Inévitable, le péage sur le pont Samuel-De Champlain?

Au terme de quatre ans de travaux, le nouveau pont Samuel-De Champlain sera ouvert à la circulation automobile en direction nord à compter de lundi. Pour souligner l’événement, Le Devoir propose une série d’articles sur cet ouvrage d’infrastructure qui devrait faire partie du paysage montréalais pendant les 125 prochaines années.
« Pas de péage, pas de pont », avait déclaré le maire Gérald Tremblay en 2011. Le ministre conservateur Denis Lebel venait alors d’annoncer qu’un nouveau pont serait construit au-dessus du Saint-Laurent pour remplacer le vieux pont Champlain. Huit ans plus tard, le pont Samuel-De Champlain s’apprête à être inauguré, mais sans le péage puisque les libéraux de Justin Trudeau l’ont aboli. Pour les municipalités, l’idée d’imposer une tarification routière dans la région métropolitaine continue de faire son chemin.
En 2011, le pont Champlain était dans un tel état de délabrement que les maires de la région de Montréal ont réclamé avec de plus en plus d’insistance du gouvernement fédéral qu’il construise un nouveau pont, quitte à y mettre un péage.
Nouvellement réélu au printemps de 2011 avec le gouvernement de Stephen Harper, Denis Lebel, alors ministre des Transports, avait finalement confirmé le remplacement du pont Champlain. La nouvelle structure construite en PPP serait dotée d’un péage pour financer sa construction, avait-il annoncé. Cette nouvelle a ravi Gérald Tremblay, mais moins d’autres maires comme Caroline St-Hilaire qui plaidaient en faveur de l’équité d’un péage métropolitain.
Les revenus liés à la taxe sur l’essence ne progressent pas aussi vite que l’augmentation de nos coûts d’entretien et de développement routier
Le péage, c’était l’argument que détenait Denis Lebel pour faire accepter le projet auprès du premier ministre Harper et de ses collègues du gouvernement, a récemment confié l’ancien ministre à La Presse.
Au fil des mois, toutefois, l’idée d’un péage sur un seul pont a suscité le mécontentement des élus locaux, car il aurait pour effet d’inciter les automobilistes à se rabattre sur les autres ponts de la Rive-Sud sans péage, comme le pont Jacques-Cartier.
On connaît la suite. En campagne électorale à l’automne 2015, Justin Trudeau a promis qu’il n’imposerait pas de péage sur le nouveau pont s’il était porté au pouvoir. L’abandon du péage fera perdre des revenus d’au moins 3 milliards au cours des 30 premières années, a soutenu le vérificateur général du Canada en 2018.
C’est une occasion manquée », estime Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, qui préconisait à l’époque un péage sur l’ensemble du territoire de la grande région de Montréal.
« On était favorables au péage, mais pas uniquement sur Champlain, se souvient-il. Ça aurait dû être une occasion de généraliser le péage sur le réseau autoroutier supérieur comme cela se fait dans beaucoup d’autres endroits dans le monde. »
Avec un péage sur un seul pont, un transfert d’automobilistes et de camionneurs vers les autres ponts était hautement prévisible. Mais aucun consensus n’a été atteint concernant un péage à l’échelle de la région métropolitaine. « Il y a eu une forte politisation du dossier », rappelle Christian Savard.
Depuis, les péages sont périodiquement revenus sur le tapis. En novembre 2015, la Commission de l’écofiscalité du Canada, un groupe de recherche indépendant, a recommandé l’implantation d’un péage sur tous les ponts ceinturant l’île de Montréal.
Plus récemment, en mars dernier, la Commission du transport de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a proposé une série de mesures pour financer les transports en commun. Parmi celles-ci, un péage par zone géographique ou une tarification kilométrique en fonction des distances parcourues.
Christian Savard croit qu’à plus ou moins brève échéance, les péages seront inévitables : « Les revenus liés à la taxe sur l’essence ne progressent pas aussi vite que l’augmentation de nos coûts d’entretien et de développement routier. À un moment donné, le péage va devenir incontournable. »
Si les péages constituent d’abord un outil de financement pour les routes et les transports en commun, ils représentent aussi un outil de gestion de la congestion.
Pont de la Confédération
L’absence de péage sur le pont Samuel-De Champlain fait grincer des dents ailleurs au pays. Le sénateur de l’Île-du-Prince-Édouard Percy Downe milite depuis des années pour que ses concitoyens puissent utiliser gratuitement le pont de la Confédération qui relie la province au Nouveau-Brunswick. À l’heure actuelle, ceux-ci doivent payer 47,75 $ (aller-retour) pour emprunter le pont de 12,9 km. Le gouvernement Trudeau a toujours refusé d’accéder à sa demande, alléguant que le pont de la Confédération était une nouvelle infrastructure qui prenait le relais d’un service de traversier payant et non le remplacement d’une infrastructure existante, comme c’est le cas pour le pont Samuel-De Champlain.
Mais Percy Downe refuse de lâcher prise. Il doit d’ailleurs rencontrer le premier ministre Dennis King lundi prochain pour discuter d’une réduction de tarifs.
Rappelons que pendant des décennies, les automobilistes de la région montréalaise ont dû payer pour traverser les ponts entre Montréal et la Rive-Sud. Le péage a été aboli sur les ponts Jacques-Cartier et Victoria en 1962, quelques jours avant l’inauguration du pont Champlain. Sur celui-ci, chaque passage coûtait 0,25 $.
Le péage sur le pont Champlain a été abandonné en 1990 conformément à la promesse faite en campagne électorale par le député fédéral de La Prairie, Fernand Jourdenais.
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