De plus en plus nombreux à affronter l’hiver sur deux roues

Quand la neige a tapissé Montréal mardi dernier, Alex Dimas a enfourché son vélo. Il était 3 heures du matin. Un tapis blanc recouvrait les rues de la métropole. Et les flocons déposés au sol enveloppaient Montréal d’un silence exaltant.
« Il n’y avait pas encore de sel, la neige était douce. C’était magnifique. » Car le vélo, c’est la liberté pour cet architecte de 40 ans. Été comme hiver. « Grâce au vélo, je vis l’hiver et j’adore l’hiver. »
Alex Dimas est loin d’être le seul à s’enivrer du bruit de la neige qui mord sous ses roues et des bouffées d’air froid qui traversent ses poumons. Longtemps traités d’« hurluberlus », les adeptes du vélo d’hiver sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. Dans la région de Montréal surtout, mais ailleurs dans la province aussi.
Et puisque Facebook serait le miroir de l’opinion publique (!), la progression du nombre de membres du groupe Vélo d’hiver est en soi éloquente. De 150 membres en 2010, le groupe est passé aujourd’hui à plus de 9400 adhérents, nous indique François Démontagne, le fondateur du groupe. Beaucoup plus de formations et d’ateliers sur le vélo hivernal sont d’ailleurs proposés cette année, note-t-il.
Une montée en popularité qui encourage les autorités à déblayer de plus en plus de voies cyclables. « On sent que ça bouge, qu’il y a une réflexion, particulièrement à Montréal, mais aussi à Québec et ailleurs dans la province », souligne Suzanne Lareau, présidente-directrice générale de Vélo Québec.
Un réseau cyclable déneigé
À Montréal, c’est maintenant 76 % du réseau cyclable qui est accessible été comme hiver, indique Philippe Sabourin, porte-parole de la Ville de Montréal. Une large proportion de ce réseau de 590 kilomètres, soit 90 %, est constituée de bandes cyclables déneigées en même temps que la chaussée. Les 10 % restants représentent des pistes cyclables protégées, comme celles de la rue Berri ou du boulevard De Maisonneuve, qui sont déneigées et déglacées.
Du côté de Québec, la Ville a annoncé qu’elle lançait un projet-pilote pour déneiger cet hiver une voie cyclable s’étendant sur 7 km, rue Père-Marquette entre l’Université Laval et la colline du Parlement. Il n’a pas été possible d’en apprendre davantage sur la vision de la Ville de Québec concernant le déneigement des voies cyclables.
Dans la métropole, l’achalandage des voies dégagées l’hiver représente environ 10 % de la fréquentation en période estivale, rapporte Suzanne Lareau. Quelque 100 000 cyclistes continueraient d’utiliser leur vélo à Montréal entre les mois de décembre et de mars. « Mais on ne sait pas à quelle fréquence », souligne la p-d.g. de Vélo Québec.
Selon les données colligées par la Ville de Montréal grâce à des compteurs, la piste de la rue Berri serait fréquentée par environ 420 cyclistes par jour l’hiver et la piste du boulevard De Maisonneuve par plus de 540 cyclistes par jour.
« Assurément, il y a de plus en plus de cyclistes qui veulent faire du vélo d’hiver », mentionne Philippe Sabourin. Et la Ville de Montréal souhaite activement répondre à cette demande grandissante, indique-t-il, rappelant au passage les bienfaits pour la santé, pour la réduction de la congestion automobile et des GES et pour le désengorgement du transport en commun.
Au cours des prochaines années, la progression du réseau hivernal métropolitain devrait toutefois se faire à un rythme plus diffus. Les 24 % des voies actuellement non dégagées représenteraient majoritairement des pistes situées dans des parcs ou encore dans des rues résidentielles. « On doit s’assurer que ça répond à un réel besoin et que ça ne nuit pas à d’autres usagers, qui ont également des besoins récréatifs », fait valoir Philippe Sabourin.
Essentiellement, le vélo d’hiver sert aux déplacements, rappelle Suzanne Lareau. Il est donc logique que le réseau hivernal soit moins étendu.
Réduire le sel
Plusieurs arrondissements sont encore en train de tester les meilleures pratiques de déneigement pour leurs pistes cyclables. « On n’a pas encore trouvé la solution parfaite, mais on y travaille », souligne Philippe Sabourin. Pour l’instant, ce sont les mêmes tracteurs que ceux qui circulent sur les trottoirs qui sont privilégiés, mais munis de balais-brosses en acier pour déloger la neige et la glace.
« On sait que les cyclistes préfèrent qu’on utilise le moins de sel possible puisque c’est dur sur la mécanique », souligne-t-il. Dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, du sel liquide préhumidifié est utilisé, une technique qui permettrait de déloger la glace sur la piste cyclable plus efficacement.
« Ailleurs dans le monde, un mélange de saumure est souvent utilisé, parfois avec du jus de betterave », rapporte Suzanne Lareau, qui rappelle que bien de la recherche doit encore être faite pour déterminer les meilleurs équipements et les abrasifs les plus adaptés à utiliser sur les pistes cyclables.
Les piétons négligés ?
Pendant que le vélo d’hiver continue de gagner des adeptes, une certaine incompréhension taraude encore nombre de Montréalais, méfiants à l’idée de voir davantage de cyclistes circuler dans la ville l’hiver.
Dès que la première neige est tombée sur Montréal la semaine dernière, des citoyens mécontents ont d’ailleurs noté que certaines pistes cyclables étaient mieux déblayées que les trottoirs. « Visuellement, c’est ce qu’on observait, notamment sur la piste Rachel », admet Philippe Sabourin. Mais il ne s’agit pas d’une volonté de la Ville de prioriser les cyclistes au détriment des piétons, ajoute-t-il. L’asphalte de la chaussée absorbe davantage la chaleur du soleil que le béton des trottoirs, explique le porte-parole, ce qui fait fondre la neige et la glace plus rapidement.
Pour une pratique sécuritaire
Il y a en moyenne cinq tempêtes de neige par hiver à Montréal, si l’on se fie aux données colligées au fil des 36 dernières années, mentionne Philippe Sabourin. Faire du vélo l’hiver ne veut donc pas nécessairement dire pédaler dans la neige folle ou braver des températures polaires. « Pendant la majorité de la saison hivernale, les rues offrent des conditions sécuritaires pour les déplacements. »
Maintenant, je préfère rouler en hiver, tout le monde est plus lent, plus prudent et plus respectueux
« Chacun a sa zone de confort et il faut l’écouter », ajoute pour sa part Suzanne Lareau. Certains décideront de ne sortir leur vélo que lorsque la chaussée sera complètement sèche, d’autres seront plus aventureux. Mais le vélo d’hiver vaut la peine d’être découvert, croit Suzanne Lareau.
Alex Dimas conseille d’équiper son vélo de pneus cloutés et de le munir de plusieurs lumières. « Il faut vraiment être très visible. On me voit de très loin quand je fais du vélo l’hiver. » Et il faut s’habiller avec une succession de couches. « On a chaud assez vite », souligne-t-il.
La conduite doit évidemment être adaptée. « Maintenant, je préfère rouler en hiver, tout le monde est plus lent, plus prudent et plus respectueux », fait valoir le cycliste.
Et c’est dans la lenteur que l’on peut apprécier davantage la beauté de la ville engourdie par la froideur, rappelle-t-il.
Du pont Jacques-Cartier au canal de Lachine
À force de garnir ses rangs, la communauté de cyclistes quatre saisons a réussi à faire fléchir le paradigme voulant que le vélo ne soit qu’un sport d’été. Davantage d’acteurs institutionnels prêtent aujourd’hui une oreille attentive à leurs demandes. Dès l’inauguration du pont Samuel-De Champlain l’été dernier, le ministre fédéral de l’Infrastructure, François-Philippe Champagne, a annoncé que la piste multifonctionnelle serait ouverte toute l’année. « Ça envoie le bon message, dit Suzanne Lareau, présidente-directrice générale de Vélo-Québec. Maintenant, quand il y a une nouvelle infrastructure, celle-ci doit être ouverte 12 mois par année pour tous ses utilisateurs. » Il y a deux semaines, la société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain incorporée annonçait le lancement d’un nouveau projet-pilote visant à déblayer la piste cyclable sur le pont Jacques-Cartier. Un nouveau protocole d’entretien et de surveillance sera testé. Le précédent projet-pilote, réalisé à l’hiver 2017-2018, ne s’était pas avéré concluant et la piste était demeurée fermée l’hiver dernier.Quant à la piste du canal de Lachine, les discussions seraient au point mort. Tant l’arrondissement du Sud-Ouest que des associations de cyclistes revendiquent le déblaiement de la piste qui mène au centre-ville de Montréal. Mais Parcs Canada nous dit que plusieurs « inquiétudes » sont nées du projet-pilote qui a permis de tester le déneigement d’un tronçon de 1 kilomètre sur la piste du canal. Ainsi, le déneigement causerait une détérioration prématurée de la piste, nécessiterait la modification de plusieurs ponts et tunnels et imposerait la reconstruction de la piste à un niveau plus élevé en raison des digues. Parcs Canada continue d’évaluer les options pour le déneigement, « et une décision finale sera communiquée dans [un avenir] rapproché », indique l’agence gouvernementale.