

Des pôles en quête de flexibilité
Une chose est claire pour les experts: les bureaux et les sièges sociaux ne disparaîtront pas.
Les transports collectifs traversent des heures sombres avec la pandémie qui a fait du télétravail la nouvelle norme et vidé le centre-ville de Montréal de ses travailleurs et de ses touristes. Au-delà de la crise financière qui affecte les sociétés de transport, la pandémie a aussi brisé l’élan que connaissait le transport collectif. Et si cette crise n’était que passagère ?
Au début de la pandémie, l’achalandage dans les transports collectifs a connu une chute vertigineuse avec une baisse de 90 à 95 % dans le Grand Montréal. Il a progressivement augmenté au cours des mois suivants pour atteindre environ 50 % au début du mois de septembre. L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) note toutefois que l’achalandage est plus faible sur les lignes à destination du centre-ville que dans les circuits en périphérie.
Dans ses prévisions, l’ARTM entrevoit que la progression de l’achalandage s’accélérera avec l’arrivée possible d’un vaccin à la mi-2021. L’organisme croit néanmoins que sur une base permanente, les sociétés de transports auront perdu 5 % de leur clientèle une fois la crise traversée. « Ces pertes pourraient être dues au télétravail, mais aussi à une utilisation accrue de transports actifs comme la marche et le vélo. Par contre, la population continue de croître. Donc, il faut voir ça comme un ralentissement de la courbe », explique Daniel Bergeron, chef de la direction de la Planification des transports et mobilité à l’ARTM, qui évoque « un décalage de quelques années » avant un retour à une certaine normalité.
Le télétravail aura-t-il raison du centre-ville et, du même coup, aura-t-il un effet durable sur le transport collectif ? Professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal et à l’UQAM et sociologue de formation, Pierre Barrieau en doute. « Historiquement, les centres-villes sont toujours revenus après les épidémies, que ce soit la peste ou la grippe espagnole. Ils ont eu de la difficulté, mais ils s’en sont remis. Moi, je ne vois pas comment l’ordinateur pourrait tellement changer la société que soudainement, le centre-ville disparaîtrait », dit-il.
Ce n’est pas normal que dans les transports collectifs, ce soit la classe sardine intense tout le temps. Peut-être qu’un meilleur transport collectif va vouloir dire un moins grand degré d’entassement et plus de confort.
Selon lui, la force créatrice des lieux de travail et le besoin de socialisation de bon nombre de travailleurs devraient jouer en faveur du centre-ville.
Le professeur croit que lorsqu’un vaccin sera disponible et que l’attrait du télétravail se sera un peu émoussé, le métro et les bus pourraient être à nouveau bondés. « Même si l’achalandage revenait à 80 ou à 85 %, ce ne serait pas catastrophique dans la mesure où nos infrastructures n’étaient pas en mesure de répondre à la demande avant la crise », dit-il. La ligne orange du métro sera peut-être moins bondée, ce qui pourrait être un moindre mal.
Directeur général de Vivre en ville, Christian Savard, abonde dans le même sens. « Ce n’est pas normal que dans les transports collectifs, ce soit la classe sardine intense tout le temps. Peut-être qu’un meilleur transport collectif va vouloir dire un moins grand degré d’entassement et plus de confort. »
Il regrette toutefois que dès le début de la crise, les transports en commun aient été décrits comme une source de danger de contamination alors que dans les faits, ils s’avèrent peu propices à la propagation du virus. « Dans le transport en commun, on ne parle pas. On ne reste pas si longtemps que ça. Donc les transmissions massives, ça existe peu. »
À l’ARTM, la période actuelle est plutôt considérée comme un « répit ». « La question n’est pas de savoir si la ligne orange sera à nouveau bondée, mais quand elle le sera », soutient Daniel Bergeron, de l’ARTM.
La possible diminution des besoins en matière de déplacements devrait-elle entraîner une remise en question des grands projets comme le Réseau express métropolitain (REM) ou le prolongement de la ligne bleue du métro ? Non, croit Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité de l’École polytechnique de Montréal. « Les constats qu’on a faits dans les 30 dernières années sur l’inefficacité d’un système basé principalement sur l’automobile demeurent », avance-t-elle, tout en admettant que les modèles de prévision sont difficiles à élaborer dans ce contexte de crise et d’incertitude.
CDPQ Infra, qui pilote le projet du REM, entend bien maintenir le cap. « Le REM est ancré sur une vision à moyen, long terme. On parle ici d’une perspective de plusieurs dizaines d’années », rappelle Jean-Vincent Lacroix, porte-parole de CDPQ Infra.
Pierre Barrieau est d’avis que le Québec a tellement sous-investi en matière d’infrastructures au cours des dernières décennies que les projets de transport collectif ne devraient pas être considérés comme un « luxe ».
La pandémie a aussi plombé les finances des sociétés de transport. Dans la région de Montréal, le manque à gagner pourrait dépasser 870 millions sur trois ans. Québec a déjà consenti une aide de 400 millions pour l’ensemble des sociétés de transport de la province et mercredi dernier, le premier ministre a fait savoir qu’une entente avec Ottawa permettrait bientôt de hausser les montants alloués à celles-ci.
Une certaine rationalisation des dépenses pourrait aider les sociétés de transport à traverser la crise, mais l’erreur serait de réduire les services, prévient Samuel Pagé-Plouffe, coordonnateur de l’Alliance Transit : « Si une diminution des revenus doit équivaloir à une diminution des services, on entre dans un cercle vicieux où le service se dégrade et la confiance diminue. »
Les inquiétudes sont réelles, mais selon lui, les tendances de fond en faveur des transports collectifs laissent croire que les grands projets iront de l’avant. En juin dernier, le gouvernement de François Legault a d’ailleurs établi le transport collectif comme un élément clé de la relance économique. « Les décideurs ont un devoir d’insuffler une direction. On ne sait pas exactement où on s’en va, alors il faut que quelqu’un tienne le gouvernail et assure la direction », estime M. Pagé-Plouffe.
Une chose est claire pour les experts: les bureaux et les sièges sociaux ne disparaîtront pas.
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«La question n’est pas de savoir si la ligne orange sera à nouveau bondée, mais quand elle le sera.»