Tolérance zéro pour le cannabis au volant, faute de mieux

«La légalisation du cannabis cette semaine ne changera pratiquement rien en ce qui concerne l’application du Code de la sécurité routière au Québec», affirme André Durocher, le chef de la division des communications du Service de police de la Ville de Montréal.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «La légalisation du cannabis cette semaine ne changera pratiquement rien en ce qui concerne l’application du Code de la sécurité routière au Québec», affirme André Durocher, le chef de la division des communications du Service de police de la Ville de Montréal.

À compter du 17 octobre, les Canadiens pourront consommer en toute légalité de la marijuana à des fins récréatives. Le Canada deviendra ainsi le premier pays du G7 à autoriser la vente et la consommation du cannabis sur l’ensemble de son territoire. Mais cela ne veut pas dire qu’il sera possible d’en prendre partout, et encore moins qu’on pourra conduire après en avoir consommé.

La légalisation de la marijuana par le gouvernement fédéral cette semaine ne changera pas grand-chose sur les routes du Québec. Du moins, pas dans un premier temps. De la tolérance zéro — implicite à l’illégalité —, on passera à une tolérance zéro, mais cette fois inscrite dans le Code de la sécurité routière. « C’est, et ce sera toujours, tolérance zéro, lance sans ambages la sergente Joyce Kemp, porte-parole pour la Sûreté du Québec. Nos agents sont prêts et font déjà ce travail de détection des facultés affaiblies depuis longtemps. On va donc continuer d’intervenir de la même manière. »

De fait, en vertu de la nouvelle Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière, adoptée par le gouvernement québécois le 12 juin dernier, il sera toujours interdit de conduire avec les facultés affaiblies sur toutes les routes de la province. « Ne vous attendez pas à de grands changements sur les routes dans les prochains jours, renchérit André Durocher, le chef de la division des communications du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). La légalisation du cannabis cette semaine ne changera pratiquement rien en ce qui concerne l’application du Code de la sécurité routière (CSR) au Québec. »

Là où les choses varient, c’est du côté des sanctions que risquent les éventuels contrevenants. On parle ici de nouvelles amendes (pouvant aller de 300 $ à 3000 $ pour un récidiviste), de possibles révocations de permis de conduire et, dans certains cas, de poursuites au criminel.

Mêmes tests

 

Concrètement, les policiers pourront donc continuer d’intercepter les véhicules qu’ils soupçonnent d’être conduits par des personnes ayant les facultés affaiblies, que cela soit la résultante de l’alcool ou du cannabis. À la suite de quoi, ils pourront soumettre le conducteur à une série de tests in situ, principalement basés sur la coordination des mouvements, afin de valider ou d’infirmer leur première impression. S’il échoue, l’automobiliste en question sera ensuite conduit au poste où il devra se plier à une batterie de tests plus poussés et dont l’une des étapes comprend un échantillon corporel (salive, urine ou sang).

Ce dernier dépistage ne pourra toutefois pas être effectué en bord de route par les patrouilleurs québécois pour le moment. De fait, à la veille de la légalisation, aucun corps policier de la province n’avait encore mis la main sur une machine permettant l’analyse d’un échantillon de salive. « Le gouvernement fédéral a homologué quelques machines, mais on attend de voir si elles sont vraiment efficaces, expose la porte-parole de la SQ en précisant que c’est le ministère de la Sécurité publique qui va devoir trancher. En attendant, nos méthodes fonctionnent très bien. »

Divergences d’opinions

La tolérance zéro préconisée par le Québec ne fait toutefois pas l’unanimité et diffère de la position adoptée par le gouvernement fédéral. Ce dernier a plutôt préféré l’imposition d’un seuil maximal de 5 ng/ml, qui n’est pas sans rappeler le 0,08 (80 mg/100 ml) toléré pour l’alcool. « Le Québec a décidé d’adopter une ligne dure, mais ça risque de poser certains problèmes d’application, avance l’avocat David F. Blair, associé et responsable du groupe Transport et logistique au sein du cabinet McCarthy Tétrault. Comprenez-moi bien, tout le monde est d’accord sur le fait qu’il ne faut pas prendre le volant avec les facultés affaiblies. Par contre, ça risque d’être vraiment difficile de s’assurer qu’il n’y a jamais de cannabis dans l’organisme des conducteurs. »

14%
C’est la proportion de consommateurs de cannabis ayant un permis de conduire qui ont déclaré avoir pris le volant dans les deux heures suivant la consommation de marijuana.

Source : Enquête nationale sur le cannabis, octobre 2018

Cela s’explique dans un premier temps parce que le tétrahydrocannabinol, la molécule responsable du fameux « buzz » peut rester très longtemps dans l’organisme des consommateurs, et ce, même si les effets psychotropes ne se font plus ressentir. Et c’est encore plus vrai pour ceux qui le font sur une base régulière. Plus encore, il est particulièrement ardu à détecter et l’efficacité des machines de dépistage est contestée, soutient le juriste.

Il en est toutefois de même pour les taux jugés « acceptables », souligne le directeur de la fondation CAA-Québec, Marco Harrison. « La communauté scientifique ne s’entend pas sur la quantité de THC nécessaire pour affecter un organisme humain, affirme l’ancien policier. En plus, ça varie beaucoup d’un individu à l’autre, du contexte dans lequel la drogue est consommée, du fait de mélanger avec de l’alcool… Sans réponse claire, la tolérance zéro est quand même notre meilleure garantie pour assurer la sécurité du plus grand nombre. »

Miser sur la sensibilisation

 

Chose certaine, tant les corps policiers que la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) entendent intensifier leurs efforts de sensibilisation au cours des prochains mois. « En ce moment, notre plus grande préoccupation est que les gens oublient, parce que c’est légal le reste du temps, qu’ils n’ont pas le droit de conduire après avoir pris de la marijuana, souligne le porte-parole du SPVM André Durocher. On va donc devoir s’assurer, au quotidien, que les conducteurs sont bien conscients de cette limite. »

Photo: iStock De nouvelles amendes, allant de 300$ à 3000$, sont prévues pour les contrevenants.

Même son de cloche du côté de la SAAQ. « On va continuer à insister sur les risques liés à la conduite avec les facultés affaiblies, précise Gino Desrosiers en indiquant qu’une nouvelle campagne se mettra déjà en branle dès la mi-novembre. Notre message, c’est que la légalité ne s’applique pas partout, tout le temps. »

D’autant que, pour le moment, il est encore bien difficile de mesurer l’ampleur que le phénomène pourrait prendre. « On s’attend à ce qu’il y ait un certain engouement au début, soutient Marco Harrison de CAA-Québec. C’est ce qu’on a vu ailleurs. On pourrait donc assister à une hausse du nombre de consommateurs, mais ce ne serait sans doute pas représentatif. Il va falloir attendre quelques années avant de voir se dessiner une tendance. Mais d’ici là — et même rendus là —, on va continuer d’accompagner les gens. Après tout, ce sont des vies qui sont en jeu. »

C’est la proportion de consommateurs de cannabis ayant un permis de conduire qui ont déclaré avoir pris le volant dans les deux heures suivant la consommation de marijuana.

L'exception cycliste

À l’instar de ce qui est prévu pour l’alcool, les cyclistes pourront enfourcher leur vélo même s’ils sont sous l’effet du cannabis. Cette disposition particulière s’explique parce que, en vertu du Code de la sécurité routière, les bicyclettes ne sont pas considérées comme des véhicules routiers (fait cocasse : les fauteuils roulants électriques tombent pourtant dans cette catégorie !). Il est toutefois interdit de consommer de la marijuana pendant qu’on circule à vélo, et il en va de même pour l’alcool. À noter qu’un policier pourrait tout de même vous intercepter s’il estime que vous représentez un danger pour vous-même ou pour autrui. Il pourrait même, dans pareil cas, décider de retenir votre vélo jusqu’à ce que vous ayez dégrisé.

Les limites américaines de l’industrie du transport

Bien qu’elle n’ait pas caché, au cours des derniers mois, ses réticences vis-à-vis de la légalisation de la marijuana, l’industrie du transport de marchandises semble plutôt sereine à quelques jours de l’entrée en vigueur de la loi canadienne. « Pour nous, c’était déjà tolérance zéro et ça va le rester, indique le président de l’Association du camionnage du Québec, Marc Cadieux. La plupart de nos membres ont une politique interne qui va dans ce sens-là, donc pour le moment, il n’y pas vraiment de quoi s’inquiéter. » Selon lui, cela va de soi, notamment, en raison de la législation américaine qui est très stricte. « Les chauffeurs qu’on représente ont souvent à traverser la frontière et aux États-Unis, la loi fédérale est très claire : c’est interdit ! Les Américains exigent même que nos chauffeurs soient inscrits à un consortium de contrôle de drogue et d’alcool. C’est cela qui vient et va continuer de donner le ton à nos positions par rapport à cette nouvelle réalité. »



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