Projet Royalmount: les écueils de la planification urbaine

Le projet de CarbonLeo, dans sa version actuelle, n’a rien, ou si peu, d’un développement axé sur les transports collectifs et actifs, et ce, malgré sa densité et la proximité de la station de métro De la Savane.
Photo: Carbonleo Le projet de CarbonLeo, dans sa version actuelle, n’a rien, ou si peu, d’un développement axé sur les transports collectifs et actifs, et ce, malgré sa densité et la proximité de la station de métro De la Savane.

Le promoteur du futur mégacentre commercial Royalmount a beau se targuer de vouloir construire un « super TOD » [transit-oriented development : voir encadré], son projet, dans sa version actuelle, n’a rien, ou si peu, d’un développement axé sur les transports collectifs et actifs, et ce, malgré sa densité et la proximité de la station de métro De la Savane. N’en déplaise toutefois à ses détracteurs — et à la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation qui vient, au terme de deux semaines de consultations, de recommander sa suspension afin de revoir sa planification —, le maître d’oeuvre est actuellement dans son plein droit, rien dans la réglementation ou les outils de planification en place ne l’obligeant à tenir compte de ces composantes.

« C’est malheureux — et on peut critiquer le projet tant qu’on veut —, mais la version actuelle du Royalmount répond aux critères de planification de l’agglomération et de la Communauté métropolitaine de Montréal [CMM] », souligne le chargé de cours Pierre Barrieau, qui, à titre de consultant indépendant, s’intéresse de près aux projets de réaménagement urbain. De fait, le secteur visé par CarbonLeo, qui planche depuis 2012 sur son imposant projet situé à l’angle des autoroutes 15 et 40, est actuellement zoné « industriel ». Il peut donc accueillir des bureaux ou des installations commerciales et de divertissement, ce qui, force est de le constater, correspond en tout point au projet présenté.

Un flou dans les règlements

 

« Il existe présentement, dans les outils et règlements, une sorte de flou qui permet aux promoteurs de faire un peu ce qu’ils veulent en matière d’aménagement, expose en soupirant le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard. Et, comprenez-moi bien, ça ne m’empêche pas d’être contre le Royalmount dans sa forme actuelle, mais je suis bien obligé d’admettre que rien, au départ, ne forçait CarbonLeo à accorder une vraie place aux transports collectifs dans son projet. Rien ne l’obligeait non plus à faire un quartier à échelle humaine — en fait, le zonage actuel va même à l’encontre de cette idée. »

Rien, ou presque. Car, au-delà de la volonté évidente de favoriser le développement économique et la croissance démographique, le Schéma d’aménagement et le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) s’appuient sur un désir clair d’aménager des milieux de vie de qualité axés sur le développement durable et qui favorisent les déplacements en transport collectif et actif. « Nos outils font trop souvent preuve de laxisme et gagneraient à être plus précis, mais ils sont tout de même encadrés par une vision d’ensemble, rappelle Christian Savard, qui suit ces questions depuis près de 20 ans. Ce n’est pas parfait, mais on essaie de ne plus penser les villes comme dans les années 1950. »

2015
C’est l’année d’adoption du Schéma d’aménagement et de développement de l’agglomération de Montréal, qui établit les orientations du territoire de la métropole jusqu’en 2025. 
Source: Ville de Montréal

C’est d’ailleurs cette vision qui, selon plusieurs experts, explique la levée de boucliers des derniers mois contre le Royalmount de CarbonLeo. Cette dernière aussi qui a poussé le promoteur à utiliser le concept de TOD pour définir son projet et à y ajouter une composante résidentielle. Absente des plans initiaux, celle-ci pourrait toutefois lui compliquer la vie dans les prochains mois puisque, pour prendre forme, elle nécessitera une révision du Schéma d’aménagement.

Nécessaire révision

 

Il n’empêche que, concrètement, si la Ville de Montréal et la CMM souhaitent éviter, à l’avenir, que des projets de ce genre et de cet acabit soient développés sur leur territoire, elles devront rapidement entamer une réflexion afin de réviser leurs outils de planification. Un exercice qui, à terme, pourrait sans doute même être salutaire pour les promoteurs, estime Pierre Barrieau, qui, dans le cadre de sa pratique, a déjà été amené à collaborer avec de nombreux promoteurs immobiliers. « Mettre en place des outils plus serrés leur permettrait de savoir exactement dans quelle direction s’aligner lorsqu’ils imaginent un nouveau projet, insiste-t-il. En plus, ça diminuerait les tensions et les frustrations entre les différents acteurs, une fois le projet sur la table. »

Car au-delà des impacts sur la congestion dans la région métropolitaine qu’entraînerait très certainement la construction d’un mégacentre comme le Royalmount à la jonction des autoroutes 15 et 40, le débat autour de ce nouveau développement urbain met en lumière les lacunes de nos outils de planification urbaine.

8000
C’est le nombre de places de stationnement intérieures et gratuites prévues dans le projet Royalmount.
Source: Avis technique final sur les impacts du projet Royalmount sur les déplacements

Outils qui, s’ils ne sont pas rapidement revus en profondeur, risquent de nous jouer encore bien des tours au cours des prochaines années, alors que de nombreux secteurs de l’île sont appelés à être repensés dans leur entièreté. On n’a qu’à penser aux nombreuses friches industrielles aux abords de l’aéroport de Montréal ou, plus au sud, à Lachine, auxquelles on devra rapidement trouver de nouveaux usages.

« La question va encore se poser, et plus rapidement qu’on pense, soutient le chargé de cours. Le Royalmount, ce n’est que la pointe de l’iceberg ; les secteurs à repenser vont se multiplier dans les prochaines années. »

Brièvement interrogée sur la possibilité de revoir les outils de planification au lendemain du dépôt des recommandations de la commission chargée d’étudier le projet, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a rappelé l’importance de ne pas travailler en vase clos, surtout lorsqu’un projet a des répercussions régionales de cette ampleur. « J’espère qu’à l’avenir, nous arriverons — sans pour autant enlever les pouvoirs qui incombent à chaque municipalité — à mieux travailler ensemble. »

Des répercussions régionales

 

« Il est impératif que l’on s’attarde collectivement à nos outils de planification, martèle pour sa part Paula Negron, professeure à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et codirectrice de l’Observatoire de la mobilité durable. Ce n’est pas normal qu’en 2019, un projet comme le Royalmount, qui aura des répercussions immenses sur la région métropolitaine, puisse aller de l’avant parce qu’on n’a pas su voir venir ! »

Le TOD, au-delà des transports

Décrit comme un « super-TOD » (transit-oriented development) par le promoteur, le projet Royalmount, malgré sa proximité avec la station de métro De la Savane et le fait qu’il présentera sans doute certains attraits pour les piétons une fois sur place, n’a pas grand-chose du TOD, selon Paula Negron de l’Observatoire de la mobilité durable. « Ce n’est pas tout d’être près d’une station de métro, insiste-t-elle. Il faut que ce soit facile de s’y rendre, que ce soit agréable ! Il faut que l’environnement incite les gens à délaisser leur voiture au profit des transports collectifs. »

Par son emplacement, à la jonction de deux autoroutes majeures, et coincé entre des voies ferrées, le Royalmount, malgré les efforts du promoteur, risque donc d’avoir bien du mal à se qualifier. « Même l’offre de service — magasins luxueux, centres de divertissement pour la famille, salles de spectacles, etc. — risque de favoriser les gens qui se déplacent en voiture », rappelle la chercheuse. En ce sens, le promoteur ne se cache pas de vouloir, notamment, attirer ceux qui, normalement, optent pour des activités dans les quartiers excentrés et des villes de banlieues.

Par ailleurs, le concept du TOD repose généralement sur la notion de quartier complet, c’est-à-dire qui permet à ceux qui y résident de répondre à leurs besoins. On parle donc ici de logements, mais aussi de commerces de proximité situés à distance de marche, dans un espace où il est possible et agréable de se déplacer autrement qu’en voiture. « La mixité des usages est implicite au TOD, précise la responsable des dossiers Transport, GES et Aménagement du territoire au Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal), Tania Gonzalez. Il faut que ce soit plus qu’un simple lieu de destination, ça doit aussi un milieu de vie. »



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