Avoir des enfants sans avoir de voiture, est-ce possible?

Moins « pratiques et flexibles » au quotidien que la voiture individuelle, les transports collectifs et partagés peinent à répondre aux besoins des familles, et ce, même dans les quartiers centraux montréalais. Et celles qui refusent coûte que coûte d’acquérir un véhicule doivent bouleverser d’autres sphères de leur vie pour continuer de voyager vert.
Quand Blaise Rémillard et sa conjointe ont décidé d’avoir un bébé, le Montréalais n’avait qu’une seule condition : ne pas acheter de voiture. « Je n’en ai jamais eu et, en toute franchise, c’est un point sur lequel je n’ai jamais vraiment été prêt à faire de concession, lance-t-il en riant. Pour moi, c’est un peu comme un devoir envers la planète, mais aussi envers mon enfant. »
Aujourd’hui papa d’un petit bonhomme de deux ans, l’homme de 36 ans tient le coup, mais admet tout de même qu’entre les allers-retours à la garderie, les courses hebdomadaires et la famille élargie établie en périphérie de la métropole, cette mobilité partagée n’est pas toujours facile à vivre au quotidien. Et c’est sans compter les retards fréquents des autobus et l’absence d’ascenseur dans la plupart des stations de métro. « On y arrive parce qu’on fait des efforts, mais surtout parce qu’on a fait des choix, insiste-t-il. On a fait des changements au cours des dernières années — comme celui de déménager dans un logement à proximité de plusieurs lignes de transport — afin de préserver notre mode de vie sans auto. »
De fait, à défaut de pouvoir compter sur des services toujours à la hauteur de ses besoins, Blaise Rémillard indique avoir, notamment, changé d’emploi depuis la naissance de son fils, préférant limiter au minimum les kilomètres à parcourir, quitte à sacrifier une partie de son salaire. « Avant, ça me prenait environ 45 minutes pour me rendre au travail en transport en commun, expose-t-il. Avec les arrêts matin et soir à la garderie, c’était devenu vraiment pesant. Maintenant, je travaille à distance de marche, c’est beaucoup plus simple et ça me permet, au final, de passer plus de temps avec mon garçon. »
Question de temps
Sa petite famille fait pourtant figure d’exception, la naissance des enfants sonnant souvent le glas de cette mobilité alternative. « C’est dommage, mais, que ce soit pour sa flexibilité, son côté pratico-pratique ou juste pour une question de temps, la voiture demeure l’option de prédilection des familles avec de jeunes enfants », souligne Marie-Soleil Cloutier, professeure à l’Institut national de recherche scientifique (INRS), qui travaille présentement sur un projet de recherche sur la mobilité quotidienne des familles à Montréal et à Gatineau. Personnellement, je me suis acheté une voiture après la naissance de ma seconde fille parce qu’avec la poussette, les bancs d’auto et les multiples arrêts… Je ne voyais plus le bout. Je manquais de temps ! »
Ceux qui hésitent à opter pour les modes de transports alternatifs — que ce soit l’autopartage, les transports collectifs ou les deux —, craignent, entre autres choses, d’alourdir leurs trajets quotidiens
C’est d’ailleurs bien généralement là que le bât blesse, note Elizabeth Mac Donald, finissante à la maîtrise en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui vient tout juste de terminer un stage de recherche sur les freins de l’autopartage dans les quartiers centraux montréalais. « Ce qu’on remarque c’est que, naturellement, ceux qui hésitent à opter pour les modes de transports alternatifs — que ce soit l’autopartage, les transports collectifs ou les deux —, craignent, entre autres choses, d’alourdir leurs trajets quotidiens, explique la jeune femme. Ils perçoivent cette mobilité comme étant moins spontanée, plus complexe à vivre au jour le jour. Et cette impression est exacerbée quand on ajoute le facteur « enfant ». » « La naissance d’un enfant engendre de nouvelles habitudes, renchérit Charles Beauvais, qui a travaillé à la collecte de données sur le projet sur la mobilité de l’INRS. Les lieux à visiter augmentent, les trajets sont parfois éclatés, la charge physique est plus lourde… Ça complique nécessairement l’organisation des transports. »
« Ça prend plus d’efforts, c’est certain, concède Patrick Lapierre, qui après avoir vécu longtemps sans voiture, a finalement cédé à l’appel de l’automobile peu de temps avant la naissance de son troisième enfant. On s’en sortait relativement bien quand les plus vieux étaient petits, mais la garderie, l’école, les activités parascolaires et tout le reste, ça devenait plus difficile à gérer. La voiture s’est imposée ! Comprenez-moi bien, on ne l’utilise pas tous les jours, mais c’est sécurisant de savoir qu’on y a accès quand on en a besoin. »
Angle mort
Il faut dire que les parents courent après leur temps et, que pour plusieurs, gagner ou perdre 15 minutes fait parfois toute la différence. « Des fois, c’est juste ce qu’il manque pour arriver à l’heure au travail ou éviter une énième crise du petit dernier, affirme Marie-Soleil Cloutier de l’INRS. Il faut être indulgent envers les familles parce que ce n’est pas nécessairement de la mauvaise volonté. Dans bien des cas, c’est tout simplement parce que les services disponibles ne sont pas adaptés à leur réalité quotidienne, et ceux qui y arrivent le font beaucoup par conviction. »
Une inadéquation qui, selon elle, s’explique en partie parce que les familles ne sont pas encore au coeur des priorités des opérateurs de transport, que ce soit les transports publics, comme la Société de transport de Montréal (STM), ou les services d’autopartage, comme Communauto et Car2Go. « Ce n’est pas leur public cible, rappelle Marie-Soleil Cloutier, en précisant d’ailleurs qu’il n’existe, à l’heure actuelle, que très peu de données sur la mobilité des familles. On ne sait pas vraiment comment elles se déplacent, ce dont elles ont besoin. C’est pour ça aussi qu’on les perd au profit de l’auto individuelle. »
Les services dispensés par la STM se sont néanmoins améliorés au fil du temps, le nombre d’autobus dotés de rampes ayant par exemple augmenté. Idem pour les ascenseurs qui, bien qu’encore rares dans les stations de métro, gagnent peu à peu du terrain. « Il y en a 14 [sur 68] à l’heure actuelle, mais on vise 31 d’ici 2022 », précise le porte-parole de la société de transport Philippe Déry.

Dans un même ordre d’idée, Car2Go a bonifié, au cours de la dernière année et demie, sa flotte de véhicules pour y intégrer des voitures plus grosses,afin de répondre aux besoins « familiaux » de ses usagers. Le nombre de sièges pour enfant disponibles dans les véhicules de Communauto n’a également jamais été aussi élevé, rappelle Marco Viviani, vice-président et responsable du développement stratégique pour l’entreprise. « Nous sommes conscients des limites de nos services, précise-t-il. Mais l’idée est de cerner les besoins de nos usagers actuels — et potentiels —, pour pouvoir y répondre au meilleur de nos capacités. »
« C’est primordial que les opérateurs de la mobilité partagée commencent à réfléchir sérieusement à ces questions, souligne pour sa part Tania Gonzalez, la responsable des dossiers Transport, GES et Aménagement du territoire au Conseil régional de l’environnement de Montréal. Parce que là, on arrive au moment où cette génération de jeunes urbains qui semble enfin être moins encline à posséder une voiture commence à avoir des enfants. Il faut trouver une façon de leur parler, de les retenir dans la mobilité alternative. Surtout quand on sait que la première chose que, socialement, on vérifie auprès des nouveaux parents quand ils sortent de l’hôpital, c’est si le siège auto est conforme ! »