Pourquoi certains piétons ont-ils des comportements risqués aux intersections?

Jean-François Venne
Collaboration spéciale
À Montréal, les piétons profitent seulement d’une protection de quelques secondes pour se lancer, avant que les automobilistes puissent tourner.
Photo: Lucas Païta/Unsplash À Montréal, les piétons profitent seulement d’une protection de quelques secondes pour se lancer, avant que les automobilistes puissent tourner.

Ce texte fait partie du cahier spécial Mobilité durable

Les systèmes de feux de signalisation adoptés par une ville ne suffisent pas à assurer la sécurité des piétons. Le comportement des usagers doit également être pris en compte, comme le démontre la comparaison entre Montréal et Québec.

À Québec, la Municipalité a retenu un système « tout rouge », qui immobilise tous les véhicules pendant la traversée des piétons. À Montréal, les marcheurs profitent seulement d’une protection de quelques secondes pour se lancer, avant que les automobilistes puissent tourner. « En théorie, le système “tout rouge” adopté à Québec devrait être plus sécuritaire et réduire le nombre de collisions entre des voitures et des piétons, mais notre recherche montre que le facteur humain change la donne », rapporte Marie-Soleil Cloutier, chercheuse à l’INRS – Centre Urbanisation Culture Société.

L’un des effets négatifs de ce système est qu’il augmente la période totale passée par le piéton dans l’intersection (attente + traversée). Celui-ci doit appuyer sur un bouton pour demander que les feux passent au rouge, patienter le temps que cela se produise, puis traverser. Comme le système n’a pas été conçu pour les parcours en diagonale, il est possible qu’il doive recommencer l’opération de l’autre côté de la rue.

Des piétons qui manquent de patience

 

Lorsqu’ils respectent la signalisation, les piétons passent en moyenne 60 secondes dans l’intersection à Québec (attente + traversée), contre 43 secondes à Montréal. Dans la capitale, un marcheur respectueux des règles poireaute en moyenne 45 secondes avant de pouvoir amorcer sa traversée, contre 28 secondes dans la métropole.« Notre étude montre qu’un temps d’attente plus long provoque des comportements délinquants chez les marcheurs, comme le passage sur un feu rouge ou les parcours en diagonale. »

Les chercheurs ont observé les agissements des piétons dans 24 croisements de Montréal et de Québec. Ils ont noté qu’environ 15 % des trajets (et jusqu’à 38 % à certaines intersections) se faisaient en diagonale à Québec, contre moins de 1 % à Montréal. Dans la métropole, la circulation automobile se poursuit en parallèle de la traversée, réduisant la possibilité de franchir l’intersection par le milieu.

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C'est le nombre de secondes qu'un marcheur respectueux des règles poireaute en moyenne à Québec avant de pouvoir amorcer sa traversée, contre 28 secondes à Montréal.

Marie-Soleil Cloutier s’inquiète de constater que c’est à l’intersection du boulevard Wilfrid-Hamel et de la rue Bourdages à Québec que l’on a vu le plus de traversées en diagonale. Étant donné que cette intersection mesure 30 mètres sur sa diagonale, les risques que le feu passe au rouge pendant le parcours restent assez élevés. Les chercheurs soutiennent que la Ville pourrait autoriser la traversée diagonale en ajoutant un marquage au sol et en modifiant la longueur du temps de traversée.

Au total, à Québec, pas moins de 31 % des piétons observés ont commencé et terminé leur traversée sur la main ou le feu rouge, contre 6 % à Montréal. « L’être humain n’a pas une grande tolérance pour l’attente, note la chercheuse de l’INRS. Dans nos observations, on constate qu’après trente secondes, un déclic se produit chez plusieurs piétons, qui décident de ne plus respecter les règles. »

Des marcheurs attentifs

 

Par ailleurs, les étudiants chercheurs postés aux intersections ont observé les mouvements de tête des piétons. « Nous voulions comprendre ce qu’ils regardaient et à quoi ils accordaient de l’attention avant et pendant la traversée », explique Owen Waygood, professeur agrégé à Polytechnique Montréal et expert en transport.

Dans les deux villes, la majorité des marcheurs scrutent le signal lumineux avant de se diriger vers l’autre côté de la route, quoique dans une proportion passablement plus élevée à Montréal. Pas moins de 85 % des marcheurs agissent ainsi dans la métropole, contre 57 % dans la capitale. Par contre, la moitié des piétons de Québec regardent la circulation automobile, contre un peu plus d’un tiers de ceux de Montréal. « Leur plus grande propension à traverser sur le feu rouge pourrait expliquer cela en partie, avance Owen Waygood. Plus de piétons scrutent la route dans l’attente d’un moment propice pour la franchir. »

L’étude a cependant contredit un mythe tenace sur la distraction des piétons, lesquels seraient notamment obnubilés par leur téléphone intelligent. Seulement 6 % des piétons montréalais bavardaient au téléphone ou regardaient leur écran lorsqu’ils attendaient sur le trottoir, contre 4 % à Québec. Pendant la traversée, à peine 4 % des Montréalais et 2 % des Québécois agissaient de cette manière imprudente.

En 2018, 1233 piétons ont été victimes d’accidents routiers dans la région administrative de Montréal et 192dans celle de la Capitale-Nationale, selon la Société de l’assurance automobile du Québec. STRAPI montre que les comportements des automobilistes et des piétons jouent un rôle essentiel dans le niveau de risque que de tels incidents se reproduisent chaque année.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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