Épidémie de vols de vélos à Montréal
Le fléau des vols de vélo semble prendre de l’ampleur avec la pandémie. Les voleurs et les revendeurs ne reculent devant rien pour répondre à la demande qui explose en raison des mesures de distanciation. Ils n’hésitent pas à scier ou à déboulonner les supports à vélo municipaux pour s’emparer de bicyclettes munies de cadenas.
Devant l’ampleur du phénomène, la Ville de Montréal envisage de souscrire l’application 529 Garage, développée à Seattle, qui permet d’enregistrer les vélos et de les retrouver dans près de 70 villes nord-américaines. Cette plateforme numérique est considérée comme un outil efficace pour retrouver les vélos volés — et pour décourager les voleurs.
« La Ville de Montréal s’intéresse de près à cette application et est favorable à son implantation, qui doit néanmoins respecter les exigences en matière de protection des données. Des discussions sont en cours avec les différents partenaires et l’entreprise pour évaluer les modalités applicables au projet », a confirmé par écrit Marianne Giguère, conseillère responsable des transports actifs au comité exécutif de la Ville.
La communauté cycliste de Montréal attend avec impatience l’arrivée de cette plateforme, qui a fait baisser de 30 % les vols de vélo à Vancouver au moment de son implantation il y a trois ans. Ces délits font partie du quotidien dans les villes nord-américaines. Ils semblent devenus socialement acceptables. Comme une fatalité.
« C’est pire avec la pandémie. La demande augmente et les vélos sont plus faciles à écouler », dit Dominique Audet, fondateur du groupe Facebook Vélo volé Montréal. Les publications du groupe se lisent comme des histoires de résignation ou de colère par rapport à des voleurs effrontés, dont certains regardent les caméras de surveillance sans aucune gêne.
« Je remarque de plus en plus de voleurs qui se foutent des conséquences. C’est une année record, je n’ai jamais vu autant de personnes qui se font voler un vélo attaché avec un cadenas en U de bonne qualité. Il y a des voleurs qui coupent les cadenas avec un grinder en plein jour », ajoute-t-il.
C’est pire avec la pandémie. La demande augmente et les vélos sont plus faciles à écouler
Encouragée par l’équipe de la mairesse Valérie Plante, qui a fait aménager des dizaines de kilomètres de pistes cyclables, la pratique du vélo augmente en ville. Il s’agit d’une façon sûre de se déplacer en temps de pandémie, selon les experts en santé publique. Des boutiques rapportent des pénuries de bicyclettes. Les voleurs ont flairé la bonne affaire.
Cyclistes en désarroi
Mathieu, qui a demandé à préserver son nom de famille par crainte de représailles, a retrouvé cette semaine, sur Marketplace (le site de petites annonces de Facebook), le vélo qu’il s’était fait voler au mois de mai. Il a répondu à l’annonce, est allé rencontrer le vendeur (qui lui a donné rendez-vous dans un café, et non chez lui) et a reconnu son vélo.
« Je n’ai pas osé confronter le vendeur, parce que je ne peux pas prouver que ce vélo était à moi : je n’ai pas gardé la facture et je ne connais pas le numéro de série », explique ce résident du Plateau.
Mathieu a porté plainte à la police du quartier. Au moment où ces lignes étaient écrites, il attendait un appel de la police, mais garde peu d’espoir que sa démarche porte ses fruits.
« Les gens se sont résignés aux vols de vélo. C’est malheureux parce qu’il y a des pistes cyclables partout, le vélo est très populaire, mais la police ne fait rien contre les vols », dit Jean Courcelles.
Il s’est fait voler deux vélos au cours des dernières années. En 2019, des voleurs ont aussi dérobé trois des quatre roues des vélos de sa conjointe et lui, verrouillés sur leur balcon du Plateau-Mont-Royal. Depuis, le couple attache ses vélos à l’aide de trois cadenas et s’est équipé de moyeux et de selles antivol.
Les gens se sont résignés aux vols de vélo. C’est malheureux parce qu’il y a des pistes cyclables partout, le vélo est très populaire, mais la police ne fait rien contre les vols.
Sa sœur a été victime de deux vols récents : une fois, un voleur a scié le support à vélo en acier de la Ville ; l’autre fois, il a déboulonné le panneau de stationnement situé en haut d’un poteau, pour faire glisser le vélo cadenassé au poteau.
« Les gens achètent des vélos de moins bonne qualité parce qu’ils savent qu’ils risquent de se les faire voler, dit Jean Courcelles. Ça a un effet contreproductif sur le développement du vélo à Montréal. »
Comme un vaccin antivol
Magali Bebronne, chargée de programme en transports actifs à Vélo Québec, estime que la Ville doit agir contre les vols de vélo. L’adoption de la plateforme 529 Garage, en discussion depuis plusieurs mois, serait un bon point de départ, selon elle.
« Cette application est un peu comme un vaccin : il faut qu’il y ait un nombre critique de vélos enregistrés pour que ça provoque une crainte chez les voleurs, dit-elle. On est prêts à faire une tournée des boutiques de vélo pour que ça devienne un réflexe : quand tu achètes ou que tu fais réparer un vélo, tu l’enregistres. »
Les vols sont tellement répandus que cela décourage l’achat de vélos électriques ou de vélos cargo, plus coûteux que les bicyclettes ordinaires, rappelle Magali Bebronne. Elle estime que les villes devraient offrir des stationnements sécurisés pour vélo — même payants.
À Ottawa, en tout cas, la mise en place, l’an dernier, de la plateforme 529 Garage « fait partie de la solution », dit Bruce Fanjoy, porte-parole du groupe de pression Bike Ottawa. Plus de 4500 cyclistes de la capitale canadienne ont enregistré leur monture. « Est-ce que ça a diminué les vols ? Difficile à dire. Il y a tellement plus de vélos en circulation à cause de la pandémie. Ça augmente les risques de vol. »
On sait cependant que l’application 529 Garage décourage les voleurs, parce que les vélos enregistrés sont clairement identifiés à l’aide d’un autocollant, explique Bruce Fanjoy. « Les vélos volés sont aussi plus susceptibles d’être retrouvés, parce que la police des villes membres a accès aux bases de données. Et les propriétaires sont identifiés. »