Aucune mesure prévue pour freiner l’auto solo

D’ici 2030, le Québec souhaite devenir un chef de file nord-américain en matière de transports. Mais l’ambitieuse Politique de mobilité durable dévoilée à la mi-avril par le gouvernement Couillard est-elle réaliste et réalisable ? Le Devoir poursuit aujourd’hui sa série d’articles pour le découvrir.
Alors que les ventes automobiles battent, année après année, de nouveaux records, des experts interrogés par Le Devoir déplorent l’absence de mesures coercitives dans la nouvelle Politique de mobilité durable (PMD) pour limiter la place de l’auto solo. Sans ces dernières, ils estiment que Québec aura beaucoup de mal à atteindre ses ambitieuses cibles de réduction de consommation de pétrole et d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
« Personne n’est contre la vertu, affirme avec aplomb le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. Mais, si on ne lui adjoint pas certaines contraintes, cette Politique n’est qu’une liste de voeux pieux. » Selon lui, si le gouvernement est sérieux, il devrait au moins mettre en place des mesures pour freiner les ventes de camions légers neufs, qui sont de plus en plus présents sur nos routes. « Ce serait un premier geste concret qui, ultimement, ne limiterait pas vraiment l’usage de l’automobile », soutient-il.
Un avis que partage le président de la Commission de l’écofiscalité du Canada (CEC), Dale Beugin. « C’est très difficile d’avoir une vraie influence sur les comportements des gens, avance ce dernier. Ça l’est encore plus quand on parle de la voiture parce qu’on peine souvent à saisir les coûts réels qui y sont associés. » Cela s’explique, notamment, parce que, contrairement au transport collectif que l’on paie à l’usage, l’utilisation des infrastructures routières, elle, est gratuite.
D’où l’intérêt, à son sens, d’ajouter des péages dans les régions métropolitaines. « Vu le contexte environnemental et les objectifs actuels du Québec, la tarification me semble être un incontournable, souligne l’économiste. Et c’est encore mieux si elle est modulée au rythme de la congestion. C’est mathématique : accolez un prix sur une route et moins de gens la prendront ! »
Source : Politique de mobilité durable 2030
L’importance de l’offre
Mais encore faut-il que des solutions de rechange existent, insiste Florence Junca-Adenot, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Il faut d’abord bonifier le cocktail transport, soutient celle qui a activement participé à l’élaboration de la PMD. Ce ne serait pas logique d’imposer des mesures contraignantes avant d’offrir des services performants, ça reviendrait à piéger les gens. »
« Il faut faire attention quand on parle d’écofiscalité, avance prudemment Bernard Sinclair-Desgagné, titulaire de la Chaire d’économie de l’environnement et de gouvernance mondiale de HEC Montréal. Il faut que ce soit fait intelligemment, parce que ces mesures peuvent avoir un caractère agressif pour les ménages à faible revenu. Il faut donc s’assurer que d’autres options existent pour répondre efficacement à leurs besoins en matière de mobilité. »
« Le mieux est encore de faire les deux en même temps, soutient Florence Paulhiac Scherrer, de la Chaire In.Situ à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Parce que, malheureusement, ce qu’on remarque sur le terrain c’est que le simple fait d’améliorer l’offre de transport en commun ne permet pas vraiment de réduire l’utilisation de la voiture. C’est un peu comme construire de nouvelles routes en se disant que ça va éliminer la congestion. Ça fonctionne pendant un temps, mais à long terme, on ne fait que repousser le problème. »
Source : AutoMédia, statistiques 2017
Courage politique
À l’heure actuelle, ni la PMD ni le Plan d’action prévu pour les cinq prochaines années n’incluent de mesures pour limiter l’usage de la voiture, le gouvernement ayant plutôt décidé de miser sur une bonification continue de l’offre de transport collectif dans toute la province. Interrogé sur la question au moment du dévoilement de la Politique, le premier ministre Philippe Couillard avait d’ailleurs souligné qu’à son avis, « plus les mesures sont contraignantes, moins elles rallient la population ».
« Il n’a pas tort, concède le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard, qui a lui aussi participé à la création du document ministériel. Tout le monde comprend pourquoi l’écofiscalité n’a pas réussi à se tailler une place dans la PMD. Ce n’est jamais populaire, et ce l’est encore moins dans un contexte préélectoral. Ça prend un courage politique immense parce qu’il y a quand même un risque de s’aliéner certains électeurs. »
« C’est dommage parce qu’on arrive tranquillement aux limites de la démocratie, renchérit Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal. On est à un point où il faut que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités parce que la planète, elle, se fiche bien qu’on soit convaincu ou non. »
Les limites du mode de financement
En s’attaquant à la place de la voiture et à l’utilisation du pétrole dans le domaine des transports, le gouvernement s’en prend également aux sources de financement actuelles du transport en commun. De fait, une bonne partie de l’enveloppe budgétaire destinée au développement de ces infrastructures provient présentement des droits d’immatriculation et de la taxe sur les carburants. « Si Québec veut être cohérent et continuer à avoir suffisamment d’argent pour améliorer l’offre de service en transport collectif, tout en tendant vers les cibles de la PMD, il va falloir trouver de nouvelles sources de financement rapidement », souligne Pierre-Olivier Pineau de HEC Montréal. À ce sujet, le ministère des Transports assure qu’un chantier sur la question sera mis en branle dans un avenir rapproché.