Grâce à la crise, le Québec respire mieux

Au-delà du décompte des cas déclarés positifs et des morts à travers le monde, quelques chiffres encourageants ont commencé à sortir ces dernières semaines sur les répercussions environnementales positives des mesures de confinement mises en place pour lutter contre la pandémie, comme la limitation des déplacements. Sur la photo, des routes presque désertes en Colombie.
Photo: Raul Arboleda Agence France-Presse Au-delà du décompte des cas déclarés positifs et des morts à travers le monde, quelques chiffres encourageants ont commencé à sortir ces dernières semaines sur les répercussions environnementales positives des mesures de confinement mises en place pour lutter contre la pandémie, comme la limitation des déplacements. Sur la photo, des routes presque désertes en Colombie.

Difficile de trouver de bons côtés à une pandémie qui a déjà fauché la vie de plus de 65 000 personnes. Mais force est de constater que les mesures de confinement mises en place ont permis de diminuer le trafic urbain et la pollution atmosphérique. Une situation qui pourrait permettre au Québec d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de GES en 2020.

« C’est triste à dire, mais en un sens, d’un point de vue environnemental, c’est une excellente chose, ce qui arrive », lance au téléphone Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie HEC Montréal, quelque peu mal à l’aise de trouver un peu de positif à la pandémie du coronavirus.

Au-delà du décompte des cas déclarés positifs et des morts à travers le monde, quelques chiffres ont commencé à sortir ces dernières semaines sur les conséquences environnementales de la pandémie, ou plus précisément des mesures de confinement mises en place par les gouvernements pour lutter contre elle. Avec la limitation des déplacements, la fermeture des frontières, le ralentissement des activités industrielles et l’incitation à faire du télétravail, une baisse importante de la pollution — et donc une diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES) — a été observée dans les pays les plus touchés.

C’est triste à dire, mais en un sens, d’un point de vue environnemental, c’est une excellente chose, ce qui arrive

La Chine a diminué ses émissions de GES de près de 25 % en seulement quatre semaines, du 3 février au 1er mars, par rapport à la même période des années précédentes, selon une étude du Center for Research on Energy and Clean Air. Cela représente une diminution de 6 % des émissions mondiales pour cette même période.

Même constat en Europe. L’Agence européenne pour l’environnement a calculé qu’à Milan, la concentration de dioxyde d’azote (NO2), un gaz produit par les véhicules et les centrales thermiques, a diminué de 24 % au cours du mois de mars par rapport à février.

En France, plusieurs régions ont aussi l’impression de mieux respirer depuis le début du confinement le 18 mars. Airparif, l’association de la qualité de l’air en Île-de-France, a noté « une amélioration de la qualité de l’air de l’ordre de 20 à 30 % dans l’agglomération parisienne » dans la semaine du 16 au 20 mars, par rapport au même mois des années précédentes.

Bilan vert

 

Au Québec, il est toutefois encore trop tôt pour évaluer l’effet réel sur les émissions de GES. Mais en s’appuyant sur les constats des autres pays, les experts consultés s’attendent à ce que la province suive la même tendance.

Selon Pierre-Olivier Pineau, le Québec pourrait même atteindre ses objectifs pour 2020 en matière de réduction des GES. « La baisse du trafic est déjà facile à observer dans les rues, les avions sont au sol, les trains moins nombreux, les transports en commun au ralenti. Sachant que le secteur du transport représente 40 % de nos émissions de GES, il est facile de prévoir une baisse », soutient Pierre-Olivier Pineau. Sans compter que l’activité industrielle, qui occupe quant à elle une part de 20 %, est aussi au ralenti.

 

Rappelons que, pour 2020, le Québec s’est donné comme cible de réduire ses émissions de GES de 20 % sous le seuil de 1990. Selon les dernières données disponibles, datant de 2017, la province avait réussi à diminuer ses émissions d’un peu moins de 10 %. Il manquait donc encore la moitié.

« Une année comme ça, et je pense qu’on y arrivera », poursuit M. Pineau. Car la crise sanitaire que nous vivons n’est pas une affaire de quelques semaines, mais bien de plusieurs mois. Et le retour à la normale risque de prendre du temps.

Parmi les nombreuses personnes présentement au chômage, beaucoup ne pourront retrouver un emploi du jour au lendemain, lorsque la crise sera terminée. « Il va y avoir moins de gens qui prendront leur voiture pour se rendre au travail, s’ils n’en ont pas. Et d’autres auront pris goût au télétravail et essaieront de continuer au moins une ou deux journées par semaine », croit le professeur.

Le réflexe de l’auto ?

De son côté, le directeur général de l’organisme Vivre en ville, Christian Savard, se montre moins optimiste quant à « l’après-coronavirus ». Il peine à croire que les sociétés occidentales tireront des leçons importantes de cette période pandémique et pense plutôt qu’elles n’auront qu’une hâte : reprendre leur rythme de production d’avant pour retrouver un semblant de santé économique.

« Mon analyse, c’est qu’on vit quelque chose d’exceptionnel. Je doute que ça induise des changements drastiques dans nos façons de faire. Je ne pense pas que le télétravail va devenir une norme, par exemple. »

Il craint par contre que le coronavirus ne crée un certain traumatisme auprès de la population, qui pourrait vouloir éviter tout lieu de rassemblement, même après l’annonce officielle d’une fin de crise. « Plusieurs personnes vont inévitablement être inquiètes de reprendre le métro bondé aux heures de pointe. Elles vont vouloir s’éloigner pendant encore un temps des rassemblements. Est-ce que ça ne va pas en encourager certains à reprendre leur voiture pour se rendre au travail ? », se questionne M. Savard.

Le covoiturage pourrait, au même titre, vivre quelques mauvais jours. « Il est à prévoir que les gens vont avoir peur de monter dans des voitures utilisées par d’autres personnes », souligne M. Pineau.

Il se réjouit toutefois : « Au moins, le ralentissement économique va décourager les gens de s’acheter des gros VUS à 50 000 $ », avance-t-il

Des vies sauvées

Si des milliers de vies sont emportées par le coronavirus depuis décembre, des milliers d’autres pourraient être sauvées à long terme. « La diminution de la pollution va faire baisser significativement la mortalité et la morbidité dans nos sociétés. La pollution, c’est le tueur numéro un sur la planète », fait valoir François Reeves, cardiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Chaque année, la pollution atmosphérique tue plus de 7 millions de personnes dans le monde, d’après l’Organisation mondiale de la santé. Au Canada, 14 600 personnes perdront la vie annuellement en raison de complications liées à la pollution atmosphérique, dont plus de 2000 Québécois, selon des chiffres de Santé Canada datant de 2015. Ce qui correspond à un coût total de 114 milliards de dollars par année pour le système de santé canadien. « La diminution de la pollution liée aux mesures prises en temps de pandémie va-t-elle permettre de sauver plus de vies que le coronavirus ne va en emporter ? Difficile à dire. Mais dans tous les cas, c’est dommage qu’il ait fallu une pandémie pour permettre un tel changement », regrette M. Reeves.



À voir en vidéo