Doit-on limiter la publicité automobile?

Les constructeurs automobiles disposent, à titre d’industrie, d’un budget publicitaire annuel de près de 500 millions de dollars, et ce, seulement pour le Québec.
Photo: Silas Stein Agence France-Presse Les constructeurs automobiles disposent, à titre d’industrie, d’un budget publicitaire annuel de près de 500 millions de dollars, et ce, seulement pour le Québec.

Ce n’est un secret pour personne : la publicité automobile est omniprésente dans nos espaces publics et sur nos écrans. Avec ses budgets de promotion annuels de plusieurs milliards de dollars, l’industrie automobile se pose, au Québec comme ailleurs, comme l’une des plus grosses joueuses sur le marché publicitaire international, tout juste derrière le commerce de détail. Face à un tel adversaire, les acteurs de la mobilité durable peinent à faire le poids, à un point tel que certains demandent maintenant à ce que nos instances publiques interviennent pour limiter la portée de ces messages promotionnels.

« On l’a fait avec l’industrie du tabac [qui n’a plus le droit de faire la promotion de ses produits au Canada depuis trente ans], je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire avec les voitures, lance sans ambages le directeur général et cofondateur d’Équiterre, Sidney Ribaux. Les faits sont là : le secteur des transports routiers est responsable de plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre au Québec. Et on a bien essayé de militer pour l’implantation de mesures facilitant le covoiturage ou pour la création de nouvelles voies réservées, mais malgré nos efforts, le parc automobile continue d’augmenter chaque année ! Pire, ce sont aujourd’hui les véhicules utilitaires sport (VUS) qui se vendent le plus. Que voulez-vous qu’on fasse ? »

Force est d’admettre qu’il existe effectivement un important déséquilibre de moyens entre les constructeurs automobiles et les acteurs de la mobilité durable. De fait, les premiers disposent, à titre d’industrie, d’un budget publicitaire annuel de près de 500 millions de dollars seulement pour le Québec, ce qui représente près de 15 % de tous les investissements publicitaires faits dans la province. À cela s’ajoutent, depuis quelques années, les publicités présentes sur les plateformes numériques, comme les réseaux sociaux qui, contrairement à celles placardées le long des autoroutes ou diffusées à la télévision et la radio locales, ne sont pas nécessairement produites par des agences de chez nous.

34,4 %
C’est la part des émissions québécoises de gaz à effet de serre dont étaient responsables les transports routiers (motocyclette, automobile, camion léger et véhicule lourd) en 2016. Il s’agit d’une augmentation de plus de 50 % depuis 1990. Source : Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2016 et leur évolution depuis 1990, Gouvernement du Québec, 2018

À titre de comparaison, le budget publicitaire de la Société de transport de Montréal s’élevait, lui, en 2018, à 1,8 million de dollars. Selon le porte-parole de l’organisation, aucune campagne de promotion des services n’a toutefois été menée durant cette période, l’argent ayant surtout servi à « diverses campagnes de communication et de sensibilisation ». « Quand on regarde ces budgets, on ne peut pas nier l’écart qui existe entre les différents joueurs », rajoute Gino Desrosiers, le porte-parole de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), qui rappelle que la chose est tout aussi vraie quand vient le temps de parler de sécurité routière.

« Comment voulez-vous qu’on fasse le poids contre ces géants, demande pour sa part Sidney Ribaux, visiblement dépassé. Ce combat, c’est un peu comme David contre Goliath. »

Mieux contrôler

 

Pour renverser la vapeur — et « être cohérents avec nos objectifs environnementaux collectifs » —, le directeur général d’Équiterre estime que les pouvoirs publics devraient commencer à se pencher sérieusement sur la place qu’occupent ces publicités dans nos espaces collectifs et les messages qu’elles diffusent.

« Dans un monde idéal, je pense qu’il faudrait carrément les interdire, expose avec sérieux celui qui occupe son poste depuis plus de 25 ans. Parce qu’on sait pertinemment que la publicité a un impact sur les ventes… Par contre, je suis tout de même conscient qu’il faudra toujours laisser une place aux voitures électriques et que, de toute façon, on est encore loin d’un tel scénario. En règle générale, lorsqu’on s’attaque à la voiture, il y a des tenants et des aboutissants économiques qui font peur à ceux qui siègent à nos collines parlementaires. » Selon lui, en agissant directement auprès de l’industrie plutôt qu’en mettant en place des mesures pour limiter le pouvoir d’achat des consommateurs, par exemple, les élus s’éviteraient probablement les doléances de ceux qui les ont portés au pouvoir.

Faute de mieux, croit-il, les gouvernements devraient au moins mettre en place des mécanismes pour réguler les sommes qui sont investies chaque année par l’industrie dans la promotion de leurs produits. Cela pourrait, par exemple, passer par l’imposition d’un plafond d’investissement ou par l’instauration d’une nouvelle taxe. « Rien ne nous empêcherait ensuite de réinvestir ces sommes dans la promotion, ou même le développement, des modes de transport alternatif, souligne Sidney Ribaux. On rêve là, mais l’objectif c’est quand même de rééquilibrer les forces de frappe ! »

5,2 millions
C’est le nombre approximatif de véhicules pesant moins de 4500 kg (voitures de promenade et véhicules utilitaires sport) immatriculés au Québec en 2017. Source : Statistique Canada

Cela ne réglerait toutefois qu’une partie du problème, au dire de Benoit Guay, professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. « Il ne faut pas oublier que beaucoup de publicités qui sont diffusées chez nous n’ont en fait été que traduites pour notre marché, explique-t-il. Comment voulez-vous contrôler les investissements qui sont faits auprès d’agences américaines ou européennes ? »

S’inspirer de l’étranger

À l’heure actuelle, le Québec ne peut toutefois pas encore s’inspirer de modèle à l’étranger, aucun État n’interdisant encore la diffusion de publicités automobiles sur son territoire. Cela n’empêche toutefois pas le débat de faire tranquillement son chemin aux quatre coins de la planète, comme en témoigne le nombre croissant d’articles sur le sujet publiés dans les médias locaux et sur les réseaux sociaux.

Cela ne veut pas dire non plus que des normes plus contraignantes n’ont pas été mises en place ailleurs dans le monde pour mieux contrôler les messages diffusés par l’industrie automobile auprès du public. C’est le cas, par exemple, en France où, depuis 2012, les constructeurs automobiles et leurs annonceurs ne peuvent plus mettre en scène des VUS dans des décors naturels. Décrites comme trompeuses et mensongères, ces publicités, dénoncées, entre autres, par l’association France nature environnement, ont finalement dû être retirées, à la suite d’une décision de la cour.

À ce sujet, rappelons qu’au Québec, la Loi sur la protection du consommateur interdit la diffusion d’une publicité « donnant de l’information incomplète [qui] pourrait constituer une représentation fausse ou trompeuse, ou passer sous silence un fait important ». « Je ne suis pas en train de dire que l’industrie automobile nous ment avec ses publicités, lance avec un léger rire le directeur général d’Équiterre, mais avouez tout de même qu’on a rarement vu, dans la réalité, une voiture rouler à toute vitesse dans un centre-ville complètement libre d’entraves. C’est sûr qu’on nous vend un rêve… mais à quel prix ? Alors, qui sait, peut-être qu’elle est là, la solution. Peut-être que c’est par la voie des tribunaux que les choses vont finalement bouger. »

Les leçons de la sécurité routière

En 2012, la SAAQ publiait un rapport dans lequel elle soulignait la glorification de certains comportements à risque dans les publicités automobiles. À l’époque — et dans les années précédentes —, on pouvait ainsi voir à la télévision des spots publicitaires mettant en scène des dépassements dangereux ou des courses automobiles. Amorcée à la suite d’un nombre record de plaintes de la part de consommateurs inquiets, cette réflexion sur l’influence des publicités sur les comportements des automobilistes a finalement mené à une révision des lignes directrices entourant le contenu des campagnes publicitaires diffusées au Québec. « On s’est intéressés à cette question aussi parce qu’il y avait une apparence de déséquilibre entre les moyens utilisés par l’industrie pour diffuser ses messages et ceux à la disposition de la Société responsable des campagnes de préventions en sécurité routière, expose Gino Desrosiers, de la SAAQ. On ne pouvait pas leur faire compétition autrement. » « Ces changements se sont fait en collaboration avec l’industrie, rappelle cependant Danielle Lefrançois, directrice des communications des Normes canadiennes de la publicité, un organisme national d’autoréglementation de la publicité. Oui, il y a eu des changements, mais pour que ça bouge, il faut que non seulement ça dérange les consommateurs, mais aussi que l’industrie soit prête à le faire. Sans quoi, ça prend une intervention de l’État. »


 

Des versions précédentes de cet article, qui faisaient usage de chiffres erronés pour évaluer le budget publicitaire de la STM en 2018, ont été corrigées.



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