Un vélo blanc pour un cycliste décédé en 2012 à Montréal

Neuf ans après le décès d’un père de famille dans la trentaine, happé par un camion pendant qu’il traversait une intersection du quartier Villeray à vélo, « rien n’a changé » pour rendre l’artère routière où il circulait plus sécuritaire pour les cyclistes, déplorent ses proches, qui ont pris part samedi à l’installation d’un vélo blanc en son honneur.
« Après neuf ans, rien n’a changé sur [l’avenue] Christophe-Colomb », a soufflé Jeanne Morency, avant d’éclater en sanglots. La jeune fille de 10 ans ne garde aucun souvenir de son père, Louis Morency, décédé le 24 juillet 2012 dans le quartier Villeray, mais sa perte a laissé un grand vide dans sa vie, tout comme dans celle de sa grande sœur, Delphine.
« Tu en as manqué des trucs, papa », a déclaré cette dernière lors d’une cérémonie tenue samedi avant-midi à l’endroit même où la vie de M. Morency a été fauchée il y a neuf ans. Ce matin-là, le chercheur en génie pharmaceutique, qui se rendait quotidiennement à vélo à son lieu de travail, à Laval, circulait en direction nord sur l’avenue Christophe-Colomb lorsqu’il a été happé de plein fouet par un poids lourd à l’intersection de la rue Mistral.
« On dit souvent qu’on doit attendre que le pire arrive pour que les choses changent. Mais quand le pire arrive et que les choses ne changent même pas, je trouve ça scandaleux », a ajouté Delphine, qui a pris la parole devant une petite foule de près de 100 personnes réunies pour l’occasion. À la suite des témoignages des proches de Louis Morency, un « vélo fantôme », peint en blanc et décoré de fleurs et de la photo du défunt, a été installé sur un poteau à l’intersection où cet accident a eu lieu. Un moment de silence a suivi.
Un faux sentiment de sécurité
L’avenue Christophe-Colomb est déjà munie d’une piste cyclable bidirectionnelle en site propre. Ses intersections sont toutefois dangereuses pour les cyclistes, constate l’organisme Vélo fantôme, qui a organisé cet événement à la demande de la famille de M. Morency.
« Dans les cas des pistes bidirectionnelles, les intersections posent particulièrement problème. Elles sont dangereuses pour les cyclistes et stressantes pour les automobilistes et les camionneurs qui doivent tourner [tout en s’assurant] que les cyclistes n’arrivent ni de la droite ni de la gauche », a expliqué la porte-parole de Vélo fantôme, Séverine Le Page, qui affirme avoir été témoin de trois « quasi-collisions » en observant l’intersection fatidique pendant une dizaine de minutes.
L’été dernier, la Ville avait d’ailleurs aménagé des voies cyclables unidirectionnelles de chaque côté de l’avenue Christophe-Colomb. Il s’agissait toutefois d’une mesure temporaire qui s’inscrivait dans le projet des voies actives sécuritaires (VAS) de l’administration de Valérie Plante. La piste est donc retournée à son état initial cette année.
« C’était un excellent test [l’installation des VAS]. Maintenant, on sait ce qu’on doit ajuster et ça reste dans nos plans de mettre à niveau Christophe-Colomb pour faire une piste unidirectionnelle [permanente] », a assuré samedi au Devoir la conseillère associée aux transports actifs au comité exécutif, Marianne Giguère. L’été dernier, cette piste temporaire avait soulevé certains enjeux d’accessibilité universelle en plus de complexifier l’accès à certains arrêts d’autobus. « C’est un projet qui doit être bien fait, qui regroupe trois arrondissements, mais ça va être une priorité pour nous », a assuré l’élue de Projet Montréal, à quelques mois des prochaines élections municipales.
« Anciennement, la Ville développait des pistes bidirectionnelles, sans doute parce que c’est beaucoup plus simple. Mais en effet, c’est beaucoup moins sécuritaire que des [pistes cyclables] unidirectionnelles. Donc, on est définitivement dans cette vision de mettre à niveau l’ancien réseau », a-t-elle renchéri. Une piste unidirectionnelle a notamment été aménagée sur la rue Saint-Denis l’an dernier.
Des camions « aveugles »
Ce vélo fantôme est le 14e installé par l’organisme dans les rues de la métropole. C’est aussi le sixième à prendre forme pour rendre hommage à un cycliste décédé à la suite d’une collision avec un poids lourd depuis la création de l’organisme Vélo fantôme, en 2013.
Selon des données de la Société de l’assurance automobile du Québec datant de 2016, les autobus et les poids lourds, qui ne représentaient alors qu’environ 3 % des véhicules sur la route, avaient été impliqués depuis 2011 dans 38 % des décès de cyclistes et dans 32 % des décès de piétons à Montréal. Une situation notamment reliée è la présence d’importants angles morts sur les camions.
« Les conducteurs de poids lourds ne devraient plus avoir à travailler avec des véhicules qui les rendent presque aveugles », déplore Shanti Larochelle, une autre porte-parole de Vélo fantôme.
Dans les dernières années, la Ville de Montréal a muni la plupart des camions à sa charge de barres latérales pour protéger les cyclistes et les piétons. Les normes concernant les poids lourds du secteur privé qui circulent dans la métropole relèvent cependant de Québec et d’Ottawa, affirme l’élue municipale.
« Je pense que les camions peuvent avoir un peu moins d’angles morts, être un peu moins haut, être un peu mieux équipés. Ce sont vraiment les angles morts le problème, le fait que les conducteurs sont aveugles à un énorme pourcentage de ce qui les entoure. Ça, ça peut être normé », insiste-t-elle.
Cet événement survient un peu plus d’un mois après l’installation d’un vélo fantôme en hommage à Maxime Levesque, qui a perdu la vie en avril dernier alors qu’il effectuait un trajet à vélo sur l’avenue Papineau, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.
Depuis, une dame de 50 ans a notamment perdu la vie à Senneville, dans l’ouest de l’île de Montréal, tandis qu’elle circulait sur une piste cyclable. Une automobiliste l’aurait percutée après avoir dévié de sa voie dans une courbe. Le Service de police de la Ville de Montréal n’a toutefois pas été en mesure samedi de fournir un bilan du nombre de cyclistes décédés sur les routes de la métropole depuis le début de l’année.