Le mirage vert de la technologie

Alors que la voiture électrique et son pendant autonome sont souvent présentés comme des solutions pérennes aux nombreux maux des transports, l’auteur et ingénieur français Laurent Castaignède estime que, si on ne redresse pas sérieusement la barre de nos politiques de transport occidentales, aucune promesse technologique ne pourra réellement nous sauver.
Les avancées technologiques occupent une large part du débat public quand vient le temps de parler de mobilité durable. Qu’elles facilitent l’électrification, l’autonomisation ou le partage des services disponibles, elles sont en effet bien souvent perçues — et présentées — comme la solution pour réduire les émissions polluantes liées au secteur des transports. Ces prouesses tiendraient pourtant davantage du mirage que de la panacée, selon l’auteur français Laurent Castaignède.
Rencontré une première fois par Le Devoir en avril dernier, en marge de la sortie québécoise de son éclairant essai Airvore ou la face obscure des transports (Écosociété), l’ingénieur de formation posait alors un regard très dur sur la course technologique à laquelle s’adonnent bon nombre d’entreprises et d’États quand vient le temps de parler de lutte contre les changements climatiques et de limitation des impacts des transports motorisés sur nos sociétés. « On s’attend trop à ce que les technologies trouvent la solution pour nous, mais elles ne font que nous enliser davantage dans nos problèmes de pollution, et l’histoire en témoigne », déplorait-il déjà.

Un constat qui, selon lui, résonne encore plus en ce début de 2019, soit quelques mois après la publication de l’alarmant rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et trois semaines à peine après la conclusion de la plus récente conférence annuelle des Nations unies sur le climat. « Il y a une inadéquation profonde entre le foisonnement de promesses, comme le bolide électrique pour tous ou, pire, sa version autonome, et la débâcle climatique à laquelle nous sommes présentement confrontés, a-t-il souhaité souligner lors d’une seconde entrevue réalisée à quelques jours de la fin de l’année 2018. Pour moi, il y a quelque chose de presque messianique dans le fait d’attendre que la technologie nous sauve ! »
Source : Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2015 et leur évolution depuis 1990, Gouvernement du Québec, 2018
Ce ne sont pourtant pas les solutions qui manquent, avance Laurent Castaignède, en citant en exemple différentes législations mises en place dans certaines villes pour limiter l’accessibilité aux voitures dans leurs quartiers centraux. « Mais on pourrait aller encore plus loin », insiste celui qui a fait ses classes pendant près de dix ans chez le constructeur automobile français Renault.
Solutions multiples
Fort de ce bagage, et de celui qu’il a acquis au sujet des bilans carbone au cours des dernières années à titre de consultant indépendant, il en suggère lui-même un peu plus d’une dizaine dans son ouvrage. Éclatées, ces propositions, qu’il décrit dans son essai comme un « domptage des transports motorisés », visent donc autant la taille des véhicules disponibles, que le nombre grandissant de trajets en avion en raison du tourisme de masse et la répartition des nouveaux modes de propulsion (biocarburant, électricité, etc.) entre les différents moyens de transport — la priorité devant être accordée, selon lui, aux usages courants comme les trajets domicile-travail plutôt qu’aux trajets aériens par exemple qui, de toute façon, sont extrêmement gaspilleurs.

« Il y a une priorisation à faire, c’est certain, mais il ne faut pas croire qu’il n’y a qu’une solution, signale l’ingénieur. La pollution des transports est un problème auquel il faut s’attaquer sur plusieurs fronts, sans quoi il ne sera tout simplement pas possible d’y arriver. »
Parmi les idées les plus novatrices, notons, par exemple, le développement d’une filière industrielle de réhabilitation des moteurs de voitures et l’imposition de quotas au parc automobile mondial. Pensés un peu à la manière des permis de taxi qui, dans plusieurs grandes villes, régissent le nombre de véhicules en circulation, ces derniers pourraient, selon Laurent Castaignède, peut-être permettre de freiner l’expansion constante de la quantité d’automobiles en circulation. « Cette idée reprend en quelque sorte la logique foncière de l’habitat, ajoute l’auteur, avec sérieux. Les transports motorisés connaissent une croissance hégémonique qu’on se doit de réguler. Alors, pourquoi ne pas faire payer aux propriétaires leur voiture, mais aussi le droit d’avoir une voiture ? »
La pollution des transports est un problème auquel il faut s’attaquer sur plusieurs fronts, sans quoi il ne sera tout simplement pas possible d’y arriver
Mais que ce soit par l’instauration de taxes fortes sur les carburants, par l’interdiction de circuler dans des zones précises ou par la monopolisation des nouvelles technologies pour certains secteurs d’activité, aucune des solutions avancées dans Airvore ne réussira à prendre vraiment forme sans une intervention ferme des pouvoirs publics. Il s’agit d’ailleurs là de l’angle mort de l’ouvrage, reconnaît Laurent Castaignède.
« Je suis bien conscient que mes idées sont centralisatrices, concède l’essayiste en laissant entendre un léger soupir. Conscient aussi que ce genre de solutions nécessitera un travail majeur de ceux qu’on met au pouvoir. » En même temps, souligne-t-il, « il y a une réelle urgence d’agir, et notre marge de manoeuvre est de plus en plus limitée. Ça va donc prendre beaucoup de courage de la part de nos élus au cours des prochaines années. Et, vu l’état de la situation, il faudra impérativement commencer plus tôt que tard. Mais si ce n’est pas suffisant, il va falloir trouver, collectivement, un moyen de les forcer à avoir ce courage. »