Les différentes facettes de la densification

C’est connu : l’étalement urbain est néfaste pour l’environnement et coûte cher à la société. Mais tout le monde n’a pas envie d’habiter en haut de l’une des tours résidentielles qui poussent au centre-ville de Montréal. C’est pourtant par une densification de la ville que la guerre contre à l’étalement urbain se jouera dans les prochaines années, croient des urbanistes et des promoteurs, qui réfléchissent à de nouveaux modèles pour attirer des résidents tentés par le gazon plus vert des banlieues.
Lors de la dernière campagne électorale municipale à Montréal, le candidat à la mairie Denis Coderre avait suggéré que la Ville envisage d’autoriser la construction d’immeubles qui dépassent le mont Royal. L’idée, perçue comme un quasi-sacrilège, a fait bondir les défenseurs du patrimoine. Denis Coderre a finalement renoncé à sa suggestion, pour plutôt prôner une densification « douce et intelligente », insistant sur la nécessité d’un débat sain sur le sujet.
La poussière est retombée. Valérie Plante a été reportée au pouvoir, mais l’enjeu demeure. Comment envisager la densification tout en maintenant l’attrait de la vie urbaine ? Les dernières données sur les migrations interrégionales sont éloquentes. Les Montréalais sont nombreux à quitter la ville. Le dernier bilan publié par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) fait état d’une perte de plus de 48 000 habitants au profit des autres régions du Québec, un sommet en près de vingt ans. Le phénomène est amplifié par la pandémie qui n’en finit plus, mais le télétravail, même dans une formule hybride, pourrait avoir des effets à moyen terme pour la métropole.
Toujours plus haut ?
La pandémie n’a cependant pas beaucoup ralenti le rythme de nouvelles constructions et de tours de grande taille au centre-ville avec, notamment le 1, square Phillips, du Groupe Brivia, ou les tours Maestria, du géant de l’immobilier Devimco.
Mais la construction de gratte-ciel effraie, reconnaît Laurence Vincent, présidente de Prével, qui participait mercredi dernier à un panel lors d’une rencontre virtuelle organisée par Héritage Montréal et le musée McCord sur le thème de la densification. « Il n’y a pas si longtemps, que ce soit en privé ou en public, il n’y avait pas tant de gens que ça qui étaient prêts à dire que [la densification], c’est positif ni d’utiliser le mot “densité”. J’ai l’impression que les temps changent et qu’on commence à avoir plus de nuances », a-t-elle dit. « S’il y avait 300 000 nouveaux ménages dans les dix prochaines années dans la grande région métropolitaine, où est-ce qu’on veut mettre ces gens-là ? Comment on veut planifier notre développement ? »
Selon elle, des stratégies existent pour permettre de densifier le centre-ville sans le transformer en corridor de vent, en privilégiant notamment les constructions en retrait des étages supérieurs. Les tours en hauteur permettent de dégager des espaces au sol pour des aménagements attrayants, a-t-elle soutenu. « Ce que je souhaite, c’est qu’on développe des milieux de vie complets, mixtes, denses, vivants. […] Il faut donner envie aux gens de choisir l’urbanité. »
Des « réalisations malheureuses » ont vu le jour dans le passé, a-t-elle admis en citant l’UQAM, la place Bonaventure et le complexe La Cité, sur l’avenue du Parc, mais d’autres projets ont été remarquables, comme la Place Ville Marie et le square Victoria, a-t-elle ajouté. « Le plus grand enjeu auquel fait face notre désir de densité, c’est un enjeu d’acceptabilité sociale. »
Les citoyens ont raison de se méfier des ambitions de grandeur des promoteurs, croit pour sa part Marie-Odile Trépanier, professeure honoraire à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal et membre des Amis de la montagne. « Quand on veut prôner la densification, il faut aussi offrir des espaces verts et un paysage accueillant. Mais des fois, il y a des promoteurs qui oublient ça. Ils veulent tellement rentabiliser leur terrain qu’ils oublient que plus on construit, plus il faut des espaces verts. »
Pour elle, la protection du mont Royal demeure un enjeu central pour le centre-ville. Au cours des ans, certaines vues à partir de la montagne se sont obstruées, et celles qui restent demeurent menacées.
Densifier autrement
Directeur de l’École d’urbanisme de l’Université McGill, Richard G. Shearmur, qui participait aussi à la discussion, croit que la densité peut prendre divers visages qu’il faut explorer. La densité fait vivre les centres-villes, mais elle peut s’appliquer d’une autre manière dans les quartiers environnants. « À densité égale, on peut avoir des formes urbaines multiples. On peut avoir une grande tour entourée de plein de parkings. On peut avoir une série de bâtiments de trois ou quatre étages avec des petits parcs, ou des maisons de ville ou des duplex du type du Plateau. »
Selon lui toutefois, il faut considérer l’enjeu de la densification à une échelle régionale pour contrer l’étalement urbain. Les terrains de l’est de Montréal offrent d’ailleurs des possibilités de développement prometteuses avec l’arrivée du Réseau express métropolitain (REM).
À LIRE AUSSI
Les autres textes du Devoir de citéD’autres modèles méritent aussi qu’on s’y attarde. Des secteurs comme Outremont, Westmount ou Mont-Royal pourraient se densifier en subdivisant de grandes maisons en petits appartements, suggère-t-il. Ce type de modification ne se réalisera peut-être jamais dans ces quartiers cossus, mais elle demeure possible, précise-t-il.
Et pourquoi ne pas envisager l’ajout d’un étage à des bâtiments sur l’ensemble du territoire montréalais ? a demandé un membre de l’auditoire. Richard G. Shearmur reconnaît qu’une légère augmentation des hauteurs dans les quartiers centraux et périphériques pourrait permettre une densification « douce ». Dans la réalité toutefois, l’ajout d’un étage à des bâtiments existants pourrait être problématique, prend-il soin d’ajouter. « Il faut voir ça comme une image plutôt que comme quelque chose vraiment réalisable », dit-il en entrevue au Devoir. « Mais derrière cette image évocatrice, il y a cette idée de densifier un peu, mais partout. De plus en plus d’urbanistes cherchent à faire ça. […] Mais ça ne se ferait pas du jour au lendemain. »
Jean-Marc Fournier, p.-d.g. de l’Institut du développement urbain du Québec, qui réunit des promoteurs immobiliers, évoque le concept de « densification heureuse » pour contrer l’étalement urbain. Une densification heureuse, c’est une planification de nouveaux milieux de vie, qui incluent notamment des transports collectifs, des espaces verts, des commerces, une mixité sociale, le tout dans une perspective de transition écologique, explique-t-il au Devoir en évoquant les travaux de Carlos Moreno, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris, qui a élaboré le concept de « ville du quart d’heure ».
Mais les villes ne peuvent être seules à prendre en charge toutes ces responsabilités et elles manquent de moyens financiers, enfermées dans un modèle trop dépendant des revenus fonciers, rappelle-t-il. C’est pourquoi il prône une vaste réforme fiscale afin de donner aux villes l’accès à de nouvelles sources de revenus. Un travail de longue haleine, mais indispensable selon lui. « Je le dis avec beaucoup d’humilité parce que j’ai été ministre des Affaires municipales et je ne l’ai pas fait », admet-il.