Appel à un urbanisme mieux adapté aux aînés

La capacité des personnes âgées à se déplacer seules en marchant est compromise par l’aménagement actuel des villes.
Photo: Jeff Pachoud Agence France-Presse La capacité des personnes âgées à se déplacer seules en marchant est compromise par l’aménagement actuel des villes.

Aller chez le médecin, rencontrer des amis ou se rendre à l’épicerie peut devenir un parcours à obstacles pour les aînés. Que ce soit au centre-ville, en banlieue ou en région, les Québécois avançant en âge peinent à se déplacer de façon sécuritaire dans des milieux conçus surtout pour l’automobile.

Face au vieillissement de la population, les baby-boomers approchant l’âge de la retraite, des experts en aménagement et en urbanisme sonnent l’alarme quant à l’importance de considérer les besoins des aînés dans les pratiques du métier et de revoir la manière de penser nos villes.


Dans le livre Vieillissement et aménagement, publié début janvier, ils sont une trentaine à dresser un portrait de la situation au Québec, soulignant les problèmes que rencontrent à l’heure actuelle les personnes âgées pour se déplacer au quotidien et proposant leurs solutions.

Selon les prévisions de l’Institut de la statistique du Québec, les plus de 65 ans représenteront près de 26 % de la population en 2036, alors qu’ils n’étaient que 16 % en 2011. Il apparaît ainsi essentiel aux auteurs d’aménager différemment l’espace urbain pour permettre aux Québécois de profiter le plus longtemps possible de leur autonomie et de leur indépendance.

26 %
Ce sera la part de la population âgée de plus de 65 ans en 2036 au Québec.

Source : Institut de la statistique du Québec

Arrivés au troisième âge, profitant de leur retraite bien méritée, les Québécois aspirent désormais à vieillir chez eux et souhaitent reculer le moment où il leur sera nécessaire d’emménager dans une résidence pour personnes âgées.

« C’est rentré dans la pratique, les gens vivent plus longtemps et adaptent leur mobilité à leur lieu de vie. Ils sont attachés à leur maison, c’est là où sont leurs repères », note le professeur en aménagement à l’Université de Montréal Sébastien Lord, qui codirige la publication.

Mais affaiblie par l’âge, qui les rend plus fatigués et plus lents, leur capacité à se rendre seuls en marchant dans des services de proximité est compromise par l’aménagement de leur environnement extérieur. Notamment dans les banlieues pensées sous le modèle du « tout à l’auto » et « où les activités commerciales susceptibles d’attirer les personnes âgées sont implantées le long des axes du réseau artériel », peut-on lire dans le livre.

Des problèmes à la pelle

Entre les trottoirs inégaux — voire parfois inexistants —, les feux de circulation trop rapides, les multiples sorties de stationnement, la circulation importante et rapide, ainsi que l’absence d’éclairage dans certaines rues, il est difficile pour cette catégorie de personnes vulnérables de se rendre aisément d’un point A à un point B sans que le stress ne les gagne.

Beaucoup vont jusqu’à changer leurs trajets pour retrouver un sentiment de sécurité, quitte à allonger considérablement leur temps de marche ou à prendre plusieurs autobus, indique M. Lord.

« La peur d’être heurté par une voiture ou de chuter sur une chaussée mal entretenue, la crainte de manquer d’énergie pour se rendre au bout de son parcours, la confusion face à la circulation dans les espaces intérieurs sont autant d’inconvénients qui limitent la mobilité des personnes âgées », renchérit dans un chapitre du livre Daniel Gill, professeur retraité de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’UdeM.

10 %
C’est l’augmentation du nombre de chutes avec blessures causées par les conditions climatiques hivernales entre 2006 et 2011 au Canada.

Source : « Vieillissement et aménagement. Perspectives plurielles »

Il suffirait pourtant de petits changements : des feux de signalisation plus longs aux intersections, des bancs dans la rue pour permettre un temps de repos, un marquage clair au sol, un éclairage adéquat, des mesures d’apaisement de la circulation. Des idées avancées par plusieurs organismes défendant les besoins des aînés et qui font l’objet de bien des discussions à travers les conseils municipaux de la province.

Une situation récente

 

« Le vieillissement est une nouvelle problématique en aménagement, note M. Lord. La première prise de conscience pour les urbanistes et aménagistes à l’échelle des villes, c’était au tournant des années 2000, quand on a vu que la première génération qui habitait la banlieue vieillissait et quittait les lieux. »

Construites lors du boom d’après-guerre, en plein élan moderniste de la Révolution tranquille, ces banlieues pavillonnaires correspondaient à un idéal pour les jeunes familles souhaitant avoir accès à la ville sans pour autant y résider. Mais arrivé au troisième âge, y vivre sans voiture est loin d’être évident.

Le problème des quartiers vieillissants n’est toutefois pas seulement associé aux banlieues, dit le professeur. On retrouve des incohérences d’aménagement autant dans les villages de campagne que dans les centres-villes. « Ça montre qu’il faut aborder ces problèmes urbains en tenant compte de chaque contexte. Les problèmes de mobilité ne seront pas les mêmes que vous viviez en banlieue ou en ville, ça va nécessiter des solutions différentes. »

En banlieue, la priorité serait, selon lui, de créer des lieux d’intérêts (épicerie, café, bibliothèque, etc.) plus proches des habitations pour limiter les distances de marche.

En ville, où les services de proximité sont déjà au coin de la rue, l’enjeu sera davantage de créer un meilleur partage de la route avec les autres usagers, aux intersections entre autres.

Changements à venir

Si le milieu de la santé et le marché de l’emploi se préparent déjà depuis plusieurs années à l’impact financier du vieillissement de la population — davantage de frais de santé, de revenus de retraites et un manque de main-d’oeuvre —, les villes tardent à agir pour faciliter l’accessibilité des aînés aux services de proximité.

« [On a des] connaissances limitées en ce qui concerne à la fois la diversité des incidences du vieillissement sur la dynamique des milieux de vie et la contribution potentielle du milieu bâti et des services urbains au vieillissement en santé », rappelle M. Lord.

Les secteurs de la santé et du travail ont été les deux principales préoccupations prises en compte dans la première politique québécoise sur le vieillissement datant de 2012. Une politique qui ne va pas assez loin, de l’avis de M. Lord. « La révision de la politique québécoise sur le vieillissement après cinq ans de mise en oeuvre offre une belle occasion de lancer un chantier sur le rapport entre vieillissement, aménagement et mobilité », écrit-il dans l’ouvrage.

Après une période de consultation qui s’est déroulée l’automne dernier, un plan d’action pour 2018-2023 devrait voir le jour prochainement.

« Le vieillissement de la population est l’un des principaux enjeux auxquels le Québec devra faire face au cours des 30 prochaines années. Après le développement économique et l’environnement, c’est maintenant au tour de la démographie d’être au coeur de nos préoccupations aménagistes », conclut de son côté Daniel Gill.

L’hiver, cet ennemi public

« L’hiver est l’ennemi numéro un des personnes âgées ; non pas en raison du froid, mais parce qu’il augmente le risque d’une chute qui souvent peut compromettre leur autonomie », écrit Paula Negron-Poblete, professeure à la faculté d’aménagement de l’UdeM.

La saison hivernale ajoute en effet un défi supplémentaire aux personnes âgées qui doivent composer pendant ces quelques mois de l’année avec des trottoirs mal déneigés ou très glissants. « Pour une personne âgée, une chute, ça peut entraîner plusieurs mois, même un an de convalescence », renchérit Sébastien Lord.

Les chiffres en témoignent. Au Canada, le nombre de chutes avec blessures engendrées par les conditions hivernales a augmenté de 10 % entre 2006 et 2011.

Parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir, certaines personnes évitent alors de sortir de chez elles, de peur de tomber et de se faire mal, fait remarquer M. Lord. « Ça peut vite devenir un facteur d’isolement et affecter leur qualité de vie. »

Il suffirait pourtant de modifier certaines pratiques de déneigement, d’aménager par exemple des trottoirs chauffants ou même de recouvrir des passages piétons très achalandés, avancent certains coauteurs du livre.


Vieillissement et aménagement. Perspectives plurielles

Collectif, sous la direction de Sébastien Lord et Denise Piché, Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2018, 300 pages



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