Le parc Jean-Drapeau: un bar à profits pour le privé

Lorsque l’île Sainte-Hélène fut aménagée par l’architecte-paysagiste Frederick G. Todd à la suite de l’inauguration du pont Jacques-Cartier en 1930, elle constitua un parc homogène centré sur la nature. Échappant aux contraintes de la vie urbaine, ce fut un lieu favori pour ses vues panoramiques et les promenades romantiques.
La situation changea avec la venue de l’Expo universelle de 1967. À la suggestion de l’urbaniste Hans Blumenfeld, le choix de ce site pour accueillir l’événement n’était pas sans avantages : il s’inscrivait dans l’histoire de Montréal, grande bénéficiaire du transport maritime, tout en assurant la récupération d’énormes quantités de terre et de rocs générées par l’aménagement du métro.
Jusqu’aux études de planification coordonnées par l’architecte-urbaniste Mark London en 1988-1993, le site perdit graduellement son homogénéité en accueillant La Ronde, le Bassin olympique, le circuit Gilles-Villeneuve et le casino dans le pavillon de la France. Ce plan directeur de 1993 chercha, tant du point de vue physique qu’environnemental, à réunifier les diverses parties du parc des Îles (aujourd’hui parc Jean-Drapeau) en mettant l’accent sur « le vert et le bleu » et en reliant les îles Sainte-Hélène et Notre-Dame par la promenade des Îles. Cette promenade donnait ainsi un accès agréable à la station de métro, au fort de l’Île-Sainte-Hélène, au pavillon des Baigneurs, à la Biosphère, au centre du Bassin olympique, au Casino et à la plage Jean-Doré. Elle offrait, en plus, sur une distance de trois kilomètres le long du fleuve, une vue panoramique à couper le souffle de Montréal.
Plan disparu
Aujourd’hui, ce plan directeur a perdu plusieurs de ses avantages parce qu’il ne fut pas suivi d’une façon rigoureuse. Ainsi la partie la plus fascinante de la promenade des Îles, celle longeant le fleuve, fut amputée pour permettre l’aménagement d’un amphithéâtre naturel visant à accueillir des festivals de musique tels Osheaga et Heavy Montreal. La section restante a graduellement perdu son intérêt en étant envahie par des broussailles.
Cette situation a paru s’améliorer en 2013 quand la Société du parc Jean-Drapeau a mandaté le consortium Daoust Lestage, architecture et design urbain, et Claude Cormier, architecture de paysage et design urbain, deux firmes comptant parmi les plus réputées au Canada, pour revoir le plan directeur de 1993 afin de l’adapter aux besoins d’aujourd’hui. Pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa compétence, et encore moins avec la promotion du bien public, ce consortium fut remplacé par une firme dont le mandat principal consiste de toute évidence à mettre l’accent sur l’agrandissement de cet amphithéâtre dit « naturel », à savoir accroître sa capacité de 45 000 à 65 000 personnes, cela évidemment au bénéfice du promoteur qui y organise chaque année ces festivals de musique. Et qui va payer les 73 millions de dollars que nécessiteront ces aménagements ? Les citoyens, bien sûr, tout en les privant d’une consultation publique de façon à éviter que le projet dévoile ses horreurs concernant notamment l’abattage des arbres et l’asphaltage prévisible de certaines parties des lieux.
Montréal est reconnue « ville de design de l’UNESCO ». Mais si l’on en juge par la prise en otage de certains de ses espaces par des promoteurs privés, comme cela s’est passé à Griffintown et s’amorce maintenant avec le recyclage du site de l’ancien Hôpital de Montréal pour enfants (face au square Cabot), elle risque d’hériter rapidement du titre de « ville des désastres de la politique » !