Le débat sur le REM aérien au centre-ville ne s’apaise pas

Laissée par les deux firmes d’architectes qui travaillaient sur le projet du Réseau express métropolitain (REM) de l’Est, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) assure que l’intégration des piliers qui seront érigés au-dessus du boulevard René-Lévesque sera « exemplaire ». Mais ces propos de la Caisse n’apaisent pas le débat qui fait rage sur l’abandon des scénarios de construction en souterrain au centre-ville.
Lors de l’assemblée du conseil municipal mardi, la mairesse Valérie Plante a dit ne pas avoir renoncé à un REM en souterrain au centre-ville. « Ce projet [de REM de l’Est] est nécessaire et on le veut et, bien sûr, nous l’appuyons, mais on veut aussi des garanties et s’assurer que tout soit fait pour qu’on ait le meilleur projet. […] On veut le REM, mais pas n’importe comment. »
L’option en souterrain est toutefois écartée par CDPQ Infra qui juge que trop d’obstacles empêchent de considérer plus longtemps ce scénario. La semaine dernière, les six scénarios étudiés par ses experts ont été dévoilés. CDPQ Infra a cependant conclu que construire le REM en souterrain serait non seulement hasardeux, mais coûteux en raison de la présence des lignes orange, verte et jaune du métro dans le secteur ainsi que celle de conduites d’égout centenaires. De plus, les travaux d’excavation présentent des risques d’effondrement pour certains bâtiments situés le long du boulevard, avait-on soutenu.
Comité conseiller indépendant
D’autres embûches se sont ajoutées. Les deux firmes d’architectes recrutées par CDPQ Infra pour réaliser la signature architecturale du projet, soit Daoust Lestage Lizotte Stecker et STGM, ont abandonné le navire en raison de leur désaccord quant au tronçon aérien au centre-ville, révélait Le Journal de Montréal mardi.
Faute d’avoir pu trouver une autre firme pour poursuivre le mandat, CDPQ Infra misera sur un comité conseiller pluridisciplinaire composé d’experts indépendants québécois. Des plans prescriptifs seront aussi imposés aux soumissionnaires dans le cadre du processus d’appel d’offres pour le contrat de construction.
« L’intégration du REM de l’Est doit être exemplaire au niveau de l’aménagement et de l’architecture, et inspirée des meilleures pratiques dans le monde », a souligné le porte-parole de CDPQ Infra, Jean-Vincent Lacroix, dans un courriel.
Effet de mur
La construction de piliers massifs au centre-ville continue de susciter de vives inquiétudes. « On va se retrouver avec une série de piliers qui vont créer un effet de mur. Pour une ville, ce n’est pas l’idéal. On pense que l’architecture va pouvoir régler ce problème, mais quand on se tire d’abord dans le pied, il est toujours difficile de marcher ensuite. On ne rend pas joli ou agréable quelque chose qui est mal pensé au départ », estime le président de l’Ordre des architectes du Québec, Pierre Corriveau.
Le directeur général de Montréal Centre-Ville, Glenn Castanheira, juge révélatrice la volte-face des deux firmes d’architectes : « Ça confirme plusieurs des craintes qu’on a. » Selon lui, c’est le même type de « courage » qui a permis d’éviter la construction d’une autoroute surélevée dans le Vieux-Montréal dans les années 1960 et qui aurait défiguré le cœur historique de la ville.
Il déplore que le scénario d’un tramway n’ait pas été davantage débattu, d’autant que le REM de l’Est ne sera pas connecté au REM de la phase un qui transite par la station McGill. « Pour nous, tout est sur la table. Une structure aérienne devrait être le dernier recours », dit-il.
Les leçons du Big Dig de Boston
Construire en sous-sol dans un milieu urbanisé est complexe, mais pas insurmontable, estiment des experts en géotechnique consultés par Le Devoir. « Au niveau technique, c’est possible. Ce n’est pas inhabituel qu’il y ait des égouts et des métros », explique Samuel Yniesta, professeur au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal. « On peut trouver des solutions pour s’assurer que tout ça reste stable, mais c’est sûr que plus il y a de problèmes potentiels, plus les coûts vont être importants. »
La semaine dernière, dans une entrevue accordée à La Presse, le grand patron de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud, avait évoqué les difficultés rencontrées par le Big Dig de Boston, — un chantier qui s’est échelonné sur plus de 20 ans et dont les coûts ont explosé — pour illustrer les risques d’une telle entreprise à Montréal. « Les problèmes n’étaient pas liés à la conception. C’était plutôt des problèmes de malfaçons et d’un manque d’anticipation », soutient M. Yniesta. « Il y a beaucoup de leçons qui ont été tirées de ce projet-là. Ça représente des défis, mais l’important, c’est de bien se préparer et de faire une étude de sols conséquente, ce qui n’avait pas été fait notamment à Boston. »
François Duhaime, professeur au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS), signale qu’il est difficile de se prononcer sans avoir vu les études détaillées réalisées par CDPQ Infra. Reste que les excavations en milieu urbanisé sont réalisables et plusieurs villes l’ont fait, bien que la facture puisse être élevée. « Une des particularités de la géotechnique, c’est que c’est très local. Chaque ville va présenter des conditions de travail en souterrain qui vont être différentes », dit-il. À Montréal par exemple, le centre-ville comporte une dizaine de mètres de dépôts meubles reposant sur le roc, principalement du calcaire, précise-t-il.
CDPQ Infra maintient le cap sur un scénario de REM aérien au centre-ville en insistant sur le fait que les piliers qui surplomberont le boulevard René-Lévesque ne ressembleront pas à ceux, très massifs, de la phase un du REM présentement en construction.