Stationnement: le garage du voisin à la rescousse

Près d’un an après l’adoption de la nouvelle politique de stationnement de la Ville de Montréal, trouver une place dans la métropole reste un vrai casse-tête. Pour remédier au problème, des Montréalais n’hésitent plus à louer leur garage ou une partie de leur terrain sur Internet.
Résidant dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal sans stationnement pour sa voiture et inquiet à l’idée de chercher une place chaque jour, Julien a décidé de louer le garage d’une voisine.
« J’aurais pu me procurer une vignette, mais on doit toujours bouger sa voiture selon certains jours, certaines heures. C’est vraiment compliqué », lance-t-il.
Le jeune homme a trouvé son bonheur sur le site d’annonces Kijiji. Parmi les nombreuses offres, il a vite trouvé une place de garage proche de chez lui. Ne conduisant pas, Véronique He, propriétaire d’un logement en copropriété, voyait là une façon d’utiliser cet espace inoccupé tout en arrondissant ses fins de mois.
« Cent soixante-quinze dollars par mois, c’est un gros montant, mais il est à moi pour l’année et mon auto est toujours à la même place », se réjouit Julien.
Ce dernier n’est pas le seul à payer une place à l’année pour sa voiture. Un phénomène qui n’a pas échappé à de jeunes entreprises québécoises, qui souhaitent venir à la rescousse des automobilistes fatigués de tourner en rond pour trouver une place dans la métropole.
Des entreprises comme Prkair, Cityparking, ParkingMeterShare ou encore Prkng, se sont lancées tour à tour ces dernières années, se proclamant toutes comme l’« Airbnb du stationnement ». À quelques différences près, le système reste le même : elles proposent aux citoyens de partager leur espace libre dans leur garage, leur immeuble ou leur ruelle, en passant par une application sur téléphone intelligent.
Les initiatives ont beau se multiplier, le marché reste fragile. Le site ParkingMeterShare, qui proposait depuis 2014 d’offrir le temps inutilisé d’un stationnement déjà payé par un automobiliste, n’est plus actif et l’entreprise n’a pas rappelé LeDevoir.
Source: Conseil régional de l'environnement
Le projet Prkng, annoncé en grande pompe en juillet 2015, est aussi en suspens. Le cofondateur, Samuel Mehenni, montre du doigt le manque de mises à jour des données des villes sur leurs places de stationnement. « Les applications sont toujours disponibles, mais il est clair qu’une partie non négligeable des informations sont erronées », précise-t-il.
Cette situation n’a rien d’étonnant selon Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable. « Difficile de rivaliser avec Kijiji, la plateforme de référence au Canada en matière d’échange de biens et services. » Le phénomène devrait tout de même prendre de l’ampleur, estime-t-il. « C’est la nouvelle façon de consommer. On peut quasiment tout faire par économie collaborative, ça touche tous les secteurs d’activité économique. »
Il n’existe pas moins de 200 initiatives du genre au Québec, tous secteurs confondus, dont 80 seraient des applications mobiles, selon ses calculs.
Réglementation ?
Si sous-louer son stationnement fait partie du quotidien de plusieurs Montréalais, aucune politique municipale n’encadre la pratique. Autoriser l’utilisation des espaces privés à des fins commerciales appartient aux arrondissements, indique la Ville de Montréal. Et en règle générale, les propriétaires ne peuvent légalement louer leur stationnement puisqu’un zonage spécifique est nécessaire.
Véronique He avoue ne pas s’être renseignée avant de mettre son annonce sur Kijiji. « Je savais que d’autres gens le faisaient dans mon immeuble, alors j’ai pensé que ça devait être correct. »
L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal ne s’inquiète pas outre mesure de cette tendance, rappelant toutefois que louer son stationnement privé reste une infraction. Mais aucune sanction ni aucun changement réglementaire ne sont prévus pour autant.
Source: Conseil régional de l'environnement
Seul Rosemont–La Petite-Patrie est allé de l’avant en autorisant explicitement les citoyens à louer leur espace libre. Au printemps dernier, l’arrondissement a modifié le zonage pour permettre aux particuliers de commercer en toute légalité.
« Il existe un potentiel inexploité de stationnements disponibles, alors l’objectif, c’était d’optimiser l’utilisation de l’espace libre », explique le maire de Rosemont, François Croteau.
Il donne l’exemple du secteur de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, où les places sont rares et recherchées. « On n’avait pas besoin de créer d’autres stationnements, mais de permettre aux résidants aux alentours de partager leur entrée de garage pendant qu’ils ne l’utilisent pas », ajoute-t-il.
Pour l’environnement
Aux yeux du maire Croteau, légaliser cette pratique encourage l’économie du partage et le développement d’entreprises locales. Cela contribue aussi à la diminution de la circulation dans les rues, pense-t-il. « Les gens prévoient en amont où ils vont laisser leur voiture et évitent de tourner pour trouver une place. Ça diminue la pollution atmosphérique. »
Une opinion que partage Félix Gravel, responsable des transports au Conseil régional de l’environnement de Montréal. Il estime que de 20 % à 30 % de la congestion en période de pointe est due à la recherche d’une place. De plus, la ville ne manque pas de places, affirme-t-il. « Les stationnements sont plus souvent vides qu’on le croit. »
Un nouveau portrait ?
Mais lancer des applications et des initiatives citoyennes ne suffira pas à changer le portrait du stationnement, maintient M. Gravel. « Ça reste très marginal en matière de stationnement, les gens n’y pensent pas assez. » D’après lui, il faut des gestes politiques pour changer les habitudes des grands propriétaires de stationnements, des centres commerciaux, voire des écoles et institutions publiques qui gardent leurs places fermées au grand public. « La SAQ par exemple n’hésite pas à remorquer les véhicules qui restent trop longtemps sur son stationnement?», donne-t-il en exemple.
Il considère toutefois comme encourageante la nouvelle politique de stationnement de Montréal, qui visait notamment à simplifier les règles et à uniformiser les pratiques d’un arrondissement à l’autre. « Elle semble ouverte à l’idée d’optimiser les places déjà existantes. On envisage des ententes avec de grands propriétaires de stationnements qui voudraient ouvrir au grand public. Leur taxe sur le stationnement serait alors réduite, voire annulée. »
Acheter du temps
Certaines entreprises proposent aux conducteurs de réserver une place à l’heure, à la semaine ou au mois, par l’intermédiaire de partenariats avec les grands gestionnaires. VenueParking a par exemple développé les places du Complexe Desjardins ou de l’hôtel Sofitel, et cherche en permanence de nouveaux espaces disponibles. « Le problème, c’est le manque d’information », constate le président de VenueParking, Dominic Chartrand. S’il salue certaines idées de la politique de stationnement de Montréal, il critique le manque d’information de la Ville. « Il y a une carte des stationnements sur son site qui n’a pas été mise à jour depuis 2009. » De son côté, Valegoo proposera dès vendredi un service de voituriers sur demande. À l’aide d’une application pour téléphone intelligent, n’importe qui pourra commander un voiturier qui attendra à la destination désirée et s’occupera de garer le véhicule du client. La jeune entreprise a décroché des partenariats avec de grands gestionnaires de stationnements et tente de solliciter les universités du centre-ville pour utiliser leurs places disponibles en soirée.