La ville intelligente, levier d’une révolution sociale et écologique

Le lien social doit être placé au coeur du concept de ville intelligente pour que celle-ci soit génératrice de changements profonds et durables dans notre manière de vivre la ville de demain, une ville avant tout solidaire et audacieuse dans sa lutte contre les changements climatiques.
« La ville intelligente, c’est très technique. Ce sont des capteurs, des données », fait valoir Ursula Eicker, titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur les communautés et les villes intelligentes, durables et résilientes de l’Université Concordia. « Ça n’implique pas les gens, ça implique la technologie. Or, s’il n’y a pas de coopération entre les gens, ça ne va pas fonctionner », explique la physicienne allemande, spécialisée dans le concept de ville intelligente.
Pour recentrer le concept de ville intelligente autour de l’humain, Ursula Eicker et l’équipe de chercheurs réunis au sein du nouveau pôle d’innovation sur les villes de Concordia proposent le concept de « ville de nouvelle génération ». Une ville bien sûr connectée, mais aussi inclusive, collaborative, écologique, mais aussi axée sur la mobilité et l’implication citoyenne. Car sans lien social raffermi, la ville a beau être à la fine pointe de la technologie, la collaboration et le partage n’en deviendront pas plus tangibles.

La physicienne Ursula Eicker devant le projet de recherche «Dust Agitator, installation cinétique, 2018» de la chercheuse Alice Jarry, exposé à Espace 4 de l’Université Concordia
Une nouvelle posture qu’embrasse la Ville de Québec. Celle-ci a récemment changé sa définition de la ville intelligente pour mettre l’accent sur l’humain. « Pour nous, la ville intelligente, c’est des citoyens en santé, sur un territoire en santé, en plaçant l’humain au coeur de l’innovation sociale et technologique », dit Pierre-Luc Lachance, conseiller municipal à la Ville de Québec et ancien directeur général de Québec numérique, un organisme ayant pour mission de faire rayonner l’écosystème numérique du Québec.
« Avant, quand on parlait de ville intelligente, on parlait d’innovation numérique, mais les citoyens ne se sentaient pas interpellés. Alors, on s’est demandé ce qui les touche : nos citoyens veulent bien vivre dans leur ville. Et pour bien vivre, il faut qu’ils soient en santé. » La Ville a ainsi pris acte d’une étude révélant qu’il existe un écart de huit ans entre l’espérance de vie de citoyens de Québec vivant dans un milieu favorisé par rapport à ceux vivant dans un milieu défavorisé. « C’est une inégalité sociale absolument révoltante. C’est complètement inacceptable », souligne Pierre-Luc Lachance.
En collaboration avec des chercheurs de l’Université Laval, la Ville de Québec cherche donc à mettre à profit la ville intelligente pour lutter contre les inégalités sociales et permettre l’éclosion de milieux de vie plus sains, par exemple en luttant contre les îlots de chaleur ou le bruit et en favorisant l’accès à des aliments de qualité.
Plusieurs autres projets axés sur la ville intelligente sont sur la table à dessin de Pierre-Luc Lachance. La Ville de Québec met actuellement en place une nouvelle plateforme de participation publique pour accroître le dialogue avec ses citoyens. Ceux-ci peuvent d’ailleurs déjà se prononcer sur la nouvelle politique de sécurité routière de la ville, annoncée début octobre.
Et la Vieille Capitale souhaite se doter d’un jumeau numérique en 3D. Un modèle virtuel qui permettra de tester des hypothèses lorsque de nouveaux projets sont en gestation. « Par exemple, pour lutter contre les îlots de chaleur, on pourrait tester si c’est préférable d’avoir une politique d’instauration de toits blancs dans un quartier ou plutôt de planter 25 arbres. »
Changements climatiques
La ville intelligente doit donc aussi être comprise comme un moyen, un outil de plus, pour faire face à l’urgence climatique. « Lorsqu’on est moins efficace, on gaspille de l’énergie et on produit plus d’émissions. La ville intelligente peut donc aider à lutter contre les changements climatiques », souligne Ursula Eicker. Grâce à l’apport des données, la consommation énergétique des bâtiments, la circulation automobile, le partage des véhicules, l’utilisation du transport en commun ou encore la gestion des déchets peuvent être améliorés, entre autres exemples.
Mais sans un changement structurel sous-jacent — autant dans nos infrastructures que dans notre approvisionnement énergétique —, l’apport de la ville intelligente demeurera marginal, estime la chercheuse. « Par exemple, si on continue à se déplacer à bord de voitures à essence, même si on a une application qui nous aide à trouver un stationnement plus rapidement, ça ne va pas changer profondément la donne. »
À la Ville de Montréal, le concept de ville intelligente est intrinsèquement lié à la lutte contre les changements climatiques. « La ville intelligente, c’est une ville qui travaille à améliorer la qualité de vie de ses citoyens […] en mettant à profit la technologie pour y arriver. C’est donc aussi comment l’Internet des objets, comment la collecte des données nous permettent d’être plus efficaces », mentionne François William Croteau, maire de Rosemont–La Petite-Patrie et responsable du dossier de la ville intelligente au conseil exécutif de la Ville de Montréal.
En mai, la Ville de Montréal et son Laboratoire d’innovation urbaine ont remporté le Défi des villes intelligentes du Canada, chapeauté par Infrastructure Canada et accompagné d’une bourse de 50 millions de dollars. Une somme qui permettra à la ville de développer deux projets, imbriqués l’un dans l’autre, celui d’améliorer la mobilité sur son territoire et de lutter contre les déserts alimentaires.
« On souhaite utiliser les données pour aider les usagers à mieux planifier leurs trajets et profiter de toutes les offres du cocktail de transports et on pourra aussi venir combler les manques entre les grands réseaux de transport », soutient François William Croteau. Du même coup, l’administration municipale espère décloisonner les quartiers souffrant d’un piètre accès à une alimentation de qualité.
La ville intelligente, c’est une ville qui travaille à améliorer la qualité de vie de ses citoyens […] en mettant à profit la technologie pour y arriver
D’autres projets sont également en cours. La Ville souhaite accélérer le déploiement des services en ligne pour ses citoyens. Une panoplie de permis seront d’ailleurs bientôt offerts en ligne, ce qui évitera aux citoyens de se déplacer dans les bureaux d’arrondissement.
Et la Ville de Montréal a lancé un appel d’offres afin de tester des innovations permettant d’optimiser l’utilisation des stationnements autour de la rue Sainte-Catherine, actuellement en réfection. « On se donne la chance de faire de l’expérimentation. On va tester des modèles pendant un an pour voir lesquels sont les plus efficaces. »
Parallèlement à ces projets, l’administration Plante prévoit d’adopter sous peu sa Charte des données numériques, déposée au printemps dernier. Une politique qui permettra d’assurer « une gouvernance transparente et démocratique des données et de rassurer la population sur la sécurité des données collectées », souligne l’élu montréalais.
Pour créer un dialogue et susciter une réflexion avec ceux et celles qui vivront cette cité de demain, l’Université Concordia accueille, au cours des trois prochaines semaines, l’événement NextGenCities à l’Espace 4, un lieu de rencontre avec les citoyens servant à décloisonner la recherche universitaire. Une succession d’ateliers, de conférences et d’expositions s’y tiendront chaque jour autour de la thématique de la ville et des promesses qu’elle renferme.