Des rues où chaque usager trouve sa place

Chaque année, des dizaines de piétons et de cyclistes perdent la vie sur les routes du Québec après avoir été percutés par un véhicule motorisé. Ici et ailleurs, il existe pourtant des méthodes éprouvées pour limiter ces heurts. Parmi celles-ci, les « rues conviviales » tentent de redonner à l’ensemble des usagers la place qui leur revient.
« Les plus vulnérables devraient toujours être à la base de nos réflexions en matière d’aménagement, lance d’emblée la directrice du Toronto Center for Active Transportation (TCAT), Nancy Smith Lea. Il en va de leur sécurité, certes, mais aussi de leur rapport à la rue, de leur rapport à la ville. » Pour y arriver, elle et son équipe misent sur les complete streets — ou « rues conviviales » en français —, une approche urbanistique intégrée où chaque usager, peu importe son mode de déplacement, trouve sa place.
« Dans les faits, le concept est assez simple, précise la sociologue de formation, de passage cette semaine dans la métropole québécoise pour présenter une conférence sur le sujet. Il s’agit de penser la rue pour qu’elle soit faite pour tout le monde, en tenant compte des vulnérabilités et des limites de chacun. C’est penser aux enfants, aux aînés et aux personnes à mobilité réduite… » Concrètement, cela veut dire faire physiquement plus d’espace aux piétons, aux cyclistes et aux transports collectifs, sans pour autant léser les utilisateurs de la voiture — ou à peine.
Rien de bien compliqué, admet en riant Nancy Smith Lea. « Ça demande des compromis, c’est certain, concède celle qui occupe son poste depuis 2008. Surtout que ça va quand même à l’opposé de ce qu’on fait depuis plus de 50 ans en matière d’aménagement. Ça fait tellement longtemps que l’automobile prend toute la place… Cette approche nécessite donc de revoir nos outils d’intervention, mais implique aussi un réel virage dans notre façon de cibler les projets et d’agir sur le terrain. »
Mouvement en marche
Dans le reste du Canada, le principe roule tout de même sa bosse depuis un bon moment. Ainsi, de Calgary à Ottawa, en passant par Edmonton et Toronto, le nombre de villes canadiennes ayant adopté des politiques publiques intégrant officiellement le concept de « rues conviviales » ne fait qu’augmenter depuis une dizaine d’années. Idem aux États-Unis où plusieurs centaines de localités se sont dotées de plans d’aménagement similaires.
Sur le terrain, ces politiques ont donné naissance à des reconfigurations urbaines innovantes, décrit Nancy Smith Lea, du TCAT. Parmi celles-ci, notons entre autres la revitalisation de la rue Queens Quay, le long du front de mer torontois, ou encore le réaménagement de Yonge Street, en plein coeur de la Ville Reine. « Dans les deux cas, les travaux ont notamment permis d’accroître la présence des piétons et des cyclistes dans des secteurs où ils n’avaient, jusque-là, pas vraiment leur place, explique-t-elle. Ces rues sont maintenant plus sécuritaires et plus attrayantes. Au final, tout le monde y gagne ! »
« À terme, ces transformations auront des impacts qui vont bien au-delà de l’utilisation quotidienne de ces rues, rajoute la directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal, Véronique Fournier. Elles agissent aussi sur la qualité de l’air en ville et sur la pollution sonore. Elles ont un impact sur des questions de santé publique. »
Source : Société de l’assurance automobile du Québec
Cas québécois ?
Malgré sa popularité grandissante, le concept demeure pour le moment peu présent au Québec. Pour l’heure, seule l’administration municipale de Québec s’est dotée d’une politique officielle allant en ce sens (voir l'encadré). Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’y a pas de bons aménagements qui sont réalisés chez nous, nuance la directrice du Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM), Véronique Fournier. « La terminologie n’est peut-être pas utilisée, mais il y a des projets un peu partout au Québec qui intègrent déjà ces principes de partage et d’intégration de tous les usagers », précise-t-elle.
On peut ainsi penser à Laval, qui vient tout juste de revoir complètement la configuration du boulevard Le Corbusier, l’une de ses plus importantes voies de transit. Le large boulevard comprend aujourd’hui des corridors réservés aux autobus, en plus d’avoir des trottoirs élargis et des voies cyclables. « Il y a eu un réel effort pour inclure les autres modes de transport », souligne celle qui détient une maîtrise en travail social. La Ville de Montréal n’est pas non plus en reste,
« Plusieurs rues québécoises ressemblent à nos complete streets sans qu’elles soient nommées ainsi, indique Nancy Smith Lea, du TCAT. L’avantage de mettre des mots sur ce qu’on fait, précise-t-elle toutefois, c’est que ça les rend plus systématiques. » « Les villes qui se sont dotées de politiques claires ont moins tendance à refaire des rues à l’identique », admet la directrice générale du CEUM. Afin d’avoir une meilleure idée de ce qui se fait déjà aux quatre coins de la province, l’organisme travaille d’ailleurs en ce moment à répertorier les réaménagements qui s’inscrivent dans cette tendance.
Sortir des quartiers
À l’échelle des quartiers, le partage de la chaussée a été considérablement amélioré au cours des dernières années, tant à Montréal que dans de plus petites municipalités québécoises, affirme Véronique Fournier. Parmi les bons coups, note-t-elle, on peut ainsi penser à la mise en place de mesures d’apaisement de la circulation, comme l’élargissement des trottoirs ou à la réduction de la vitesse à 30 km/h.
« Il faut maintenant sortir ces bonnes pratiques des secteurs résidentiels », insiste celle qui occupe son poste depuis 2014. À ce titre, les villes du Québec gagneraient, selon elle, à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs au Canada. « Les collisions impliquant des piétons et des cyclistes ont pratiquement toujours lieu sur des artères, à des intersections fortement achalandées. Si on veut réellement s’attaquer à ce problème, il va falloir intervenir à la source. »
Québec, chef de file

