Rouvrir le débat sur le prix du transport dans la région de Montréal

L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), nouvelle structure qui verra le jour le 1er juin, aura notamment pour mission d’uniformiser les prix des titres de transport sur le territoire.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), nouvelle structure qui verra le jour le 1er juin, aura notamment pour mission d’uniformiser les prix des titres de transport sur le territoire.

À l’approche de la mise en place de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui sera chargée de déterminer les prix des transports collectifs dans le Grand Montréal, 17 organismes interpellent la nouvelle gouvernance afin qu’elle envisage l’instauration d’un tarif social ou la gratuité pour certaines catégories de personnes.

Le 1er juin prochain, l’ARTM remplacera officiellement l’Agence métropolitaine de transport, qui regroupe les sociétés de transport de Montréal, Laval et Longueuil. Dans le même temps sera créé le Réseau de transport métropolitain, qui gérera les réseaux de trains de banlieue et d’autobus dans les couronnes sud et nord.

Si le comité de transition, présidé par Paul Côté, se penche sur la question tarifaire depuis plusieurs mois, il attend la formation du conseil d’administration par le gouvernement Couillard pour que son cadre tarifaire soit accepté.

Dix-sept organismes profitent ainsi de ce flou administratif pour demander, dans une déclaration commune dévoilée lundi, une consultation publique sur la tarification du transport en commun, avant que tout ne soit coulé dans le béton. Ils demandent aussi que les tarifs soient gelés dans la prochaine année, le temps de sonder l’opinion sur le terrain.

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C’est le nombre d’organismes en transport collectif qu’il restera dans la région métropolitaine avec l’entrée en vigueur de la loi 76. Il y en avait 16 auparavant.

Source : CMM

« On repart à zéro avec l’ARTM, alors c’est le bon moment pour réfléchir collectivement sur la question d’abordabilité du transport », croit Coralie Deny, directrice générale du Conseil régional de l’environnement de Montréal, qui fait partie des organismes signataires. À ses yeux, une fois la décision entérinée par le prochain conseil d’administration de l’ARTM, il sera trop tard pour changer le modèle de tarification. « Doit-on faire payer en fonction de la distance parcourue, du statut des usagers ou de leur revenu ? On doit se poser la question maintenant et consulter les premiers concernés », ajoute-t-elle.

Mais à l’heure actuelle, les usagers du transport collectif n’ont pas leur mot à dire. Le comité de transition et le futur conseil d’administration décident à huis clos. « Le danger, c’est que tout se décide en vase clos. On est dans le flou, rien n’est public », explique le porte-parole du Mouvement pour un transport public abordable, Jean-Yves Joannette.

Si Paul Côté s’est fait rassurant en février dernier en certifiant qu’il n’y aurait pas de « choc tarifaire », personne ne sait à quoi ressemblera la nouvelle grille de prix qui devrait s’appliquer dès 2018.

Uniformisation ?

Un des principaux mandats de la nouvelle autorité, créée avec l’adoption de la loi 76, est d’uniformiser les prix dans la grande région métropolitaine. Une façon de simplifier la vie des usagers du transport qui doivent parfois acheter plusieurs titres pour traverser la région et se renseigner auprès de plusieurs sociétés de transport.

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C’est le nombre de municipalités regroupées dans la Communauté métropolitaine de Montréal, où résident plus de 3,9 millions de personnes.

Source : CMM

« Il existe plus de 700 titres dans toute la région, ça n’a pas de sens », soutient Mme Deny, pour qui revoir les tarifs était « plus qu’une nécessité ».

Les organismes signataires de la déclaration s’inquiètent cependant de voir des tarifs préférentiels, telle que la gratuité pour certaines catégories de personnes, disparaître. « À Laval, il y a la gratuité pour les aînés. Va-t-elle être maintenue avec l’arrivée de l’ARTM et leur volonté d’uniformiser ? Sachant qu’à Montréal cette même catégorie paye son transport, mais à un tarif réduit et qu’à Longueuil elle bénéficie de la gratuité seulement hors pointe », s’interroge M. Joannette.

Une situation qui n’inquiète pas outre mesure le directeur général de la Société de transport de Laval, Guy Picard. S’il reconnaît une perte de latitude à venir quant aux choix des tarifs préférentiels dans la localité, il pense que, « politiquement, il sera difficile pour l’ARTM de les supprimer. »« Théoriquement elle peut le faire. Mais personne ne va avoir la mauvaise idée de faire payer des gens qui ne payent pas présentement. »

M. Picard croit toutefois que les tarifs réduits pourraient pâtir de cette harmonisation. « À Laval, on a un rabais de 40 % pour les écoliers de moins de 18 ans et un rabais de 20 % pour le reste des étudiants. À Montréal c’est 40 % pour tous les étudiants de moins de 26 ans. Est-ce qu’on va vouloir une formule à mi-chemin ? »

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C’est le nombre de titres de transport qu’il existe à l’heure actuelle dans la grande région métropolitaine.

Source : ARTM

Des discussions et négociations sur les compensations que Laval — et d’autres villes concernées — devra payer à l’ARTM pour maintenir les titres réduits sont à prévoir, selon lui.

Lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 76, il avait justement été évoqué que des villes pourraient continuer à offrir leurs tarifs préférentiels, à condition de verser une compensation à l’Autorité.

De son côté, le comité de transition soutient « qu’il est certain que ce ne sera pas les mêmes tarifs pour tout le monde, mais que le conseil d’administration aura l’autorité de décider de l’avenir des particularités tarifaires. »

Moins abordable

 

Aux yeux du président de Transport 2000 Québec, François Pépin, l’harmonisation des tarifs pourrait encore réduire l’accessibilité au transport collectif des ménages les moins bien nantis. « Les tarifs ont augmenté nettement au-dessus de l’inflation ces 15 dernières années, une fois et demie plus vite, note-t-il. Alors que le transport a toujours été la troisième dépense des ménages en importance, après le logement et l’alimentation, il a gagné la deuxième place ces dernières années. »

Jean-Yves Joannette parle même d’exclusion sociale. « Le transport est trop cher, certains ne peuvent le prendre. Ils ont alors de la misère à se chercher un emploi, à accéder à des ressources alimentaires ou même à voir leur famille. Et cet isolement c’est un problème invisible, parce que personne ne voit vraiment quand quelqu’un reste pogné chez lui. »

Tarif social et gratuité

Ottawa, Calgary, Kingston et prochainement Toronto ; plusieurs métropoles du Canada ont créé un tarif social ces dernières années. Au lieu de déterminer le prix du transport en fonction du statut des individus, c’est leur revenu qui entre en compte. « C’est une tendance, ça montre que c’est possible. Si on veut que les transports collectifs jouent un rôle dans les conditions d’accès de tous au territoire, c’est une des solutions », estime Florence Paulhiac Scherrer, titulaire de la Chaire In.SITU de l’ESG. Certaines municipalités vont même jusqu’à proposer la gratuité pour tous. Si cela peut inciter à utiliser davantage le transport collectif, ça reste difficile à appliquer, croit la professeure. « Quand les gens payent leur titre, ça peut représenter jusqu’à 40 % des recettes des sociétés de transport. Si on leur enlève, difficile de maintenir la qualité du service. Certaines lignes de bus sont coupées par exemple. » Dans le cas de petites et moyennes villes, plusieurs études effectuées en France montrent que la gratuité n’induit pas automatiquement une augmentation de l’utilisation du transport collectif, explique-t-elle. « Le transport collectif est toujours moins cher que la voiture. Si les gens prennent leur voiture, c’est que c’est plus pratique pour eux. La gratuité ne changera rien. » Quelques villes québécoises interrogées sur le sujet, telles que Chambly, Sainte-Julie ou encore Beauharnois, évoquent de leur côté une augmentation significative des usagers du transport en commun, après la mise en place de la gratuité.

L’ARTM, un frein à l’innovation?

En plus d’uniformiser les tarifs, l’ARTM devra uniformiser les pratiques des différentes sociétés de transports du Grand Montréal. Cela éveille quelques craintes auprès de la Société de transport de Laval et son homologue de Longueuil, qui s’inquiètent de ne plus pouvoir lancer de projets innovants. « L’innovation, ça passe par des initiatives locales, croit Guy Picard, de la STL. Notre projet pilote de payer par carte de crédit dans le bus lancé récemment, ce serait difficile dans une structure comme l’ARTM. »




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