Pneus hors d’usage: Recyc-Québec arrive aux limites de ses débouchés

Prise de court par la hausse marquée du nombre de pneus hors d’usage à traiter, Recyc-Québec peine aujourd’hui à répondre à la demande, comme en a d’ailleurs témoigné le plus récent rapport de la vérificatrice générale du Québec. Une situation à laquelle la société d’État entend toutefois remédier de son mieux au cours des prochaines années. Tour d’horizon axé sur les solutions.
Faute de débouchés intéressants, un nombre grandissant de pneus au Québec terminent leur vie utile dans un incinérateur industriel où, en brûlant, ils produisent de l’énergie résiduelle. De fait, alors que cette « valorisation énergétique » ne concernait que 5 % des pneus récupérés par Recyc-Québec il y a 10 ans, elle touche aujourd’hui près de 25 % de tous les pneus hors d’usage. « On a une grosse lacune de ce côté-là, au Québec, lance sans ambages Denis Rodrigue, professeur au Département de génie chimique de l’Université Laval, qui oeuvre dans le domaine depuis maintenant plus de 20 ans. Il y a un important travail de recherche et développement à faire pour donner une vraie seconde vie aux pneus usés. »
Un constat auquel est d’ailleurs arrivée elle-même Recyc-Québec, l’organisation responsable du Programme de gestion intégrée des pneus hors d’usage, et qui a été souligné à grands traits dans le dernier rapport de la vérificatrice générale du Québec (VGQ). Publié au début du mois de novembre, ce dernier déplorait, notamment, le fait que la société d’État ne « joue pas adéquatement son rôle pour soutenir l’innovation et le développement de nouveaux produits dérivés des pneus hors d’usage ».
« Nous sommes conscients que les efforts ont été limités de ce côté au cours des années passées, reconnaît la vice-présidente du secteur Performance des opérations chez Recyc-Québec, Sophie Langlois-Blouin. Nous n’avons pas été surpris des critiques émises par la VGQ et sommes déjà en train de travailler pour y répondre. »
Innover pour mieux réutiliser
À l’heure actuelle, il existe en effet très peu de débouchés pour les pneus en fin de vie au Québec. Si une infime portion est récupérée à des fins de remoulage (voir encadré), la grande majorité des pneus recyclés est plutôt transformée en poudrette. Sorte de poudre de caoutchouc compacte, celle-ci peut, par la suite, être remoulée en divers produits ou carrément intégrée à différentes structures. Ainsi transformé, le caoutchouc de nos vieux pneus a droit à une seconde vie, que ce soit sous la forme d’un dos-d’âne installé aux abords d’une école, d’une surface antidérapante pour terrains de jeu pour enfants ou d’un tapis d’étables et d’écuries. S’ils ne sont pas réduits en particules, les pneus hors d’usage peuvent aussi être coupés en morceaux et installés sur les chantiers pour tenir les cônes orange ou dans les ports pour limiter les chocs à l’entrée des navires.
Rappelons qu’on parle toutefois ici d’à peine 10 % des pneus mis au rebut, insiste Denis Rodrigue de l’Université Laval. « Et on est beaucoup dans le bas de gamme, note le chercheur. Ce sont toutes des utilisations simples, il n’y a pas vraiment eu de réflexion pour les intégrer dans des secteurs plus durables. » Ce n’est pourtant pas parce que les solutions sont inexistantes, indique-t-il. « En fait, c’est tout le contraire ! En Europe et aux États-Unis, par exemple, le caoutchouc récupéré est souvent ajouté à l’asphalte et au béton, ce qui permet d’en écouler beaucoup plus. » Un procédé similaire est également utilisé en Colombie-Britannique.
En Europe et aux États-Unis, par exemple, le caoutchouc récupéré est souvent ajouté à l’asphalte et au béton
Au Québec, ce genre de réutilisation se bute cependant au manque de recherches locales sur le sujet, à un contexte climatique spécifique à la région et à un cadre réglementaire rigide qui, combinés, limitent l’intégration de ces matériaux 2.0 sur le terrain. Pour renverser la tendance, la société d’État indique avoir toutefois déjà commencé à investir davantage pour favoriser l’innovation sur son territoire. « Nous venons tout juste de signer une entente de recherche avec l’Université Laval pour diversifier les débouchés de nos partenaires », affirme Sophie Langlois-Blouin de Recyc-Québec. « Il faudra cependant aussi faire preuve de patience, car nous sommes encore tout au début, rajoute Denis Rodrigue. J’espère qu’ils ne sont pas pressés. »
Contexte en mutation

Le Québec n’a pourtant pas toujours été à la bourre en matière de recyclage et de revalorisation des pneus hors d’usage, loin de là. Avec son Programme de gestion, la province a même été, pendant longtemps, un véritable leader au pays dans ce domaine. À un point tel où, devant une trop forte demande de la part des recycleurs et transformateurs, on était obligés d’importer de la matière première de l’Ontario et des États-Unis. « Les choses ont bien changé depuis la mise en place de la première phase du programme [en 1993], reconnaît Sophie Langlois-Blouin, de Recyc-Québec. On n’a peut-être pas été assez clairvoyants, mais il ne faut pas oublier qu’on n’a pas beaucoup de contrôle sur notre milieu. »
Et force est d’admettre qu’elle n’a pas tort. Parmi ces facteurs, notons, entre autres, l’obligation pour les automobilistes de munir leur véhicule, depuis 2008, de pneus d’hiver à date fixe. S’ajoute à cela la croissance marquée et continue du parc automobile. Celui-ci aurait, en effet, connu une augmentation de près de 35 % entre 2001 et 2016, selon les données compilées par la Société de l’assurance automobile du Québec. Couplés à la disparition de nombreux joueurs au cours de la dernière décennie, ces facteurs imposent, d’après la vice-présidente du secteur Performance des opérations, une pression indue sur l’industrie. « Ces changements font en sorte qu’on a aujourd’hui entre huit et dix millions de pneus à traiter chaque année », expose celle qui occupe son poste depuis environ huit mois. Et ça ne risque pas d’aller en diminuant, on en est bien conscients ! Si on veut vraiment être efficients, il faudra donc trouver rapidement un moyen de s’attaquer au problème à la source. »
Valoriser le remoulage
Si vous souhaitez munir votre voiture de pneus recyclés au Québec, sachez que c’est possible — même si la tâche peut parfois être ardue. « Je dirais que 99 % des Québécois ne savent pas qu’on existe », lance tout de go Jean-François Marquis, le vice-président de Techno Pneu, la seule entreprise de la province qui se spécialise dans la remise à neuf de pneus hors d’usage. Unique en son genre, l’entreprise familiale basée à Rimouski propose pourtant depuis plus de 20 ans des pneus recyclés — ou remoulés, pour parler dans le jargon de l’industrie — de plusieurs tailles, aux quatre coins du Québec. « On distribue nos produits un peu partout, mais les gens ne le savent pas, déplore-t-il. Il y a vraiment des lacunes du côté du marketing et des communications. » Pour faire simple, le remoulage consiste à prendre un pneu hors d’usage, à « râper la semelle de caoutchouc pour en récupérer la carcasse ». Une fois cette étape réalisée, le recycleur remet ensuite deux couches de caoutchouc, puis remoule le pneu à l’aide d’une presse. « C’est très technique, mais en gros, ce que ça nous permet de faire, c’est d’avoir un pneu qui est comme à l’origine. » Et vu les normes strictes établies par Transports Canada, il est à noter que ces pneus remoulés sont de qualité égale aux pneus neufs. « La seule différence, c’est que les nôtres sont moins chers ! »Une version précédente de cet article, qui indiquait que près de 85% des pneus hors d'usage récupérés sont envoyés en «valorisation énergétique» et que Recyc-Québec traite plus de deux millions de pneus par année, a été corrigée.