Des vélos qui nous sont essentiels

Le vélo a la cote, ces temps-ci, auprès des Québécois inquiets à l’idée d’attraper la COVID-19 en prenant le taxi ou les transports collectifs. Le gouvernement Legault n’a pourtant pas jugé bon de considérer les ateliers de réparation de vélos comme un service essentiel, ce qui pourrait mettre des bâtons dans les roues des cyclistes.
Raphaëlle Côté a ressorti son vélo ces derniers jours pour se rendre au travail. Le printemps lui a lancé une invitation, et la pandémie l’a convaincue. Chaque jour, cette éducatrice spécialisée doit traverser Montréal pour se rendre dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, où elle travaille dans un CPE, un service essentiel.
« Je ne fais pas partie des populations vulnérables, donc ça ne m’inquiète pas outre mesure d’attraper [le virus], mais c’est vraiment la propagation qui me stresse beaucoup, l’idée que je puisse le transmettre à un enfant qui, lui, le transmet à ses parents, etc. », explique-t-elle.
Mais si elle devait être confrontée à une crevaison, à un bris de rayon ou encore à un frein défectueux dans les prochaines semaines, elle pourrait tirer un trait sur son vélo, faute de trouver un endroit où le réparer.
Dans sa lutte contre le coronavirus, Québec a ordonné la fermeture de tous les commerces et services non essentiels jusqu’au 13 avril. Mais la liste des services essentiels ne fait aucune mention des boutiques et des ateliers de réparation de vélos. Les garages pouvant réparer les voitures, les camions et autres équipements spécialisés peuvent, eux, rester ouverts.
« Ça n’a aucun sens ! C’est oublier que de nombreuses personnes en ville n’ont pas de voiture et qu’en ce moment, beaucoup ont peur de prendre le transport collectif », souligne Daniel Lambert, porte-parole de la Coalition vélo Montréal.
Il craint que le Québec ne soit mis sur pause bien plus longtemps que trois semaines et que cela empêche de nombreuses personnes de se déplacer à vélo. Plusieurs cyclistes, qui délaissent la pratique pendant l’hiver, n’ont pas eu le temps de faire réparer ou entretenir le leur avant que la saison commence, souligne-t-il.
De nombreuses personnes en ville n’ont pas de voiture et, en ce moment, beaucoup ont peur de prendre le transport collectif
« Après l’annonce lundi midi, ç’a été la course. On est restés ouverts deux heures plus tard lundi et mardi pour finir toutes les mises au point des clients avant de complètement fermer boutique », explique d’ailleurs Jacques Quévillon, propriétaire du magasin Vélo Montréal dans Rosemont–La Petite-Patrie. « J’ai une cliente qui m’a dit “si je n’ai pas mon vélo, je vais devenir folle”. »
Les deux semaines précédentes, M. Quévillon avait pris plusieurs précautions pour respecter les mesures d’hygiène des autorités de santé publique. Des lignes blanches tracées devant la porte d’entrée indiquaient aux clients où attendre, et leur vélo devait être déposé sur un support, pour éviter tout contact direct avec les employés « Ça fonctionnait bien, mais c’est vrai que je ne me sentais pas toujours en sécurité », reconnaît le propriétaire.
M. Quévillon dit comprendre la nécessité de mettre le Québec sur pause pour freiner la propagation du coronavirus. Il s’inquiète cependant que la crise perdure. « Je suis d’accord pour fermer pour trois semaines. Mais si c’est plus long, là c’est une autre game. On ne peut pas arrêter pendant des mois non plus. »
J’ai une cliente qui m’a dit “si je n’ai pas mon vélo, je vais devenir folle”
Le propriétaire de l’atelier Le Grand Cycle, situé dans le Plateau Mont-Royal, refuse pour sa part de fermer. Une pancarte accrochée dans sa vitrine indique même « Service essentiel !!! ». « Il y a du Purell à l’entrée, on se lave constamment les mains et les clients gardent d’eux-mêmes leurs distances. Je ne reçois pas 40 personnes, c’est 2 ou 3 clients maximum à la fois », raconte Bruno Lavergne.
À son avis, les services de réparation qu’il offre, comme bien d’autres dans la métropole, sont « plus qu’essentiels » en ces temps de pandémie. Car en plus des citoyens lambda qui veulent se déplacer sur leurs deux roues, il reçoit beaucoup de livreurs dont le vélo est l’outil de travail.
« Je reçois plein de travailleurs de chez Foodora, qui sont à vélo. Il y a aussi l’épicerie au coin, qui a deux vélos de livraison. Ce sont des services essentiels pour aider les personnes plus vulnérables. Leurs vélos, il faut qu’ils roulent. »
Incompréhension
Cyclistes, fabricants, mécaniciens et organismes de promotion du vélo ont ainsi demandé à Québec de revoir sa liste de services essentiels la semaine dernière. La réponse se fait toujours attendre.
La directrice générale de Vélo Québec, Suzanne Lareau, s’explique surtout mal la décision du gouvernement puisque les autorités de santé publique sont les premières à encourager les citoyens à éviter les transports en commun, où il reste difficile de se conformer aux mesures prônant de garder ses distances les uns des autres.
« Toute la communauté du vélo est dans l’incompréhension. Même en Ontario, les boutiques de réparation de vélos sont considérées comme un service essentiel », ajoute-t-elle.
Je reçois plein de travailleurs de chez Foodora, qui sont à vélo. Il y a aussi l’épicerie au coin, qui a deux vélos de livraison. Leurs vélos, il faut qu’ils roulent.
Cela a d’ailleurs permis à Chantal Dufour, une Québécoise installée à Kitchener depuis 17 ans, de continuer à se rendre au travail à vélo. Son pneu a explosé la semaine dernière et elle a pu le faire réparer samedi sans difficulté, puisque les mécaniciens de vélos sont toujours en service dans la province voisine.
« Mon vélo est particulièrement important parce qu’il est beaucoup plus sécuritaire que le transport en commun, du point de vue de la contagion », explique celle qui travaille en radio-oncologie au Grand River Hospital. Prendre le bus la mettrait plus à risque d’attraper la COVID-19 et, pire, de faire entrer le virus sur son lieu de travail.
Transport nécessaire
« C’est aussi une source d’exercice. Et puis, cela me détend, et j’arrive au travail pleine d’énergie », poursuit Mme Dufour, pour qui ce moyen de décompresser n’est pas de refus ces temps-ci.
Les bienfaits du vélo, surtout en cette période de pandémie, sont nombreux, croit aussi Suzanne Lareau. « M. Legault nous dit de garder nos distances, de faire de l’activité physique et de prendre l’air. En vélo, on peut garder facilement une distance physique, ça permet de rester actif et de se déplacer tout en s’aérant l’esprit. Tout ce qu’on demande », soutient-elle.
Et puisque les rues se sont vidées de leurs voitures, il n’a jamais été aussi sécuritaire de rouler à vélo dans Montréal, ajoute-t-elle, invitant toutefois les cyclistes à rester prudents.
Cette situation de crise aura peut-être même l’avantage de créer des changements d’habitudes durables, espère Mme Lareau. Elle rappelle qu’en 1995, les Parisiens se sont tournés vers le vélo en raison des grèves du transport en commun. Une habitude qui est restée par la suite. « Au lendemain de cette crise, les questions environnementales reviendront en force dans l’actualité. Donnons aux Québécois les moyens d’utiliser un mode de transport durable et abordable, dans les meilleures conditions possible, pour en retirer tous les bénéfices. »
Bixi bientôt de retour
Les vélos Bixi feront comme prévu leur retour dans la métropole le 15 avril prochain, ce qui coïncidera — normalement — avec la fin du confinement. Les vélos en libre-service (VLS) se retrouvent dans tous les cas dans la liste des services essentiels du gouvernement. « Bixi devient un incontournable de l’offre de transport montréalaise dans le contexte actuel », soutient l’organisme dans un courriel envoyé au Devoir.
Mais puisqu’il s’agit de vélos partagés, des précautions sont de mise. De nouvelles procédures en ce qui concerne le nettoyage, la désinfection, la prévention ou encore la procédure de location seront mises en place avant le lancement, assure-t-on sans plus de détails. Mais l’organisme insiste : « L’utilisation de Bixi n’implique pas de contacts étroits entre les usagers ni une exposition à d’autres personnes dans un milieu fermé. »
Pour Suzanne Lareau, de Vélo Québec, l’utilisation d’un Bixi ne doit pas être considérée comme un risque pour la santé. « Portez des gants. De toute façon, en avril, il fait encore froid, c’est mieux », lance-t-elle. De son côté, Daniel Lambert, de la Coalition vélo Montréal, recommande de nettoyer le guidon et la selle avant et après usage et de se laver les mains.