Taxi et Uber, un écosystème en mutation

Bien que moins éclatante qu’à l’automne dernier, la colère gronde toujours au sein de l’industrie du taxi québécoise. Et l’encadrement d’Uber en vertu de la loi 100 — bien qu’on ne puisse lui attribuer tous les maux — n’aura pas suffi à mettre un frein à la chute de la valeur des permis des chauffeurs de taxi. Six mois après l’entrée en vigueur du projet-pilote, l’heure est au bilan, et les représentants de l’industrie en profitent pour sonner l’alarme.
« Les chauffeurs de taxi montréalais n’ont jamais été aussi pauvres, lance Georges Tannous, président du Comité provincial de concentration et de développement de l’industrie du taxi (CPCDIT). Depuis l’arrivée d’Uber en 2014, nos conditions de travail se sont dégradées et on peine à boucler nos fins de mois. Le projet-pilote, ce n’était que de la poudre aux yeux. Il a été adopté à toute vitesse, sans qu’on soit vraiment consultés. Aujourd’hui, on en paye encore le prix. »
Avant l’entrée en vigueur du projet-pilote d’Uber, les permis de taxi se négociaient autour de 150 000 $ à Montréal. Cinq ans plus tôt, avant l’arrivée d’Uber sur le marché québécois, ce même permis valait près de 80 000 $ de plus. Aujourd’hui, les transactions frôlent à peine les 100 000 $. « Seulement dans la région de Montréal, on parle d’une perte de revenus de près de 200 millions de dollars », estime M. Tannous.
Source : Uber Québec
En outre, selon lui, il est de plus en plus difficile pour les chauffeurs d’obtenir du financement auprès des institutions bancaires. « Nous ne sommes plus un investissement intéressant, avance-t-il en soupirant. Les normes se sont resserrées et la Caisse populaire, l’un des joueurs les plus importants, est en train de sabrer ses départements consacrés au taxi. L’obtention d’un prêt, pour effectuer des réparations majeures sur un véhicule par exemple, ou même pour en acheter un neuf, risque de devenir particulièrement compliquée. Ça n’annonce rien de bon pour nous. »
Et sur le terrain, les choses ne vont guère mieux. Les heures s’allongent et les courses se font rares. Toujours plus difficiles, les mois d’hiver semblent l’avoir été encore plus cette année. En ce sens, certains chauffeurs ont d’ailleurs confié au Devoir n’avoir même pas réussi à rentabiliser leur soirée du 31 décembre, nuit qui leur permet normalement de survivre aux premières semaines creuses de l’année.
Uber s’adapte
Malgré les doléances de l’industrie, les six premiers mois du projet-pilote d’Uber semblent s’être déroulés rondement, au dire du ministère des Transports du Québec. De fait, la filiale québécoise du géant californien a procédé à plusieurs changements depuis l’entrée en vigueur du projet d’encadrement. L’entreprise a notamment dû se procurer un permis d’intermédiaire en services de transport de taxi. Ses chauffeurs, pour leur part, doivent maintenant obtenir un permis de conduire de classe 4C — le même que celui des chauffeurs de taxi traditionnels — avant de pouvoir effectuer la moindre course.
Source : Commission des transports du Québec et Bureau du taxi de Montréal
« Jusqu’à présent, l’entreprise se conforme aux obligations fixées par l’arrêté ministériel, affirme l’attaché de presse du ministre des Transports, Mathieu Gaudreault. […] Comme dans tous les projets, des ajustements ont été nécessaires, mais dans l’ensemble, nous sommes satisfaits. » Même son de cloche du côté du Bureau du taxi de Montréal (BTM) qui assure, avec les contrôleurs routiers de la Société de l’assurance automobile du Québec, le suivi sur le terrain. Des données sommaires, dont LeDevoir a obtenu copie, révèlent en effet que, sur les 473 inspections réalisées par le BTM depuis le début de l’année 2017, plus de 60 % étaient conformes aux modalités du décret ministériel.
« Il s’agit d’un des cadres règlementaires les plus contraignants avec lequel nous devons travailler », souligne Jean-Nicolas Guillemette, directeur général d’Uber Québec. Ces nouvelles modalités ont entraîné, selon ses observations, un changement de comportement chez certains de leurs partenaires-chauffeurs. « Comme c’est un peu plus compliqué, nous en avons plus aujourd’hui qui décident de faire ça à temps plein, avance le gestionnaire. Mais sinon, dans l’ensemble, ça se passe plutôt bien. Et il ne faut pas oublier que nous voulions être règlementés. Maintenant, on s’ajuste et la croissance continue d’être au rendez-vous. »
Vers une indemnisation ?
Le projet-pilote oblige également maintenant l’entreprise à verser des redevances au gouvernement pour chacune des courses effectuées par ses chauffeurs. Cette question fiscale, rappelons-le, était au coeur même des débats entourant les activités de la multinationale, et c’est sans doute celle qui cause le plus de friction quand l’entreprise essaie s’implanter dans une nouvelle ville. Perçues par Uber, ces dernières oscillent aujourd’hui entre 0,97 $ et 1,37 $ par voyage. Les partenaires-chauffeurs de l’entreprise devront également déclarer l’ensemble de leur revenu, au même titre que n’importe quel travailleur autonome.
Source : Bureau du taxi de Montréal
Au moment de la signature de l’entente, à l’automne dernier, le gouvernement affirmait que cet argent, engrangé dans un Fonds de modernisation de l’industrie, pourrait, à terme, servir à dédommager en partie les chauffeurs de taxi si la valeur des permis continuait de chuter. À l’heure actuelle, rien n’indique toutefois que le ministère ira en ce sens. Un comité de modernisation du taxi, présidé par le député Ghislain Bolduc, l’adjoint parlementaire du ministre des Transports, devrait voir le jour pour, notamment, se pencher sur cette question.
« Est-ce que le gouvernement va encore attendre à la dernière minute pour intervenir? se désole Georges Tannous du CPCDIT. Au moment de la signature du projet-pilote d’Uber, le ministère nous a promis qu’un comité veillerait à ce que l’industrie obtienne sa juste part. Ça fait six mois, on attend toujours et les choses sont loin de s’être améliorées pour nous. Est-ce qu’il faudra attendre la mort du taxi pour agir ?