De l’eau souterraine pour climatiser les édifices

La Biosphère, à Montréal, utilise un système à boucle ouverte depuis 1995. L’eau pompée, dont la température varie de 9 à 13 degrés Celsius, est puisée à environ 90 mètres sous terre.
Photo: Environnement et Changement climatique Canada La Biosphère, à Montréal, utilise un système à boucle ouverte depuis 1995. L’eau pompée, dont la température varie de 9 à 13 degrés Celsius, est puisée à environ 90 mètres sous terre.

Dès l’été prochain, la ville de Québec accueillera des essais pilotes pour tester une technologie permettant de climatiser des bâtiments avec l’eau souterraine ; une solution de remplacement aux climatiseurs traditionnels qui permet à la fois de réduire la facture énergétique et de lutter contre les îlots de chaleur.

L’eau souterraine maintient une température relativement stable à l’année, explique Jasmin Raymond, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique. À Québec, elle se situe aux alentours de 7 ou 8 degrés Celsius. « En période estivale, c’est une température suffisante pour climatiser de façon très efficace des bâtiments », soutient l’hydrogéologue, qui vient de décrocher une subvention de 540 000 $ du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada pour mener le projet Aquifroid.

Plutôt que d’utiliser un système de climatisation conventionnel qui rejette l’air chaud à l’extérieur du bâtiment — ce qui contribue à une hausse de 1 à 1,5 degré de la température urbaine, selon diverses études —, le professeur Raymond propose d’envoyer la chaleur dans l’eau souterraine. « De l’injecter sous terre permet d’éviter d’amplifier le phénomène des îlots de chaleur. »

Mais, surtout, d’avoir recours au sous-sol terrestre et aux eaux souterraines pour rafraîchir l’air permet de réaliser de substantielles économies d’énergie, détaille Jasmin Raymond. Une diminution de la facture de 30 à 40 % peut être réalisée en ayant recours à des pompes à chaleur géothermiques ; cette réduction peut atteindre 90 % en utilisant directement l’eau souterraine — le principe du refroidissement naturel (free cooling).

Plusieurs bâtiments au pays — dont le nouveau pavillon d’accueil de l’Assemblée nationale à Québec — sont déjà climatisés en été et chauffés en hiver grâce à des pompes à chaleur géothermiques à boucles fermées. Un liquide, formé d’un mélange d’antigel et d’eau, circule dans les tuyaux pour diffuser ou capter la chaleur.

Ce système nécessite toutefois beaucoup de forages dans le sol, ce qui fait grimper les coûts d’installation.« Nous, ce qu’on veut, c’est mettre en valeur le potentiel des aquifères urbains », soutient l’hydrogéologue. Une avenue qui n’a pas encore été beaucoup explorée au pays, bien que certains édifices du centre-ville de Toronto (grâce à l’eau des Grands Lacs) ou encore, plus près de chez nous, la Biosphère, utilisent cette technologie.


En vert : l’eau de la nappe phréatique située sous la Biosphère est pompée afin de refroidir ou de réchauffer, selon la saison, l’air ambiant du bâtiment au moyen d’un échangeur thermique. En blanc : l’eau est ensuite renvoyée vers la nappe phréatique.


« Ce système [à boucle ouverte], qui permet de pomper l’eau souterraine, est utilisé, lorsqu’il est en mode chauffage, pour extraire la chaleur de l’eau et la transférer au bâtiment, et, pendant la période de climatisation, le système est inversé pour prendre la chaleur du bâtiment et l’injecter à l’eau souterraine. »

Économies d’échelle

En ce moment, près de 90 % des systèmes géothermiques au pays sont à boucle fermée, ne laissant qu’un 10 % aux installations qui utilisent l’eau souterraine et les aquifères, rapporte le chercheur. Ce type d’installations est toutefois en vogue en Europe, les Pays-Bas étant un leader en la matière.

Et pourtant, de l’eau, il y en a partout sous nos pieds au Canada. « Le sol est gorgé d’eau et, généralement, elle se trouve à une distance assez peu profonde, de 5 à 10 mètres sous le sol. »

En utilisant l’eau souterraine des aquifères, des économies d’échelle peuvent être réalisées, explique le chercheur. « On peut fournir des quantités d’eau importantes avec moins de forages aménagés dans le sol. » Surtout si des réseaux de bâtiments raccordés ensemble sont mis en place.

Un aquifère est une formation géologique dont la perméabilité est suffisamment élevée pour produire de l’eau en grande quantité — essentiellement du sable ou du gravier. À l’inverse, un aquitard est constitué de couches imperméables — par exemple, l’argile — desquelles il est difficile d’extraire des quantités d’eau importantes.

Déjà, un inventaire des principaux aquifères au pays a été réalisé par la Commission géologique du Canada (CGC), un partenaire du projet Aquifroid. « Ce sont les grandes villes, où se trouve une problématique d’îlots de chaleur urbains, mais où se trouvent aussi des aquifères granulaires avec des ressources en eau souterraine importantes », mentionne Jasmin Raymond.

Ce système, qui permet de pomper l’eau souterraine, est utilisé, lorsqu’il est en mode chauffage, pour extraire la chaleur de l’eau et la transférer au bâtiment, et, pendant la période de climatisation, le système est inversé pour prendre la chaleur du bâtiment et l’injecter à l’eau souterraine

Toronto se trouve en tête de liste. Québec prend la deuxième place, suivie d’Edmonton, Kitchener, Vancouver, Winnipeg et Saskatoon — des villes où se trouvent des aquifères de dépôts meubles comme du sable ou du gravier. Les villes de Montréal, Otttawa–Gatineau et Calgary — où les aquifères sont de type roc fracturé — closent le palmarès. « L’eau souterraine s’y retrouve dans les fractures des formations rocheuses et c’est donc plus difficile d’en produire de grandes quantités. »

Préserver la ressource

 

Les essais pilotes qui démarreront l’été prochain à Québec se concentreront dans la basse-ville, près de la rivière Saint-Charles, où se trouve un aquifère de sable voltaïque.

Ces tests permettront de « promouvoir l’utilisation de l’eau souterraine » tout en s’assurant de protéger la ressource, mentionne Jasmin Raymond. Ainsi, une évaluation des risques sera menée et des avenues pour bonifier la réglementation en vigueur seront explorées.

Actuellement, toute l’eau pompée doit être réinjectée sous terre, mais elle est renvoyée à une température plus élevée, oscillant entre 12 et 15 degrés Celsius. « On ne change pas les quantités, mais uniquement la température. » Les risques de corrosion ou encore de prolifération bactérienne doivent donc être examinés.

« On a le devoir de préserver les ressources en eau souterraine [qui servent également à l’approvisionnement en eau potable] pour les besoins actuels et ceux des générations futures », insiste le chercheur.

Une fois que le projet de recherche Aquifroid — déployé sur trois ans — sera mené à terme, les avancées technologiques pourront être transférées au secteur privé pour commercialiser la technologie ou encore aux organismes communautaires pour la déployer dans davantage de bâtiments.

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