Le patrimoine fait rarement le poids face aux grands projets

La décision du ministère québécois de la Culture et des Communications de ne pas protéger la partie sud du parc Morgan, qui risque de faciliter l’implantation des structures aériennes du futur Réseau express métropolitain (REM) de l’Est, n’étonne pas les experts en patrimoine et en urbanisme. Selon eux, l’épisode témoigne du peu de poids politique que détient le ministère de la Culture au sein du gouvernement quand des projets d’infrastructure se butent au patrimoine.
Avec le retrait du terrain sur lequel devrait circuler le REM de l’Est du périmètre de protection de l’Ancienne-Cité-de-Maisonneuve, CDPQ Infra n’aura pas à obtenir d’autorisation du ministère de la Culture conformément à la Loi sur le patrimoine culturel.
Le ministère soutient toutefois que les lieux protégés en vertu du classement décrété samedi correspondent au plan original de la Cité de Maisonneuve. La partie du lot retirée de l’avis de classement et qui appartient au ministère des Transports du Québec (MTQ) n’était pas comprise dans l’aménagement historique du parc Morgan, fait valoir le ministère de la Culture. « Des aires de jeux du parc Morgan ont empiété sur cette partie de lot lors d’un réaménagement effectué par la Ville de Montréal en 2015. Le retrait du lot 1 878 052 est motivé par le respect des limites des aménagements historiques du parc Morgan », a indiqué le ministère dans un courriel.
Décision politique
Professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, Martin Drouin y voit une décision politique. « L’argument est logique, mais étant donné le contexte lié au REM de l’Est, on comprend qu’il y a une négociation politique. On ne veut pas mettre de bâtons dans les roues [du projet], dit-il. Mais ce n’est pas parce qu’on est à l’extérieur d’un site historique qu’il ne faut pas faire attention. »
Sauf que le terrain du manoir Morgan, qui forme aujourd’hui une grande partie du parc Morgan, s’étendait de la rue Sainte-Catherine à la rue Notre-Dame lorsqu’il a été cédé à la Ville de Montréal par la famille Morgan en 1929, indique l’historien de l’architecture Luc Noppen dans son ouvrage Du chemin du Roy à la rue Notre-Dame, paru en 2001. Ce terrain a fait l’objet d’une expropriation dans les années 1970 dans le but qu’on y crée l’emprise de l’autoroute Ville-Marie, projet qui ne s’est jamais concrétisé.
Dinu Bumbaru soutient aussi que le lot retiré de l’avis de classement fait partie intégrante du parc Morgan. Le directeur des politiques chez Héritage Montréal estime que cette « technicalité cadastrale » est bien commode dans les circonstances et témoigne du fait que le REM « semble infiltré dans l’appareil politique du gouvernement ».
Cet épisode n’est pas sans lui rappeler d’autres événements. « On a vu la même chose se produire avec le classement du Vieux-Montréal, en 1964, dont la limite nord a été tracée au milieu de Notre-Dame pour ne pas gêner le projet de nouveau palais de justice ni mettre en question la tour de la BCN sur la place d’Armes », relate M. Bumbaru.
Le scénario s’est répété avec la subdivision du lot où se trouvait la maison Notman, protégée en 1979. La subdivision avait pour but de créer un lot distinct pour le jardin, visé par un projet immobilier dans les années 2010, ajoute-t-il. « [Le jardin] a finalement pu être protégé par son acquisition par la Ville de Montréal après une mobilisation citoyenne de plusieurs années », raconte Dinu Bumbaru.
Un ministère au pouvoir limité
« Ça montre que quand il y a des projets sur la table, le ministère de la Culture ne pèse jamais très lourd », avance pour sa part Gérard Beaudet, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. « Les autres considérations passent toujours avant. Ça fait qu’on trafique des choses comme celle-là. »
L’urbaniste reproche au gouvernement de la CAQ de considérer le secteur du parc Morgan uniquement sur une carte et de faire abstraction de la réalité en trois dimensions. « C’est une démission du ministère de la Culture. Mais on le sait depuis les années 1960 : chaque fois qu’il y a des enjeux contradictoires par rapport à la donne patrimoniale, à la table des ministres, le ou la ministre de la Culture se fait tasser. C’est systématique. Ils n’ont jamais réussi à porter les dossiers face à leurs confrères ou consœurs ministres. »
Ce peu de considération pour le ministère de la Culture avait mené à la démission, en 1964, de Georges-Émile Lapalme, le premier à occuper les fonctions de ministre des Affaires culturelles — devenu le ministère de la Culture —, exaspéré par le sous-financement de son ministère et du peu de pouvoirs qu’il détenait. « Depuis ce temps-là, c’est un ministère qui n’a pas de moyens », indique Gérard Beaudet.
Afin de contrer les jeux d’influence dont le patrimoine fait « trop souvent » les frais, Héritage Montréal réclame la création d’un office national de protection du patrimoine.
De son côté, CPDQ Infra a indiqué lundi n’avoir jamais demandé que le lot appartenant au MTQ soit exclu du périmètre de protection. La filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec a toujours soutenu qu’elle mettrait en place des mesures pour réduire au minimum l’incidence du projet sur le parc Morgan.