Jouer en ville

Ludifier la ville: c’est le thème d’un colloque qui débute aujourd’hui à Montréal, sous la gouverne de l’administration du Quartier des spectacles. La ville sera aussi le théâtre d’un gigantesque «game jam», où des créateurs seront invités à inventer une façon de faire de la ville un vaste terrain de jeu.
Imaginez une ville où les automobilistes coincés dans les bouchons joueraient ensemble à un jeu de société, et où les rues seraient périodiquement fermées aux voitures pour permettre aux enfants d’y jouer au hockey.
En Grande-Bretagne, c’est la ville de Bristol qui a lancé le concept de « ville ludique » (« playable city »). « Un jour, des gens spécialisés en nouvelles technologies nous ont montré une vidéo dans laquelle ils montraient les villes de l’avenir. C’était des villes froides, sans âme, où chacun gardait les yeux rivés sur son petit écran », expliquait hier Hilary O’Shaughnessy, productrice dePlayable City, un regroupement d’artistes et de créateurs installés à Bristol. Le Pervasive Media Studio du centre d’art numérique Watershed, de Bristol, tente alors de faire dévier la ville futuriste de cette trajectoire en proposant de nouveaux espaces ludiques.
Depuis, Bristol tient chaque année un concours international pour les idéateurs de projets pour ludifier la ville, en plus de déployer des équipes un peu partout dans le monde pour mettre en marche des projets. Au Japon, en prévision de la tenue des Jeux olympiques, ils ont travaillé à améliorer la communication entre les Japonais et les étrangers.
« Il y a des différences culturelles. Les Japonais sont très polis, très gentils et veulent aider. Mais ils sont très réservés quand il s’agit d’aller vers l’autre. En plus, il y a des barrières linguistiques, le jeu a ceci de particulier qu’il peut outrepasser ces barrières », dit Mme O’Shaughnessy, qui fait partie des conférenciers au colloque de Montréal. Le groupe de Playable City a également fait un séjour à Lagos, au Nigeria, où il s’est intéressé aux questions de transport dans la ville.
« Ce qu’on réalise, c’est que c’est important de consulter les citoyens sur comment ils voient la ville, et sur ce qu’ils souhaiteraient y voir. Les autorités municipales nous disent souvent que les gens n’appellent généralement que pour se plaindre des services », poursuit Mme O’Shaughnessy.

Inclusion
« Il est très important d’inclure les citoyens, tant au moment de la conception du projet qu’au moment de sa diffusion », ajoute Francesca Perry, fondatrice britannique du groupe Thinking City, une plateforme Web destinée aux pratiques inclusives d’urbanisme à travers le monde, également conférencière au colloque. « Les citoyens ont l’impression que les décisions sont prises sans eux. »
D’emblée, les projets retenus par Thinking City doivent être accessibles à tous, petits et grands, riches et moins riches, handicapés ou non. À terme, les projets pour ludifier la ville se conjuguent avec ceux prônant le développement durable, poursuit-elle. Le colloque accueillera également Darell Hammond, fondateur de l’entreprise américaine Kaboom, qui construit des aires de jeux pour les enfants à travers le monde, en particulier dans les milieux défavorisés en Amérique du Nord. En 2011, Kaboom avait permis la réalisation d’un terrain de jeux pour enfants à Montréal, à côté de l’École Edward Murphy. Les dessins des enfants avaient été utilisés pour créer le concept final du terrain de jeu.

À Montréal, Éric Lefebvre, directeur du développement du partenariat du Quartier des spectacles, rêve de projets collaboratifs qui pourraient avoir une dimension sociale. Par exemple, il suggère que, si un jeu numérique avait permis aux citoyens d’identifier les frênes menacés par l’agrile, l’opération d’abattage des arbres aurait pu être plus facile.
Le partenariat du Quartier des spectacles envisage une collaboration avec Playable City au cours des prochaines années. Et Éric Lefebvre aimerait bien élargir le champ de recrutement des artistes au monde du jeu vidéo, notamment en modifiant le processus de soumission de projets, pour l’exposition annuelle de luminothérapie par exemple.
Le « game jam », qui se poursuivra tout le week-end après le colloque, attirera pour sa part quelque 150 créateurs de tous horizons. « On a entre 20 et 25 équipes », dit Éric Lefebvre. De vendredi à dimanche, ces équipes auront pour mission d’élaborer un projet pour ludifier la ville. Ensuite, un jury sélectionnera cinq projets qui bénéficieront d’une bourse de 50 000 $. C’est une façon d’encourager les concepteurs dans les premiers pas qui mènent à la réalisation d’une idée.