le danger, assure Doris Chabot. Sans la contestation, les élus peuvent abuser de leur pouvoir. » Elle prononcera le mot « dictature » à quelques reprises au cours de la conversation, s’empressant toujours aussitôt de nuancer son propos.

Une voix pour les sans-voix

 

Ils disent mener leur combat judiciaire au nom des « opprimés », ces résidents qui vont devoir céder une partie ou la totalité de leur propriété pour faire place au tramway. « Ça bouleverse des vies, soutient Mme Chabot. On ne voit pas le stress que ça provoque, [mais] certaines personnes ne dorment plus la nuit. »

Un citoyen, à leur avis, devrait avoir le pouvoir de bloquer un projet à lui seul dans ces circonstances. « La justice est le dernier rempart contre lesabus de pouvoir », dit-elle. En tout, 18 plaignants participent à la poursuite intentée contre la Ville. Un nombre qui paraît minime, puisque près de 140 000 électeurs ont voté pour des candidats à la mairie ouvertement favorables au tramway lors des dernières élections.

Leur procès contre la Ville commencera en octobre, soit après les élections provinciales. Seront-ils échec et mat si la population de Québec reporte les caquistes au pouvoir plutôt que de voter en majorité pour les conservateurs d’Éric Duhaime, farouchement opposés au tramway ?

« Nous, nous allons aller aussi loin que nous le pourrons », jure M. Charette. Quel que soit l’endroit où lesmènera leur combat, ce n’est sans doute pas en autobus — ni en tramway — que les deux interviewés s’y rendront : ils empruntent, confient-ils, « assez rarement » le transport en commun.

À voir en vidéo