Retour sur les débuts du vélo à Montréal

Avec ses rues à pic et ses hivers enneigés, Montréal ne semblait pas destinée à devenir une des meilleures villes cyclables au monde. Et pourtant. Avant même l’arrivée de la voiture, les Montréalais grimpaient sans peine sur leur selle pour effectuer leurs trajets quotidiens. Retour sur la pratique du vélo au début du XXe siècle, avant que l’automobile ne transforme nos modes de vie urbains.
Difficile partage de la route, codes de conduite à respecter, vols de matériel, accidents parfois mortels : déjà au début du XXe siècle, les cyclistes montréalais étaient confrontés à des enjeux encore bien d’actualité de nos jours.
N’ayant pas encore de voies réservées, les vélos sont arrivés sur les routes de la métropole à la fin du XIXe siècle non sans s’attirer l’hostilité des autres usagers. « Quand le vélo arrive, ça choque les piétons, les conducteurs des hippomobiles avec chevaux, on les voit comme des intrus plus rapides et donc dangereux », explique Marion Beaulieu qui s’est plongée dans les archives de la ville afin de rédiger son mémoire sur le sujet dans le cadre de sa maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal.
À l’époque, peu de règles encadrent la circulation, qui se complique pourtant au cours de la première moitié du XXe siècle. Les vélos doivent se frayer un chemin parmi les piétons, les charrettes, les voitures hippomobiles, les chevaux, les tramways, mais aussi les premières voitures qui prennent de la place sur la voie.
Les cyclistes doivent toutefois se plier à certaines exigences. Dès 1898, les bicyclettes doivent être munies d’une plaque d’immatriculation. « C’est un moyen facile de renflouer les coffres de la Ville, car on réalisait qu’il y avait de plus en plus de cyclistes dans les rues », précise Marion Beaulieu en entrevue avec Le Devoir.
Dès 1930, ces licences seront toutefois abandonnées. « C’était voué à l’échec. C’était coûteux, il était difficile de faire un suivi et ça ne servait pas à grand-chose. Il n’y a pas un seul pays à l’heure actuelle où un tel système est encore en place », renchérit de son côté la présidente de Vélo Québec, Suzanne Lareau.
Source : État des lieux du vélo à Montréal de 2015
En plus d’une plaque, les vélos devaient être équipés d’« une cloche d’alarme » et d’une lampe. La conduite devait quant à elle s’effectuer du côté droit de la chaussée et les cyclistes devaient ralentir à chaque intersection, limités à une vitesse de 13 kilomètres à l’heure, pour « ne pas aller plus vite qu’un cheval au pas ».
Des règles contestées par les premiers clubs cyclistes, dont le Montreal Bicycle Club, qui militaient déjà activement pour « la reconnaissance et l’encadrement sécuritaire de la bicyclette dans les rues et les parcs ». Ils critiquaient également le manque de considération de ce moyen de transport dans la mise en place de services publics et le développement du réseau de tramway, qui les mettaient en danger.
Les revendications en matière de sécurité et de respect de la pratique du vélo en ville ne sont donc pas propres à notre époque. Quant aux négociations et aux tensions en matière de partage de la route, elles ont toujours existé.
« C’est frappant de voir à quel point il y a des ressemblances avec les règles et les problématiques d’aujourd’hui, mais un siècle plus tôt », s’étonne Marion Beaulieu.
« Prenez aussi les cadenas, donne-t-elle pour exemple. Il y en avait en forme de U, comme ceux qu’on a aujourd’hui, dans un catalogue des années 1900. » Il faut dire que le problème de vol de vélo était déjà à l’époque un fléau, rappelle la chercheuse. Bien que succinctes, les données qu’elle a pu récupérer montrent par exemple que, rien que pour l’année 1936, 2000 vélos ont été déclarés volés dans la métropole.
Regain d’intérêt
Si l’arrivée de la voiture en a fait sourciller plus d’un, elle n’a pas perdu de temps pour se faire finalement accepter dans les sociétés occidentales. La généralisation de l’automobile a ainsi changé la dynamique dans les rues de Montréal, qui ne sont dès lors plus considérées comme un « lieu de sociabilité, et les individus y perdent leur liberté de flânage ».
Peu à peu les Montréalais délaissent le vélo pour se tourner vers ce nouveau symbole de progrès et de modernité. « Au seuil de la décennie 1930, l’automobile occupe désormais une place de choix dans l’espace urbain. Auparavant perçues comme des éléments perturbateurs et dangereux au sein des rues de la ville, les voitures dominent dès lors la voie publique, et en sont considérées comme les usagers les plus importants, voire les plus légitimes », écrit Marion Beaulieu.
Le vélo passe à la trappe, utilisé par une faible portion des citadins. Il faut attendre la décennie 1970 pour voir renaître un certain intérêt pour ce moyen de transport à Montréal.
Source : Ville de Montréal
C’est l’époque à laquelle le réseau de piste cyclable « moderne » commence à se développer dans la métropole, rappelle Suzanne Lareau. « C’était aussi la crise du pétrole, se souvient-elle. Certains ont préféré refaire du vélo plutôt que se ruiner en essence pour pouvoir prendre leur voiture. »
Un outil de travail
Pour de nombreux commerces de détail — pharmacie, épiceries, quincaillerie —, le vélo était perçu comme un outil de travail dans les années 1930. Il permettait la livraison rapide des marchandises. L’arrivée des véhicules motorisés a changé cette façon de faire, permettant de transporter des quantités plus grandes et de les livrer plus rapidement.Mais la pratique revient tranquillement à la mode, notamment dans le milieu de la livraison ces dernières années, estime Suzanne Lareau. « Les déplacements en auto sont devenus tellement inefficaces avec la congestion routière que prendre un vélo, c’est plus rapide pour les courtes distances, souligne-t-elle. Il faut aussi dire que de plus en plus de gens ont une conscience environnementale et ont à coeur de réduire les GES. »
Émancipation des femmes

Entre les lignes, les hommes s’inquiètent surtout de l’autonomie qu’elles pourraient acquérir et de leur éloignement de la sphère domestique.
À travers ses recherches, Marion Beaulieu a constaté que « les attitudes envers le cyclisme féminin ne cessent d’évoluer au cours des décennies 1920 et 1930 jusqu’à témoigner d’une certaine banalisation de l’usage du vélo par des femmes au début de la décennie 1940 ». Elles restent toutefois considérablement moins nombreuses que les hommes à se mettre en selle.
Une tendance qui a grandement changé depuis. Le vélo est désormais pratiqué de façon quasi égalitaire par les hommes et les femmes, précise Suzanne Lareau de Vélo-Québec. Le dernier État des lieux du vélo à Montréal estimait que 46 % des cyclistes sont des femmes, contre 54 % d’hommes. « C’est rassurant. S’il y a plus de femmes, c’est un signe que c’est convivial et sécuritaire d’en faire à travers la ville », indique Mme Lareau.
