Les structures aériennes du REM de l'Est préoccupent les experts

Le comité d’experts mis sur pied par Québec pour assurer l’intégration urbaine du Réseau express métropolitain (REM) de l’Est fait part de sérieuses inquiétudes quant à l’impact qu’auront les futures structures aériennes, dotées de murs antibruit et de caténaires, sur les quartiers traversés et au risque de fracture urbaine qu’elles pourraient créer.

Selon les informations obtenues par Le Devoir, le rapport d’étape remis au gouvernement du Québec par le comité recommande ainsi de privilégier des piliers d’acier plutôt que de béton coulé afin d’en améliorer l’aspect visuel. Le comité prévient aussi qu’un réaménagement majeur du boulevard René-Lévesque et qu’une réduction de la circulation automobile sur cette artère seront nécessaires.

Le comité dirigé par l’ingénieure Maud Cohen n’aurait pas pu prendre connaissance du résultat final des propositions des concepteurs du futur REM de l’Est. Certains éléments ne sont même pas suffisamment développés pour que les experts puissent se prononcer, indique une source au Devoir.

Le REM de l’Est pourrait être un « élément clé » du développement de l’est de Montréal, mais encore faudrait-il que son intégration urbaine soit « exemplaire », souligne-t-on.  

Piliers et murs antibruit. La principale préoccupation du comité concerne les portions aériennes du projet et les risques de fractures urbaines, non seulement au centre-ville, mais également dans le tronçon est.

 

Rappelons que le projet du REM de l’Est, annoncé en décembre 2020 au coût de 10 milliards de dollars, doit relier le centre-ville de Montréal au secteur Pointe-aux-Trembles, avec une antenne vers le cégep Marie-Victorin, dans le nord-est de la ville.

Pour respecter la réglementation en matière de pollution sonore, les tabliers seront bordés de murs antibruit d’une hauteur pouvant aller jusqu’à quatre mètres et en partie opaques, notamment au centre-ville, ce qui inquiète le comité, qui n’aurait pas vu le concept définitif de ces murs.

La question des caténaires préoccupe aussi le comité. CDPQ Infra aurait fait valoir aux experts que les caténaires étaient la seule solution technique appropriée compte tenu du climat montréalais. Le comité presse donc CDPQ Infra de soigner leur apparence et leur intégration pour éviter les structures massives du REM de l’Ouest. Il suggère même de prévoir des mesures pour pouvoir retirer ces caténaires à l’avenir si les progrès technologiques le permettent.

Éléments immuables. Quant aux piliers, le comité est d’avis que CDPQ Infra devrait opter pour de l’acier ou du béton préfabriqué — et non coulé sur place — afin d’assurer la qualité architecturale des structures. Les experts auraient formulé une série de « principes directeurs » pour les structures aériennes afin qu’elles soient les moins larges possible et que leur portée soit allongée dans les secteurs jugés sensibles.

Plusieurs éléments sont cependant immuables, et CDPQ Infra l’aurait réitéré lors de rencontres avec les membres du comité. Outre les caténaires et les murs antibruit, le choix du boulevard René-Lévesque pour faire circuler le REM au centre-ville ne peut être remis en question, aurait prévenu CDPQ Infra. Un long tunnel ne pourra pas y être creusé, bien qu’en septembre dernier CDPQ Infra ait consenti à ce qu’un tronçon de 500 mètres, à l’est de la gare Centrale, soit souterrain. Un tunnel ne peut pas non plus être envisagé dans le quartier Tétreaultville, dans le secteur Mercier-Est.  

Le boulevard René-Lévesque. Le comité aurait préféré que le trajet soit souterrain au centre-ville, mais comme CDPQ Infra juge que cette option n’est techniquement pas possible, les concepteurs doivent revoir la géométrie du boulevard, réduire de façon significative la place accordée à la circulation automobile et privilégier les transports collectifs et actifs, estime-t-on.

Malgré quelques progrès, les structures aériennes doivent être améliorées afin d’en arriver à un résultat « satisfaisant », indique-t-on.

La trémie, soit la structure qui émergera du sol entre les rues De Bleury et Saint-Urbain lorsque le train passera du sous-sol à la surface, nécessitera une attention particulière, tout comme l’aménagement des stations, croient les experts. Ces stations devront être adaptées aux quartiers traversés et à leur tissu social.

Le comité serait particulièrement préoccupé par l’attention donnée aux lieux patrimoniaux qui longent le tracé,comme le boulevard Saint-Laurent, le parc Morgan, le Quartier chinois ou l’ancien hôpital de la Miséricorde.

Selon les informations obtenues, CDPQ Infra projetterait d’aménager une promenade tout au long des structures aériennes avec des voies pédestres et des pistes cyclables, ainsi que des places publiques et des espaces verts. Le comité, qui est favorable à cette idée, recommande d’intégrer une piste cyclable en site propre de même que les aménagements urbains dès l’étape de conception.

Les experts estiment que cette promenade pourrait devenir un « élément phare » du REM de l’Est au centre-ville et même apporter une « valeur ajoutée », en plus d’envoyer un message en faveur du transport collectif et actif.

Connexion avec la ligne verte. L’automne dernier, le comité avait signalé que CDPQ Infra devrait envisager d’autres solutions qu’une structure aérienne dans l’axe de la rue Sherbrooke Est, compte tenu de l’étroitesse de cette artère et des résidences qui la bordent.

Le 25 janvier dernier, CDPQ Infra a finalement annoncé une modification au tracé pour faire circuler les trains dans l’axe de l’avenue Dubuisson. Cette décision fait cependant en sorte que le REM perd sa connexion avec la ligne verte du métro et la station Honoré-Beaugrand, déplorent les experts, qui pressent CDPQ Infra d’évaluer différentes options, dont celle d’un tunnel dans ce secteur pour s’assurer d’un lien avec le métro.

Gouvernance. Le comité insiste sur le fait que le projet doit être considéré comme un projet de « développement urbain » et un « levier de transformation » pour la métropole, et pas uniquement comme une infrastructure de transport.

Il formule plusieurs recommandations afin d’améliorer la gouvernance du REM de l’Est. La collaboration entre les différentes instances, qu’il s’agisse de CDPQ Infra, du gouvernement du Québec, de la Ville de Montréal, de ses arrondissements, de la Ville de Montréal-Est, de même que de l’Autorité régionale de transport métropolitain, est indispensable, souligne-t-on.

À cet égard, les experts recommandent la mise en place d’un mode de gouvernance dont la Ville de Montréal sera partie prenante, d’autant qu’une grande part du domaine public traversé par le futur REM n’appartient pas au ministère des Transports ou à CDPQ Infra.

De plus, CDPQ Infra devra déterminer clairement les responsabilités de chacun et préciser comment le financement du projet sera partagé, souligne-t-on. Selon le comité, le budget global du projet devrait aussi inclure les aménagements du domaine public.

La recommandation en faveur d’un rôle accru pour la Ville de Montréal rejoint d’ailleurs la demande exprimée depuis des semaines par la mairesse Valérie Plante, qui souhaite un rôle décisionnel au sein d’un bureau de projet.

Transparence. Le comité d’experts juge aussi que la Caisse doit faire preuve d’une grande transparence dans l’élaboration du projet et recommande qu’elle tienne la population informée des grands principes retenus en matière d’architecture et de design.

Le comité insiste aussi pour que CDPQ Infra accorde une large place aux critères de qualité urbaine et architecturale — plutôt que le seul critère du plus bas soumissionnaire — dans les appels d’offres qui seront lancés pour la construction du REM de l’Est.

Finalement, il recommande à CDPQ Infra de ne pas avancer trop vite et croit que la Caisse doit se donner plus de temps pour mener à bien le processus de conception et de design.

Le comité, qui réunit 15 experts de divers domaines, avait été mis sur pied par Québec en mai 2021 afin de calmer les craintes grandissantes quant au REM de l’Est, en plus d’épauler CDPQ Infra dans l’élaboration des principes directeurs du futur réseau.

Le REM de l’Est, qui prévoit l’aménagement de 23 stations sur 32 km, doit aussi être soumis au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement dans les prochains mois.

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