Le pari trop audacieux d’un monorail entre Montréal et Québec?

Le monorail connaît un regain de popularité dans les grandes villes à travers le monde, qui y voient un moyen de transport urbain efficace. Au Québec, un projet pourrait bien voir le jour pour relier la capitale nationale et Montréal.
Présenté comme un moyen de transport rapide, durable et rentable, le monorail a déjà été adopté par plusieurs villes du monde. Le concept proposé pour relier Québec et Montréal, bien plus rapide et parcourant une plus longue distance que les monorails qui ont déjà vu le jour sur la planète, divise toutefois les experts consultés par Le Devoir.
L’idée de construire un monorail pour faire Montréal-Québec est revenue sur le devant de la scène en novembre dernier. Lors du congrès du Parti libéral, le premier ministre, Philippe Couillard, a lancé l’idée d’aménager « une liaison moderne, durable, futuriste » entre les deux plus grandes villes de la province, ouvrant ainsi la porte au monorail.
Les deux promoteurs québécois TrensQuébec et Coop MGV, qui travaillent sur cette technologie depuis une dizaine d’années déjà, ont sauté sur l’occasion pour reparler de leur projet de monorail suspendu à moteurs-roues.
Tous deux ont imaginé une liaison par des navettes (de taille comparable à celle d’autobus) suspendues à un rail à 13 mètres de hauteur. Le moteur-roue fonctionnant à l’électricité, inventé par l’ingénieur Pierre Couture dans les années 1990, pourrait atteindre jusqu’à 250 km/h sans émettre de gaz à effet de serre. Il faudrait ainsi 1 h 15 pour parcourir la distance Montréal-Québec, plutôt qu’environ 2 h 30 en voiture.
Là on parle de vitesses d’accélération qui ressemblent aux manèges de La Ronde, c’est inacceptable de faire subir ça aux passagers.
Le concept général n’a rien de nouveau. Le premier monorail suspendu a vu le jour en 1901 en Allemagne, dans la ville de Wuppertal. Il s’étale par contre sur 13,3 km et file à une vitesse de 60 km/h. Depuis, seuls quelques projets similaires utilisés comme transport urbain au quotidien ont germé, notamment au Japon, le monorail étant surtout installé sur de courtes distances dans des lieux touristiques, roulant sur un rail au sol.
Un concept à travailler ?
Le fait que le concept québécois prévoie d’aller quatre fois plus vite que les navettes déjà sur les rails, et sur une distance presque 16 fois plus grande fait sourciller certains experts.
Pour Pierre-Léo Bourbonnais, chercheur associé à la chaire Mobilité de Polytechnique Montréal, le monorail qui filerait à une vitesse de 250 km/h ne pourrait suivre les courbes des autoroutes 20 ou 40 selon les tracés envisagés par les promoteurs de façon assez sécuritaire pour les passagers. Ces voies ont été pensées initialement pour des véhicules allant jusqu’à 120 km/h et, même en ralentissant à chaque virage, l’accélération rapide rendrait le trajet inconfortable. « Là on parle de vitesses d’accélération qui ressemblent aux manèges de La Ronde, c’est inacceptable de faire subir ça aux passagers », déplore-t-il.
TrensQuébec et Coop MGV soutiennent que le monorail pourrait atteindre sa vitesse maximale en seulement 30 secondes, au lieu d’une dizaine de minutes pour un train à grande vitesse (TGV).
« Aucun monorail nulle part sur la planète n’a excédé les 20 km de longueur et, là, on parle d’en faire un sur 250 km, ce n’est pas sérieux comme projet », renchérit l’ingénieur à la retraite Alain Audette, expert en planification des transports.
En 2012, il a réalisé une étude pour le compte de l’Association de l’aluminium du Canada, sur le concept de monorail suspendu à moteurs-roues comme celui proposé par l’organisation TrensQuébec à l’époque — les caractéristiques n’ayant pas changé depuis.
Le fait qu’« aucune analyse technique rigoureuse » n’ait encore été faite le laisse perplexe. « Rien ne vient étayer les descriptions fournies par les concepteurs dans leurs vidéos de présentation », dit M. Audette estimant quoi qu’il en soit que le concept québécois actuel « n’est pas assez raffiné pour permettre de porter un jugement sur sa faisabilité ».
« C’est inquiétant de faire la promotion d’un tel projet au risque de faire de la mauvaise publicité au monorail standard », regrette-t-il.
À son avis, ce moyen de transport a déjà fait ses preuves dans le monde et s’avère plus « pertinent » en milieu urbain (utilisé comme une ligne de métro ou de tramway pour compléter un réseau de transport en commun) plutôt qu’à l’échelle interurbaine. C’est le cas en Allemagne, mais aussi au Japon où de nombreuses villes l’ont adopté, notamment pour relier leur centre-ville à un aéroport.
Durable et moins coûteux
L’avantage du monorail est qu’il ne fait pas interférence avec les autres moyens de transport au sol, tels que les autobus, tramways et voitures, fait remarquer M. Audette. Un atout certain dans des villes de plus en plus denses, manquant d’espace, mais accueillant toujours plus de personnes qui ont besoin de se déplacer.
À l’inverse, le physicien et consultant en mobilité durable, Pierre Langlois, considère le monorail comme un moyen de se déplacer idéal pour relier rapidement les villes entre elles. C’est un transport « durable, électrique, rapide » et surtout moins coûteux que d’autres solutions proposées, telles que le TGV, selon lui. « Vu que c’est aérien, pas besoin de construire des ponts au-dessus des cours d’eau, ni de viaducs, ça permet d’économiser comparé au TGV. »
La flexibilité des navettes permettrait aussi une plus grande rentabilité, d’après Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal. « Un train part avec tous ses wagons, même s’il n’est pas plein. Le monorail permet de ne faire partir qu’une ou deux voitures aux heures creuses, c’est beaucoup plus flexible. »
S’il soutient que le monorail suspendu est « technologiquement faisable » — et surtout adapté aux hivers enneigés du Québec —, il estime que « ça fait longtemps qu’on parle dans le vide » et qu’il est grand temps qu’une étude de faisabilité soit entreprise.
De son côté, Pierre-Léo Bourbonnais doute que le prix annoncé, entre 9 et 12 millions de dollars du kilomètre, représente la réalité. Selon lui, beaucoup de projets de monorails n’ont justement jamais abouti en raison du coût plus élevé que prévu une fois les travaux commencés.
Au point mort pour le moment, le concept de monorail pourrait aller de l’avant d’ici quelques années, s’il est retenu par Québec. Rappelons que Philippe Couillard souhaite lancer un appel de propositions juste après l’élection de l’automne 2018, si les libéraux obtiennent un second mandat.
Un regain de popularité
Le monorail connaît un regain de popularité dans plusieurs grandes villes ces dernières années, notamment en Asie et en Amérique du Sud où les projets se multiplient.Selon les données compilées par le magazine américain en ligne Quartz, les deux leaders mondiaux — soit le constructeur automobile chinois BYD et la division ferroviaire de l’entreprise québécoise Bombardier — prévoient d’installer près de 475 km de monorail d’ici 2019. Seulement 400 km de monorail avaient vu le jour jusqu’à aujourd’hui.
Il s’avère que Bombardier conçoit, construit et exploite des monorails automatisés depuis déjà 25 ans et travaille sur « des projets en activité ou en construction aux États-Unis, au Brésil, en Arabie saoudite et bientôt en Chine », confirme le porte- parole de Bombardier Transport, Marc-André Lefebvre.
En décembre dernier, la division ferroviaire de l’entreprise a décroché un contrat en Chine et fournira 240 voitures à la ville de Wuhu, dans la province de l’Anhui, pour construire deux lignes de monorail d’ici 2020. Elles s’étendront ensemble sur 46,8 km et compteront 36 stations.
Mais le rôle de Bombardier ne se limite pas à la construction des voitures pour monorail ; il participe à « la fourniture d’infrastructures électriques et mécaniques, à la conception et à la fourniture du système de contrôle ferroviaire et l’entretien et l’exploitation à long terme du système », précise M. Lefebvre.
