Les jeux vidéo pour rêver de la mobilité de demain

Ils maîtrisent comme pas un la modélisation en 3D, savent attirer des utilisateurs sur les plateformes numériques et créent des expériences des plus ludiques. Les acteurs de l’industrie du jeu vidéo disposent d’une expertise et d’un savoir-faire qui, au-delà du simple divertissement, peuvent s’avérer d’une grande utilité dans les domaines de la mobilité et de l’urbanisme. Portrait d’un alliage prometteur.
Les possibilités sont multiples et emballantes. Mais les projets — qui touchent tant à l’organisation de la ville qu’aux modes de déplacement — sont encore à un stade embryonnaire. « On rêve d’être utiles, on veut contribuer [en mobilité] », explique Dominique Lebel, vice-président senior et chef de la stratégie Solutions d’affaires chez Behaviour Interactif.
Depuis cinq ans, le studio montréalais de jeu vidéo, dans lequel fourmillent quelque 600 employés, a développé un volet « solutions d’affaires ». L’objectif : permettre la transposition des apprentissages de l’industrie du jeu vidéo à d’autres secteurs économiques — dont celui de la mobilité.
Dans cette mise à profit d’une industrie qui fait la renommée de Montréal, le savoir-faire technologique est bien sûr cité en tête de liste. On n’a qu’à penser à l’animation 3D, à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée, et à leurs multiples possibilités pour quiconque réfléchit à la ville.
« Dans les jeux vidéo, on reproduit des villes, on crée des personnages en 3D qui se déplacent dans les villes. On a un savoir-faire qui est assez unique », fait valoir Dominique Lebel. Une expertise opportune pour créer, par exemple, un jumeau numérique à une ville, un outil de visualisation de plus en plus populaire auprès des administrations municipales. Ce jumeau numérique permet de tester une panoplie de scénarios (travaux routiers, réaménagement urbain, etc.) sur une réplique en 3D de la ville. Une occasion unique d’en mesurer les effets.
Jean-François Tremblay, président-directeur général de Jalon-Mtl, un organisme à but non lucratif créé par la Ville de Montréal pour déployer des solutions innovantes en mobilité durable, se dit persuadé que l’industrie du jeu vidéo peut contribuer à l’accélération de l’innovation en mobilité.
« Ce qu’on se dit, c’est qu’on va enlever les fusils des jeux vidéo, mais on va garder les logiciels et les interactions des humains dans les villes virtuelles, ce qui va nous permettre d’expérimenter, explique-t-il. Leur façon de simuler et de rendre réelles certaines expériences peut être très bénéfique pour nous. »
Les jeux vidéo peuvent également être mis à profit pour réaliser des tests virtuels sur de nouveaux types de véhicules. « On peut reproduire des solutions immersives qui se rapprochent de mises en situation réelle, soutient Dominique Lebel. On peut donc voir comment les véhicules vont se comporter et comment les gens à l’intérieur des véhicules vont se comporter. »
Jean-François Tremblay cite le cas des navettes autonomes. Grâce à l’expertise technologique des jeux vidéo, « on peut simuler leur présence dans l’environnement urbain avant de les mettre dans la rue, [de la même manière qu’on] simule un vol d’avion. […]On peut également avoir une réflexion sur le design et l’intérieur du véhicule ». Une solution de rechange aux prototypes qui est moins coûteuse et qui permet de bien cerner les interactions entre humains et nouvelles technologies.
Ce qu’on se dit, c’est qu’on va enlever les fusils des jeux vidéo, mais on va garder les logiciels et les interactions des humains dans les villes virtuelles, ce qui va nous permettre d’expérimenter
La gestion en temps réel du trafic pourrait également bénéficier du savoir-faire de l’industrie du jeu vidéo, capable de gérer des masses de données complexes en temps réel. « Dans le jeu vidéo, on récolte énormément de données pour renforcer l’expérience du joueur. Par exemple, on va rendre le jeu plus facile pour que le joueur avance. On a une expertise dans la simplification de données très complexes », souligne Dominique Lebel.
Ludification
La ludification (« gamification »), cette capacité de l’industrie du jeu vidéo à rendre agréable l’expérience des utilisateurs, est également sur toutes les lèvres. « Le jeu vidéo peut être extrêmement accrocheur », lance Jean-François Tremblay, qui rêve de mettre à profit cette expertise pour changer certains comportements chez les citoyens.
Une application permettant de visualiser les effets de nos habitudes de transport sur le climat ou encore une application facilitant encore davantage la gestion multimodale de nos déplacements sont ici évoquées.
« On a beaucoup d’expertise sur comment attirer des gens sur des plateformes numériques et faire en sorte qu’ils y reviennent », explique le vice-président de Behaviour, qui compte parmi ses créations le jeu d’horreur Dead by Daylight ayant attiré 12 millions de joueurs à travers le monde.
« On sait comment faire pour que les gens aient le goût de jouer, aient le goût d’en parler à leurs amis et aient le goût de revenir souvent. C’est un savoir-faire qu’on rend disponible. »
Propulsion Québec, la grappe québécoise des transports électriques et intelligents, née d’un partenariatpublic-privé, a mené en octobre une mission commerciale à Singapour dans le domaine des transports intelligents à laquelle a été convié Behaviour Interactif.
« On a fait le lien pour que Behaviour puisse rencontrer plein de joueurs sur place », explique Sarah Houde, présidente-directrice générale de Propulsion Québec.
Les véhicules sont devenus des batteries et des ordinateurs sur roues, illustre-t-elle. Alors que les boutons mécaniques ont laissé leur place à des écrans, l’expérience des passagers et des conducteurs doit être revue. « L’industrie du jeu vidéo a beaucoup à nous apprendre sur l’expérience utilisateur, sur l’interface avec les usagers et sur la façon de les récompenser », estime Sarah Houde.
Les possibilités sont donc là et devraient bourgeonner prochainement. Montréal veut se positionner comme un leader en mobilité et sa réputation n’est plus à faire dans l’industrie du jeu vidéo. « On travaille à mettre tout ça ensemble », évoque Dominique Lebel.
Il y aurait donc une utilité sociale à tous ces efforts consentis à créer des jeux pour tuer des méchants…