S’inspirer de l’audace de Grenoble pour nos artères commerciales

Le centre commercial de la caserne de Bonne (à droite), situé à Grenoble, est entièrement conçu dans un souci d’exemplarité sur le plan du développement durable.
Photo: Alain Fischer / Ville de Grenoble Le centre commercial de la caserne de Bonne (à droite), situé à Grenoble, est entièrement conçu dans un souci d’exemplarité sur le plan du développement durable.

En misant sur la piétonnisation d’une bonne partie de son centre-ville, la Ville de Grenoble espère donner un second souffle à ses artères commerciales en mal d’amour. Un an plus tard, l’heure est au bilan pour Éric Piolle, le maire de cette métropole située dans le sud-est de la France. Entrevue.

Les dernières décennies n’ont pas été de tout repos pour les commerçants grenoblois. À l’image des artisans du commerce de détail du reste de la France, ceux-ci subissent depuis des années les durs contrecoups liés aux transformations des habitudes de consommation. À un point tel que le visage même du centre-ville de cette métropole française a changé.

De fait, en près de 50 ans, de nombreux établissements situés au coeur de la ville ont été obligés de fermer boutique. Cinq épiceries sur six ont mis fin à leurs activités, deux bouchers sur trois ont mis la clé sous la porte, et la moitié des boulangeries et des magasins de vêtements ont disparu… Un lent déclin qui s’explique, en partie, par la construction de centres commerciaux en périphérie et par la montée en popularité des ventes en ligne.

Cette situation n’est pas sans rappeler ce qu’on observe dans certaines artères commerciales montréalaises, comme la rue Sainte-Catherine, où plus d’une cinquantaine d’espaces commerciaux étaient à louer en début d’année. Un peu comme ses cousines grenobloises, cette dernière fait toutefois l’objet d’une cure de rajeunissement qui pourrait, on ose l’espérer, donner un coup de pouce à ses commerçants.

Photo: Jean-Pierre Clatot Agence France-Presse Éric Piolle, maire de Grenoble

« Chez nous, la situation était catastrophique, reconnaît Éric Piolle, le maire écologiste de Grenoble, en entrevue avec Le Devoir. Le statu quo n’était plus possible. » L’homme politique, qui était de passage à Montréal en mai dernier à l’invitation de l’organisation Vivre en ville, fait toutefois beaucoup d’efforts, depuis son élection en 2014, pour renverser la vapeur. « Il fallait intervenir d’une manière ou d’une autre, soutient l’ingénieur de formation. Et dans de tels cas, deux choix s’offrent à nous : la logique du petit pas ou la rupture. On a décidé d’opter pour la seconde. »

160 000
C'est le nombre de personnes qui résident dans le centre-ville de Grenoble. 

Source : Institut national de la statistique et des études économiques

Changement de paradigme

 

Concrètement, le maire et son équipe ont donc décidé, pour y arriver, de miser sur les usagers des « mobilités douces » que sont les piétons et les cyclistes. D’abord en limitant la vitesse à 30 kilomètres-heure sur l’ensemble de son réseau routier, à quelques exceptions près, puis en mettant graduellement sur pied un vaste réseau cyclable express. Toujours en construction, ce dernier devrait, à terme, comprendre quatre axes rapides qui s’étendront au total sur une quarantaine de kilomètres. L’objectif ? Relier, du moins en partie, la périphérie au coeur de la métropole.

Dans cette même optique, la mairie a aussi pris la décision, en mai 2017, de fermer complètement à la circulation automobile certains secteurs du centre-ville — dont la place Grenette, située dans le centre historique de Grenoble. « Pendant des années, nos villes ont été construites pour les voitures, pour leur assurer un vaste espace de circulation, déplore Éric Piolle. Avec notre plan “Coeurs de ville — coeurs de métropole”, — [qui vise autant le centre de Grenoble que l’ensemble des 49 communes de l’agglomération] —, nous cherchons aujourd’hui à renverser ce paradigme en pensant nos milieux comme un lieu de rencontre, d’abord et avant tout, l’idée étant de redonner à ces usagers qu’on avait écarté de l’espace public la place qui leur revient. »

Photo: Sylvain Frappat / Ville de Grenoble Un prototype de banc sous un arbre, imaginé par des étudiants en architecture avec la collaboration de la Ville. Ici, rue Barvane, en plein coeur du quartier historique.

« C’est une question d’expérience, renchérit avec conviction l’homme politique. En limitant le passage des voitures dans ces portions de la ville, on essaie d’améliorer la qualité de vie des autres usagers, en augmentant, par exemple, leur sentiment de sécurité. Surtout, ça nous permet d’explorer les différents usages possibles de ces espaces et de rendre leur fréquentation plus agréable sur une base quotidienne. »

Premiers résultats

 

Et ultimement, ce genre de mesures paient, assure celui qui vit à Grenoble depuis maintenant un quart de siècle. « Les résultats ne sont pas tous encore tangibles, mais on observe tout de même déjà un transfert modal intéressant », soutient-il. Ainsi, au cours de l’année qui vient de s’écouler, les services de transport collectif ont en effet connu une hausse d’achalandage de 7 %, alors que les déplacements effectués au centre-ville à pied ont, durant la même période, augmenté de 3 %. Le nombre de cyclistes a, pour sa part, pratiquement doublé.

À l’inverse, les entrées en voiture dans le centre de la métropole ont diminué de 4 %. Idem pour les sorties en automobile enregistrées dans les mêmes secteurs qui, pour leur part, ont glissé de 3 % durant les derniers mois. « Avec cette réduction du trafic routier, nous espérons influer sur la qualité de l’air, le bruit, la sécurité routière… L’objectif est d’avoir un impact global qui dépasse largement la simple utilisation de l’espace », explique Éric Piolle.

D’un point de vue strictement commercial, ces transformations urbaines commencent également à porter leurs fruits. De fait, le taux d’inoccupation des locaux commerciaux a légèrement reculé au cours des douze derniers mois, passant de 8,8 % à 8,3 %, selon les données recueillies par l’observatoire du projet Coeurs de ville. Bien que marginale, cette évolution a permis à Grenoble de grimper de quelques places — de la sixième à la quatrième en un an — dans le palmarès des centres-villes les plus dynamiques en France.

8,3%
C'est la proportion de locaux commerciaux vacants au centre-ville de Grenoble. 

Source: Coeurs de ville - coeurs de métropole Grenoble, avril 2018

Résistance naturelle

 

De tels changements ne se font toutefois pas sans heurts, admet le maire grenoblois, bien au contraire. Ainsi, depuis l’introduction des mesures de piétonnisation, la mairie rencontre moult résistances, tant de la part d’automobilistes mécontents que de certains commerçants qui peinent encore, un an plus tard, à bien comprendre la démarche de l’administration municipale. En ce sens, certains opposants se sont d’ailleurs regroupés sous la bannière du collectif « Grenoble à coeur », qui souhaite que la mairie revienne sur ses décisions des derniers mois et mette fin au projet de piétonnisation.

« Ce sont des transformations qui demandent un temps d’adaptation, et tous les résultats ne sont pas visibles instantanément, reconnaît le maire écologiste. C’est normal que les commerçants soient craintifs, puisqu’il s’agit de changements importants, mais à terme, tous — même ceux qui ne voient pas encore le côté positif de ces transformations — en ressortiront gagnants. »
 

À voir en vidéo