La révolution vélo

« Plus vous semez des pistes cyclables, plus vous récoltez de cyclistes. » Voici, résumée en quelques mots, la méthode la plus simple pour augmenter la part modale du vélo et rendre les villes plus attrayantes, résilientes et améliorer la santé de ceux qui les habitent.
Cette citation est tirée de Pourquoi pas le vélo ?, un essai écrit par Stein van Oosteren et publié l’an dernier chez Écosociété. Elle n’est pas sans rappeler l’expression « If you build it, they will come », inspirée d’un film américain et que le monde du vélo s’est appropriée.
En entrevue au Devoir, Stein van Oosteren est intarissable quand il parle du vélo. Ce mode de transport économique, fiable et efficace est en voie de transformer plusieurs villes dans le monde, après des décennies de règne automobile.
Français d’adoption et porte-parole du Collectif Vélo Île-de-France, Stein van Oosteren est né aux Pays-Bas, le « paradis du vélo ». Si, aujourd’hui, rouler à bicyclette est ancré dans les mœurs aux Pays-Bas, ce ne fut pas toujours le cas. L’essor de l’automobile dans les années 1930 a fait chuter la pratique du vélo là-bas, tout comme en France, rappelle-t-il. Dans les années 1970 cependant, l’insécurité routière et le choc pétrolier de 1973 ont incité le gouvernement néerlandais à relancer le développement du vélo à l’échelle nationale.
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Les autres textes du Devoir de citéLe même phénomène est en train de se réaliser en France, dans la foulée de la crise énergétique de 2018 et d’une mobilisation citoyenne soutenue. Cette année-là, le premier ministre Édouard Philippe annonce la mise en œuvre d’un plan vélo national. La pandémie a accéléré la transition. Du jour au lendemain, des aménagements temporaires pour faciliter la distanciation sociale ont propulsé la pratique du vélo. « Aujourd’hui, c’est devenu politiquement incorrect d’être contre le vélo », explique Stein van Oosteren.
Selon lui, le vélo n’est pas une question culturelle. « Ce n’est pas la culture vélo qui rend une ville cyclable, c’est l’inverse. Ce sont les pistes cyclables qui rendent une ville cyclable et permettent à la culture vélo d’émerger. »
Visite à Montréal
Stein van Oosteren sera à Montréal cette semaine pour prononcer jeudi une conférence à la Maison du développement durable à l’invitation de Vélo Québec. Il compte bien profiter de son séjour pour participer au Tour de l’île (5 juin) et au Tour de nuit (3 juin), et prendre le pouls du Montréal vélo.
Selon lui, l’achalandage observé sur le Réseau express vélo (REV) de la rue Saint-Denis n’est pas anodin. « Il y a eu un million de cyclistes rue Saint-Denis en un an alors qu’avant, c’était juste les personnes téméraires qui étaient là, malgré l’absence d’une infrastructure cyclable. Je peux vous promettre que ça va cartonner ! » lance-t-il.
La controverse qui a précédé l’implantation du REV Saint-Denis ne l’étonne pas. Les exemples similaires dans le monde sont nombreux. L’être humain craint le changement, et l’idée selon laquelle le vélo tue le commerce est tenace. « Mais toutes les études démontrent que le vélo contribue à rendre les rues plus attractives, socialement et commercialement, dit-il. L’esprit humain n’est pas fabriqué pour se projeter dans le monde nouveau. »
Ce sera sa première visite à Montréal, mais il a bien pris soin de se préparer pour son périple en sol nord-américain. « J’espère rencontrer Valérie Plante pour faire connaître sa politique vélo parce que je pense que cette politique n’est pas assez connue et mérite vraiment d’être diffusée. C’est un très bel exemple, unique à ma connaissance, en Amérique du Nord. »
Aller plus vite
Jean-François Rheault tempère un peu son enthousiasme. Le p.-d.g. de Vélo Québec ne cache pas sa déception à la suite de l’annonce faite jeudi dernier par l’administration Plante. En 2022, Montréal consacrera 17 millions de dollars afin de développer et de mettre à niveau 35,8 kilomètres de voies cyclables. « À ce rythme-là, c’est 40 ans que ça prendra pour achever le Plan vélo. Il y a quelque chose qui est incompatible avec les cibles du Plan climat de la Ville de Montréal, qui veut réduire de 25 % les déplacements en auto solo d’ici 2030 et les cibles de part modale du vélo. La Ville doit trouver des solutions pour aller plus vite », croit-il.
À l’heure actuelle, déplore-t-il, le développement du réseau cyclable se fait essentiellement de façon « opportuniste » en s’arrimant au calendrier des chantiers d’infrastructures souterraines. Selon lui, la Ville devrait faire des aménagements transitoires dans l’attente d’infrastructures permanentes.
Il salue tout de même la volonté de l’administration d’instaurer une équité territoriale afin de développer le réseau cyclable dans les quartiers excentrés et d’attirer de nouveaux adeptes jusqu’ici réticents à enfourcher leur vélo.
La conseillère responsable des transports actifs au comité exécutif, Marianne Giguère, assure que d’autres annonces seront faites à l’automne concernant le plan vélo. Elle insiste aussi sur le rôle que jouera dans les prochains mois le comité vélo chargé d’épauler la Ville dans le développement du réseau. Un certain nombre d’organismes, comme la Direction régionale de santé publique, Cyclo Nord-Sud et Vélo fantôme, se sont joints à ce comité pour intégrer une vision plus inclusive de la pratique du vélo, fait-elle valoir.
L’élue souligne que la Ville compte privilégier des aménagements cyclables sécuritaires, séparés de la circulation automobile, plutôt que de simples lignes peintes au sol. Elle cite le cas de la bande cyclable particulièrement dangereuse de la rue Saint-Urbain, que la Ville compte mettre à niveau dès que possible. « On n’aménagerait jamais quelque chose comme ça aujourd’hui », signale Mme Giguère. « Les cyclistes sont vraiment dans la circulation. Saint-Urbain, tu vas là quand tu as envie d’un petit coup d’adrénaline, mais ce n’est pas tout le monde qui aime ça. »
Et qu’en est-il de la pratique du vélo à l’extérieur de Montréal ? Jean-François Rheault fonde beaucoup d’espoir sur l’arrivée d’une nouvelle génération d’élus municipaux dans plusieurs villes québécoises. « Je pense à la conseillère Marjolaine Mercier, à Longueuil, qui incarne une belle vision de transport actif, à la mairesse de Chambly [Alexandra Labbé] qui comprend vraiment bien les défis de mobilité, et au maire de Québec, Bruno Marchand, qui a probablement la vision la plus complète du rôle du vélo dans une ville. »
Ce que Stein van Oosteren a dit :
Sur le casque de vélo « Une ville où les cyclistes portent un casque, ça veut dire que c’est une ville où les autorités publiques ont encore failli à leur mission de livrer un espace public sécurisé. »
Sur les vélos électriques « C’est fantastique. Le vélo électrique augmente beaucoup la portée des déplacements parce que vous pouvez faire facilement de 15 à 25 kilomètres sans problème, et même plus. Ça élimine le relief. »
Sur les VUS dont les ventes sont en hausse « Je pense que c’est un problème extrêmement grave parce que ce type de véhicule est une déclaration de guerre à la ville. »
Sur les stationnements « Chez vous, le stationnement est tellement bon marché que les gens en profitent. C’est un peu comme si vous alliez dans la rue et que vous distribuiez des frites gratuitement : les gens vont manger des frites. »