Philippe Schnobb dit tirer des leçons du passé pour penser la mobilité de demain

Nommé par le maire Denis Coderre en 2013 à la tête de la Société de transport de Montréal (STM), Philippe Schnobb restera en poste pour quatre autres années. Cette décision de la nouvelle administration de Valérie Plante lui permettra de mettre en oeuvre ses projets « à un autre rythme », croit-il. Le Devoir s’est entretenu avec le président de la STM pour faire le point sur son premier mandat et discuter de sa vision du transport dans la métropole québécoise.
Quel projet a le plus marqué votre premier mandat à la tête de la STM ?
S’il y a bien quelque chose dont je suis heureux, c’est l’arrivée [des trains] Azur, très attendue. C’est une révolution, encore aujourd’hui. Ça va faire 2 ans qu’on roule avec [ces trains] sur la ligne orange et, encore aujourd’hui, j’ai toujours un sourire quand je les vois arriver et c’est la même chose pour bien des clients.
On a eu des petites difficultés en début d’année, mais de manière générale, c’est un train qui s’est très bien intégré dans le réseau. Il offre plus d’espace pour les clients, plus de confort, une meilleure ventilation ; c’est un grand succès.
Le déploiement des nouveaux wagons a pourtant été retardé de plusieurs mois et ils ont été retirés de la circulation quelques jours en janvier 2017 en raison d’un problème technique. Quelle leçon en tirez-vous ?
On a appris du petit incident en janvier avec les frotteurs. Oui, ç’a été un incident regrettable qui a causé des pépins, mais en seulement quelques jours on a été capables de trouver la cause, de trouver la solution et de l’implanter. Ça n’a pas pris des mois ! Aujourd’hui, autant sur la ligne orange que la ligne verte, où roule Azur, il y a des vérifications assez régulières de l’état de la voie pour être certain qu’aucun incident potentiel se reproduise. C’est la leçon qu’on retient.
Selon Projet Montréal, la STM a réduit le service de 47 lignes d’autobus l’an dernier. Pourquoi réduire le service alors que les usagers sont de plus en plus nombreux et se plaignent justement d’attendre trop longtemps l’autobus ?
La chose que je regrette, c’est d’avoir coupé dans le service dans le premier budget. C’était une mauvaise décision. Dans une organisation comme la STM, comme dans toutes les grandes organisations, il arrive qu’on vise la performance et qu’on oublie la raison fondamentale de notre existence : on doit transporter des gens.
Quand on a ajouté du service, on est restés pris avec cette image-là. Chaque bus en retard ou pris dans la congestion, les gens associaient ça [à nos compressions]. On a dû corriger le tir et augmenter le nombre de passages ; on le fait encore cette année. Avec l’engagement de l’administration [de Valérie Plante] d’ajouter 300 bus, on aura la possibilité d’améliorer considérablement le service.
Et depuis une semaine, avec Ibus, [qui permet de voir] l’arrivée en temps réel des autobus, on peut réorganiser son horaire. Il m’est arrivé comme bien du monde d’attendre un bus qui était déjà passé ou en retard. Maintenant, avec Ibus, je n’attends plus l’autobus, je prends l’autobus. Ça change la relation avec l’autobus.
La nouvelle administration prévoit l’ajout de ces 300 autobus hybrides d’ici 2020. La STM visait plutôt l’ajout de 347 nouveaux autobus d’ici 2025. Est-ce que la promesse de Valérie Plante peut vraiment se concrétiser, selon vous ?
On est encore en train de tirer sur tous les fils pour rendre ça concret, on travaille fort.
Mais si on veut pouvoir utiliser efficacement ces bus, il faut une stratégie de mesures préférentielles, [comme] des voies réservées et la synchronisation des feux de circulation.
On veut que [le transport en commun] soit une alternative incontournable pour les automobilistes qui se rendront compte qu’il est plus facile et rapide de se rendre à leur destination en bus.
L’objectif, c’est donc [d’apporter] plus de confort pour les clients, mais on vise aussi la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans le secteur des transports, il faut faire migrer les gens de l’auto vers les transports collectifs. Les projets de métro à long terme, ça va accélérer le processus.
Le projet phare de Projet Montréal est justement la ligne rose. Qu’en pensez-vous ?
Tout projet de développement du transport collectif, c’est un projet qui est accueilli très positivement à la STM. La ligne rose va être complémentaire de la ligne orange, ça va la désengorger.
Pourtant, le métro est souvent en panne. Les arrêts de service ont augmenté de près du tiers cette année. Déjà en 2016, le métro a été en panne pendant près de 183 heures. Comment expliquez-vous cette situation ?
Il y a des années où il y en a moins, des années où il y en a plus, il faut regarder la tendance à long terme. Les pannes sont liées au nombre de kilomètres parcourus et au nombre de clients dans le métro. Plus il y a de gens, plus il y a un potentiel de pannes, car on roule avec plus de monde.
Il y a aussi le fait que trois [types de trains] roulent en ce moment dans le métro : les vieux trains MR-63, les MR-73 et les Azur. Les MR-63 sont forcément moins fiables qu’ils ne l’étaient il y a 50 ans, donc le temps qu’on fasse la transition ça peut causer certains arrêts de service.
Il y a aussi beaucoup d’arrêts dus au comportement des clients. Par exemple, il y a eu un arrêt de service de 25 minutes il y a deux semaines parce que quelqu’un a volé un iPad dans le métro. Il était pourchassé par la police et a décidé d’aller se cacher dans le tunnel. On a dû couper le courant sur toute une ligne pour permettre l’intervention.
Tous les jours, il y a des personnes malades. On se doit d’intervenir. C’est des choses qui arrivent dans tous les métros du monde, il faut vivre avec cette réalité-là.
Cela dit, on a enregistré environ 16 arrêts de service par millions de kilomètres parcourus en 2017, alors que la moyenne mondiale, c’est 23. Le métro roule presque 97 % du temps ; c’est surtout ceux qui ne le prennent pas qui ont l’impression qu’il est en panne. La plupart du temps, on se rend à destination sans perturbation. Notre bilan est raisonnable même si ça n’empêche pas qu’il faut tout faire pour réduire le nombre d’arrêts de service.
Ça fait des années que la ligne orange est congestionnée. Quelles sont les solutions que vous comptez apporter à ce problème dans votre nouveau mandat ?
Le déploiement de nouveaux bus va permettre de créer de nouvelles lignes [reliant] certains quartiers au centre-ville sans avoir à faire une correspondance en métro.
Pour l’instant, on a 36 ou 37 trains sur la ligne orange qui passent aux trois minutes, parfois moins. Mais il y a une limite à la fréquence des trains [en raison] de normes de sécurité. C’est pour ça qu’on construit un garage pour nos voitures de métro dans le secteur de [la station] Côte-Vertu. Il sera prêt en 2021-2022, les trains pourront partir le matin des deux côtés de la ligne, ce sera plus rapide. Ça prend quand même 45 minutes à un train pour faire le trajet de Montmorency à Côte-Vertu.
Encore là, les trains Azur sont plus spacieux et accueillent 8 % de clients supplémentaires. Il y a plus de gens dans les voitures, donc plus de voitures en heure de pointe. Ça faisait partie des solutions pour désengorger la ligne orange.
L’accès à Internet fait son apparition dans les stations. Tout récemment, le système Ibus a été déployé. En matière de nouvelles technologies, à quoi peut-on s’attendre prochainement ?
On a fait un appel d’intérêt sur la billétique mobile. L’objectif, c’est de passer à la mobilité intégrée. Dans un scénario idéal, je voudrais qu’on crée un compte et que tous nos déplacements de transport actif ou collectif soient reliés à un seul compte. La carte Opus ou le téléphone intelligent serviraient d’identifiants, gérés par un compte à l’extérieur du réseau dans lequel on gère nos déplacements en métro, en autobus, en train de banlieue, avec le REM, avec Communauto et Car2go et peut-être même les taxis.
Il y a des enjeux technologiques, techniques et stratégiques, mais je voudrais que ce soit fait dans les six prochains mois. Il se peut qu’il y ait des choses qu’on puisse tester en 2018 [avec le grand public]. Transformer la mobilité, c’est du concret avec plus de bus et de métros, mais c’est aussi rendre [le service] encore plus simple pour les clients.
Un premier mandat en chiffres
Coût d’un titre mensuel en 2013 : 77 $Coût d’un titre mensuel aujourd’hui : 83 $
Revenus d’exploitation fin 2013 : 1,2 milliard $
Revenus d’exploitation fin 2017 : 1,4 milliard $
4 lignes de métro reliant 68 stations sur 71 kilomètres
220 lignes d’autobus, dont 209 accessibles aux personnes à mobilité réduite et 23 réservées au service de nuit
Fréquentation en 2013 : 416,5 millions de déplacements
Fréquentation en 2017 : 416,2 millions de déplacements Source : Société de transport de Montréal