Projets de transport: aller au-delà des promesses

Qu’ont en commun la ligne rose du métro de Montréal et le troisième lien de Québec ? Tous deux promis en campagne électorale — municipale pour l’un, provinciale pour l’autre —, ces projets de transport, malgré leur bureau d’étude respectif, risquent fort de ne ressembler en rien à ce qui aura été présenté aux citoyens au départ.
Le problème — tant pour la compréhension du public que pour l’avancement des projets —, c’est qu’on a tendance à axer toute notre attention sur les modes, plutôt que sur les besoins de transport, déplore la professeure au Département d’études urbaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Florence Junca-Adenot. « Le politique y est pour beaucoup, mais on prend le problème à l’envers, critique-t-elle. On veut faire une ligne de tramway sur le boulevard Taschereau, plutôt que de se demander qui veut se déplacer dans ce secteur, et pour aller où, à quel moment de la journée et pourquoi. À terme, peut-être que la solution est un tramway, mais il faut commencer par se poser les bonnes questions. »
Ainsi, que ce soit pour un éventuel projet de tramway autour du développement du Royalmount, qui faisait l’objet de consultations publiques cette semaine à Montréal, ou pour un énième projet de transport d’envergure nationale, les premières images dont disposeront les citoyens pour se faire une tête proviennent généralement d’études préliminaires peu détaillées, qui servent essentiellement à leur vendre un rêve. Pour s’en convaincre, on n’a d’ailleurs qu’à se souvenir des nombreux plans de décongestion pour la région métropolitaine présentés lors de la plus récente campagne électorale provinciale. « Il y a tellement d’éléments à considérer lorsqu’on planifie un nouveau projet de transport qu’il est impossible de tout prévoir dès le début », affirme François Pépin, le président de Trajectoire Québec.
Ce qui explique, selon lui, qu’il y ait, par exemple, de nombreuses différences entre les premières esquisses du Réseau express métropolitain, présentées au public en avril 2016, et les plans de construction actuels du même projet. « Il y a quelque chose de très sain à redéfinir ce qu’on veut faire en cours de route, ajoute celui qui s’intéresse depuis longtemps au développement des transports collectifs au Québec. Il ne faut pas le faire indéfiniment, mais les études et évaluations servent à ça : à établir quel est le meilleur projet. »
Priorité aux besoins
En règle générale, ces derniers doivent d’abord faire l’objet d’un dossier d’opportunité. Élaboré par l’entité chargée de la planification, comme l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) pour ce qui touche la grande région de Montréal, celui-ci sert à cibler les besoins des populations concernées. « L’idée, à cette étape-ci, est de déterminer où on veut intervenir, mais aussi pourquoi il faut le faire maintenant à cet endroit précis », expose Florence Junca-Adenot. Par exemple, « on peut vouloir assurer une meilleure desserte vers le centre-ville pour les résidents de l’est de Montréal » ou encore, « réduire les temps de déplacements et la congestion sur la Rive-Sud dans la région de Québec ».
Et ce n’est qu’une fois ces besoins bien cernés qu’on peut passer aux choses sérieuses ; le projet pouvant alors entrer dans la phase « de faisabilité » qui permet d’évaluer les différents scénarios possibles. Viennent ensuite les étapes de priorisation des projets et de répartitions des budgets nécessaires — où sont appelés à intervenir les élus. Et ce n’est qu’après, une fois l’approbation politique obtenue, que l’on peut, enfin, entamer la planification physique et le processus d’appel d’offres. « C’est durant l’étude de faisabilité qu’on commence à s’attarder aux technologies et aux modes de transport disponibles, précise Jean-François Lefebvre, économiste et chargé de cours en études urbaines à l’UQAM. Et ce sont des choses qui peuvent changer jusqu’à ce que les contrats soient officiellement octroyés. »
Débat de modes
Malheureusement, cet ordre est rarement respecté quand vient le temps de planifier et de construire de nouveaux projets de transport — tant collectifs que routiers. « On fait vraiment une fixation sur les modes », reproche Paul Lewis, professeur à la Faculté d’aménagement de l’Université de Montréal, en ajoutant qu’on gagnerait pourtant collectivement à mettre ces considérations de côté, ne serait-ce qu’au début. « Comprenez-moi bien, cette tendance n’est pas propre au Québec, précise ce spécialiste du développement des infrastructures de transport. C’est comme ça partout parce que c’est ce que les gens arrivent à visualiser quand on leur parle de transport » ; bien plus que des perspectives d’achalandage ou des couloirs de transit quotidien alternatifs.
Toutes les entités impliquées […] gagneraient à faire preuve de plus de transparence quand vient le temps d’annoncer l’élargissement de certaines autoroutes ou la construction de nouvelles lignes de métro
En mettant la charrue devant les boeufs, on risque toutefois d’étirer les délais et, plus encore, d’alimenter le cynisme des citoyens quand un projet change ou ne voit finalement pas le jour. « Est-ce que ça veut dire qu’il faut éviter les annonces ? Pas nécessairement, admet toutefois Florence Junca-Adenot. Mais toutes les entités impliquées — qu’elles soient politiques ou non — gagneraient à faire preuve de plus de transparence quand vient le temps d’annoncer l’élargissement de certaines autoroutes ou la construction de nouvelles lignes de métro. »
Plus encore, en excluant clairement le politique de la planification des transports, on minimiserait les risques de voir des projets étudiés tablettés ou, encore d’en voir d’autres privilégiés, malgré les avis scientifiques, note Jean-François Lefebvre, de l’UQAM. La création de l’ARTM a d’ailleurs cette visée. « En transport, surtout dans le contexte actuel, il faut s’assurer que les décisions soient prises de manière réfléchie. Après tout, le processus d’évaluation sert à ça : écarter les penchants idéologiques. »
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