Une tour de 20 étages sème la controverse dans Griffintown

Un projet immobilier de 20 étages qui pourrait voir le jour en dérogation au règlement d’urbanisme dans un secteur à valeur patrimoniale du quartier Griffintown inquiète plusieurs résidents ainsi que l’organisme Héritage Montréal, qui craignent que celui-ci ne serve de « précédent » dans le développement effréné aux abords du canal de Lachine.
Acquis en 2019 pour la somme de 20 millions de dollars par deux entreprises immobilières, le site de l’ancienne écurie Lucky Luke, sur la rue des Bassins, est voué à devenir un projet immobilier de 295 copropriétés résidentielles qui comprendra aussi un local commercial au rez-de-chaussée. Le projet immobilier, piloté par Omnia Technologies et la société Claridge, de la famille Bronfman, n’en est encore qu’à des plans préliminaires. La hauteur proposée pour celui-ci n’a toutefois cessé d’augmenter dans les derniers mois, passant de 44 à un maximum de 60 mètres, selon la dernière mouture du projet.
Or, le règlement d’urbanisme de ce secteur à l’ouest du Bassin Peel, dont le territoire à l’est est beaucoup plus développé, prévoit une hauteur maximale des bâtiments de 25 mètres, soit l’équivalent de 8 étages. Le Comité Jacques-Viger, l’organisme responsable d’émettre des recommandations à la Ville et à ses arrondissements en matière d’architecture et d’urbanisme, a ainsi émis coup sur coup au fil des mois deux avis défavorables à ce projet, qui est situé dans un « secteur de valeur exceptionnelle », à proximité d’un site archéologique « intègre ».
L’organisme s’est dit inquiet des potentielles répercussions du développement sur les points de vue sur le canal de Lachine et sur l’harmonie avec le cadre bâti environnant, auquel il pourrait faire l’ombre.
« C’est certain que ça occasionne un changement dans le paysage et une certaine perte de valeur pour les usagers du canal de Lachine et des promenades qui sont autour, de chaque bord », analyse elle aussi la directrice adjointe des politiques à Héritage Montréal, Taïka Baillargeon.
La crainte d’un « précédent »
De nombreux résidents de Pointe-Saint-Charles, le quartier limitrophe, s’opposent aussi à ce projet, qui a fait l’objet d’une consultation écrite de l’arrondissement du Sud-Ouest du 17 au 31 mars. Une manifestation a d’ailleurs été organisée mardi soir sur le site de ce développement immobilier dans le cadre d’un mouvement baptisé « Non à 20 étages » dont le résident Sylvain Letellier se veut le porte-parole.
« Si on regarde le contexte historique, patrimonial du canal, si on construit plus en hauteur, ça vient écraser tous les bâtiments » environnants, illustre M. Letellier, qui estime que ce projet risque de faire ombrage à un riche patrimoine industriel « juste pour construire des condos ». Ils sont d’ailleurs des dizaines de résidents à s’opposer à ce développement, incluant l’architecte Louise Bédard.
« Le projet est complètement inapproprié pour le site », lance Mme Bédard, qui craint que ce projet « constitue un précédent » en matière de développement de ce secteur. Une préoccupation que partage Héritage Montréal.
Taïka Baillargeon estime ainsi que ce projet immobilier, au cœur du « berceau de l’industrialisation au Canada », devrait faire l’objet d’une analyse plus approfondie, par exemple de la part de l’Office de consultation publique de Montréal.
Un compromis
Dans les dernières années, l’arrondissement a fait part de son souhait de faire de ce site un parc et d’ainsi « redonner cet espace à la collectivité dans son ensemble », a souligné au Devoir le conseiller indépendant de Pointe-Saint-Charles, Craig Sauvé. Puisque ce terrain est aujourd’hui entre les mains de promoteurs immobiliers, l’arrondissement a cherché à trouver un compromis avec ceux-ci.
C’est ainsi que l’administration du maire Benoit Dorais a proposé de rehausser la hauteur du projet immobilier afin qu’une partie du terrain soit réservée à un espace vert, explique M. Sauvé. La création d’une tour effilée, plutôt que d’un bâtiment large sur huit étages, pourrait aussi limiter les impacts sur les points de vue sur le canal de Lachine, avance-t-il, même si Héritage Montréal en doute.
« Au lieu d’être en largeur, on est en hauteur », résume en entrevue le président d’Omnia Technologies, Jean-François Beaulieu, qui assure avoir tenté avec l’arrondissement de « trouver un projet qui plaît à tout le monde ».
« Ça n’existe pas un projet parfait, mais on croit que c’est la meilleure option pour les citoyens », estime également M. Sauvé. Le promoteur a d’ailleurs accepté de réserver un terrain qui lui appartient, sur la rue William, à proximité, pour la création d’une cinquantaine d’unités de logement social.
M. Beaulieu espère pouvoir entamer ce chantier au printemps 2023, s’il obtient le feu vert de l’arrondissement.